Obtenir des papiers est impossible, mais ce n’est pas une excuse

Un requérant d’asile doit présenter une carte d’identité ou un passeport lors du dépôt de sa demande, sous peine de la voir frappée de non entrée en matière (NEM). L’Ouganda, explique « William », ne délivre pas de carte d’identité, et les passeports y sont réservés aux privilégiés. Excuse rejetée.

Personne(s) concernée(s) : « William », homme célibataire

Statut : Requérant d’asile (débouté par NEM)

Résumé du cas

Venant d’Ouganda, « William » a de bonnes raisons de ne pas présenter de documents d’identité : son pays ne délivre pas de cartes d’identité et réserve l’octroi de passeport à des personnes triées sur le volet. Il n’a jamais eu qu’une carte de village et une carte scolaire que lui ont pris les rebelles (ces documents n’auraient d’ailleurs pas répondu aux exigences des autorités suisses). Pourtant, l’absence de pièces d’identité lui est reprochée, et l’ODM prend à son égard une décision de NEM et de renvoi le 17 octobre 2007. La loi prévoit que cette mesure n’est pas applicable si le défaut de papiers est excusable Mais le TAF, saisi d’un recours, refuse d’admettre cette dérogation. L’impossibilité d’obtenir les documents voulus en Ouganda est pourtant démontrée par un rapport officiel canadien. Le TAF motive sa décision de ne pas excuser l’absence de papiers par le fait qu’il considère le récit de « William » sur son voyage, arrangé par une tierce personne, comme n’étant pas crédible. Il reproche au requérant de ne pas vouloir révéler les conditions réelles de son départ du pays. L’absence de papiers est dès lors considérée comme sans excuse, la non entrée en matière est confirmée et le renvoi devient exécutoire.

Questions soulevées

Les limites légales à l’usage de la NEM ont-elles encore un sens si des motifs objectifs qui expliquent l’absence de papiers, confirmés par un rapport des autorités canadiennes d’immigration, sont écartés au profit d’un raisonnement purement spéculatif basé sur une appréciation sommaire de la crédibilité du requérant ?

Peut-on attendre d’un requérant d’asile qu’il fasse un récit clair et précis concernant son voyage, sachant que celui-ci a dû se dérouler dans l’illégalité et avec la complicité de passeurs qui peuvent le menacer de représailles ?

Quel examen doit primer dans le cadre d’une procédure d’asile : celui de la crédibilité du récit concernant le voyage ou celui des persécutions subies ?

Chronologie

2007 : 14 août : demande d’asile au CEP de Vallorbe

2007 : 9 octobre : décision de non entrée en matière (NEM) de l’ODM

2007 : 17 octobre : recours contre la décision ODM

2008 : février 25 : rejet du recours par le TAF, le renvoi devient exécutoire.

Description du cas

« William », originaire d’Ouganda, se présente au centre d’enregistrement (CEP) de Vallorbe et dépose une demande d’asile. Il explique qu’il est un ancien milicien des rebelles et qu’il fuit les militaires qui le pourchassent, militaires qui auraient tué sa famille. Comme beaucoup d’autres requérants d’asile, il n’a pas le moindre document d’identité à présenter lors du dépôt de sa demande. L’autorité lui remet une note écrite indiquant qu’il est tenu, sous peine de non entrée en matière (NEM), de remettre dans les 48h un passeport ou une carte d’identité. C’est impossible, explique « William » : il n’y a pas de carte d’identité en Ouganda, et les passeports sont réservés à des gens bien plus importants que lui. En ce qui le concerne, il n’a jamais possédé qu’une carte de village et une carte scolaire, que lui ont pris les rebelles, et qui ne correspondent pas à ce que demandent les autorités suisses. Faire venir des documents d’identité en 48h est aussi impossible, notamment parce que les membres de sa famille qui auraient pu entreprendre des démarches pour lui sur place sont tous morts.

Le 9 octobre, l’ODM rend une décision de NEM en constatant l’absence de papiers d’identité et l’absence d’excuse, vu le caractère « stéréotypé » des explications de « William ». Le recours proteste contre cet a priori. Un rapport officiel du Canada confirme que l’Ouganda n’a pas de carte d’identité et que le passeport ne peut être obtenu sans des formalités exigeantes. Une clause de la loi, dont le Conseil fédéral promettait pendant la campagne référendaire de 2006 qu’elle serait une garantie du maintien de la tradition humanitaire suisse, prévoit que les autorités peuvent entrer en matière sur la demande d’asile malgré l’absence de papiers, pour autant que cette absence soit excusable. Par ailleurs, un constat médical accompagné de photos vient aussi montrer que le requérant a subi des violences.

L’arrêt du TAF rendu le 25 février 2008 n’admet pas pour autant le caractère excusable de l’absence de papiers d’identités. Certes, il prend acte du rapport canadien, qui confirme que le requérant ne pouvait pas obtenir une carte d’identité qui n’existe pas dans son pays, et qu’il ne pouvait pas non plus, comme simple villageois, obtenir un passeport. Mais pour le TAF, si « William » est sorti du pays, c’est qu’il devait forcément être en possession d’un passeport et le présenter à son arrivée en Suisse. Les explications données sur le voyage, effectué avec un faux passeport que lui aurait procuré un tiers sont vagues et imprécises. Pour le TAF, c’est le signe que le requérant ne veut pas révéler les conditions réelles de son départ du pays. De ce fait le TAF refuse d’excuser l’absence de papiers et confirme la NEM prise sur cette base.

Signalé par : Service d’aide juridique aux exilé-e-s – SAJE (Lausanne), avril 2008.

Sources : décision TAF du 25 février 2008 (E-7056/2007) ; Response to Information Request ; Uganda : Identity documents ; Commission de l’immigration et du statut du réfugié du Canada, 16 Feb. 2007 ; voir aussi la note thématique de l’ODAE : « Requérants sans papiers, aucune excuse n’est jugée valable » (Thème 001, 29.11.07)

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