«On ne peut pas louer un logement sans permis et on ne peut pas garder de permis sans domicile»
Paul* et Julia* sont âgés respectivement de 79 et 84 ans. Lorsque le propriétaire réquisitionne leur logement, le couple n’arrive pas à se reloger. Sans domicile fixe et sans aucun soutien administratif, les conséquences sont lourdes : perte du permis C de Paul*, fin des prestations complémentaires à leurs rentes AVS, radiation de leurs assurances maladie.
Mots-clés: conditions de vie, santé
Personne(s) concernée(s) (*prénom fictif): Paul*, né en 1940 et Julia*, née en 1945
Origine: Etats-Unis
Statut: sans
Chronologie:
1980 : arrivée en Suisse de Paul*
2004 : naturalisation suisse de Julia*
2019 : perte de leur logement
2020-2022 : Perte des PC et du permis C, radiation des assurances maladie
Questions soulevées:
- Pourquoi les demandes de personnes ayant besoin de prestations sociales et d’aide administrative se solde-t-elle sur des refus, alors même que des droits existent ?
- On parle de non-recours ou de non-accès aux prestations sociales, mais ne faudrait-il pas questionner la qualité des services aux guichets ?
- Les services sociaux et les associations sont débordés et poussés à toujours plus de productivité, avec moins de temps par dossier. Mais un suivi social de qualité ne permettrait-il pas d’éviter que les situations ne se péjorent et de générer des coûts économiques et humains conséquents ?
Description du cas:
Paul * est arrivé en Suisse en 1980 des États-Unis. Il fonde une petite société avec un associé suisse dont il devient, après quelques années, seul propriétaire. Sa compagne Julia*, ancienne chercheuse en biologie cellulaire, est également arrivée des Etats-Unis. Elle s’installe en Suisse dans le cadre d’un premier mariage à la fin des années soixante. Julia* et Paul* se rencontrent en 1982 et, quelques années plus tard, emménagent ensemble. Lorsque les affaires deviennent plus difficiles, à la fin des années 1990, Paul* décide de prendre sa retraite et ferme le bureau. Il perçoit immédiatement une rente AVS. En 2004, Julia* obtient la nationalité suisse. Ses trois enfants sont également naturalisés suisses et vivent toujours ici.
Il y a cinq ans, lorsque le propriétaire réquisitionne leur logement, le couple ne parvient pas à se reloger. D’après Paul*, cela s’explique peut-être par le conflit qui les avait opposé∙es à leur ancienne gérance : après quelques années de location, le couple s’était rendu compte qu’au moment de la signature du bail, la gérance avaient falsifié le papier indiquant l’ancien montant du loyer. Cela avait permis une augmentation de loyer bien au-dessus de la différence légalement autorisée. Le couple avait recouru devant le tribunal et avait gagné. La gérance avait dû alors leur restituer 60’000CHF. Pour Paul*, cela leur a valu de figurer sur une « liste noire » des régies. En outre, leurs états de santé respectifs ne leur permettent pas de vivre dans des logements accessibles que par des escaliers. Malgré leurs recherches actives, Paul* et Julia* ne parviennent pas à trouver un nouvel appartement. Le couple demande l’aide des services sociaux, mais l’office refuse de les suivre.
Paul* et Julia* passent alors de chambres en chambres, sans jamais pouvoir s’inscrire à une adresse auprès d’une commune. S’ensuivent de graves conséquences administratives : Faute d’adresse, iels perdent leurs prestations complémentaires (PC) Puis, malgré plus de quarante ans de vie en Suisse, Paul * perd son permis C.
L’absence d’adresse a également entrainé la perte des subsides à l’assurance maladie de Julia*. Dans l’incapacité de payer ses primes élevées, les dettes se sont accumulées et ont abouti à la radiation de Julia* de l’assurance maladie. Si elle avait continué à percevoir les PC ou reçu de l’aide administrative pour demander les subsides à l’assurance, cela aurait pu être évité. Paul* a également été désaffilié de son assurance, bien qu’il ait pourtant payé chacune de ses factures. Aujourd’hui, âgés respectivement de 79 et 84 ans, Paul* et Julia* vivent donc sans assurance maladie.
Mais pour tous les deux, c’est avant tout l’absence d’aide administrative qui a généré et entretient encore cet engrenage impossible. « Récemment, nous sommes retournés demander de l’aide au Service social de Nyon. On nous a répondu : « nous ne traitons pas les problèmes des personnes à l’âge AVS ». Mon médecin a alors écrit un mail au service social, mais ce service lui a répondu qu’il fallait s’adresser à Pro Senectute. Enfin, à Pro Senectute, un travailleur social a écrit à nos assurances maladie, mais n’a plus donné suite. Maintenant, nous attendons de l’aide de deux autres associations mais la situation n’avance pas, personne ne sait comment nous aider pour trouver un logement ». Les mois passent, les professionnel·les concerné·es se renvoient la balle et les démarches tardent, en l’attente du fameux appartement que Paul * et Julia * n’arrivent pas à trouver. « Nous sommes très isolés, et j’ai beaucoup d’anxiété. On ne peut pas louer un logement sans permis valable et on ne peut pas faire de démarches pour récupérer un permis de séjour sans domicile. Je ne vois pas comment m’en sortir » explique Paul*.
Signalé par : La Fraternité, CSP-Vaud
Sources: Entretien avec Paul* et Julia*