Mineure, elle obtient une transformation de permis F en B pour respect de la vie privée

Dara* est au bénéfice d’une admission provisoire depuis près de 7 ans lorsqu’elle dépose une demande d’autorisation de séjour, rejetée par le canton. Dara* interjette alors un recours auprès de la Cour administrative cantonale, puis du Tribunal fédéral (TF). Bien que mineure, le TF lui reconnait la possibilité de faire une telle démarche sans passer par ses représentant·es légaux·ales. Le TF admet ensuite le recours et renvoie la cause au SPoMI pour délivrance d’une autorisation de séjour (permis B).

Personne concernée (*Prénom fictif): Dara*

Origine: Syrie

Statut: Permis B

Chronologie 

2014: demande d’asile (avril)

2015: obtention d’une admission provisoire (fév.), dépôt d’un recours au TAF (avril)

2017: rejet du recours par le TAF (juil.)

2021: demande de permis B auprès du canton (juil.), refus, recours auprès de la Cour cantonale

2023: rejet du recours par la Cour cantonale (fév.), recours auprès du Tribunal fédéral (TF) 2024 : admission du recours par le TF (juil.)

Questions soulevées

Alors que le TF admet que les limitations imposées par le statut de l’admission provisoire sont telles qu’elles peuvent porter atteinte à la vie privée, comment se fait-il qu’une transformation de cette admission en permis B ne soit pas automatisée après un séjour de 5 ans? Le système du permis S appliqué à la suite de l’invasion russe de l’Ukraine ne démontre-t-il pas que cela est faisable?

Description du cas

Dara*, kurde de Syrie, est née en 2009. Avec ses parents et ses frères et sœurs, elle quitte le pays en 2013, au moment où des milices kurdes tentent de recruter les enfants. La famille arrive en Suisse en avril 2014 et dépose une demande d’asile. En février 2015, le SEM rejette la demande d’asile de la famille et sa qualité de réfugiée, au motif que la fuite a eu lieu en raison d’insécurité liée à la guerre mais pas sur la base de crainte de persécutions ciblées. Néanmoins, le SEM prononce une admission provisoire, jugeant que l’exécution de leur renvoi n’est pas raisonnablement exigible.

En avril 2015, appuyée par un mandataire, la famille interjette un recours auprès du TAF, alléguant que depuis leur départ en Syrie, un décret a rendu l’engagement dans les milices obligatoire. Par ailleurs, des convocations du gouvernement syrien et de milices ont été déposées auprès de membres de leur famille resté·es au pays, à l’attention du frère mineur de Dara*. Enfin, la famille dénonce les atteintes aux droits humains qui se poursuivent en Syrie. En juillet 2017, le TAF rejette le recours de la famille sur les mêmes arguments que le SEM.

En juillet 2021, Dara*, âgée de 12 ans, dépose une demande d’autorisation de séjour auprès du Service de la population et des migrants du canton de Fribourg (SPoMI), qui refuse de transmettre la requête au SEM. Un recours est alors déposé auprès de la Cour administrative du Tribunal cantonal, qui le rejette en février 2023. Avec l’aide d’une mandataire, Dara* dépose alors un recours auprès de l’instance supérieure, le Tribunal fédéral (TF).

Dans son recours, elle se prévaut d’un droit à une autorisation de séjour fondée sur l’art. 8 CEDH, sous l’angle de la vie privée. Elle reproche au Tribunal cantonal de ne pas l’avoir auditionnée, la privant de son droit d’être entendue, et dénonce un défaut de motivation de l’arrêt cantonal. Elle rappelle être au bénéfice d’une admission provisoire depuis près de 10 ans et qu’il n’a pas été contesté qu’elle ne pourra pas quitter la Suisse dans un avenir prévisible. Ainsi, elle réclame son droit à une autorisation de séjour (permis B) fondée sur le respect de la vie privée (art. 8 CEDH) et sur son droit en tant qu’enfant à un développement harmonieux (art. 3 et art. 6 CDE).

Le TF commence par évaluer la possibilité pour Dara* de déposer un recours alors qu’elle est encore mineure, sans passer par ses représentant·es légaux·ales. Il statue et reconnait sa capacité de discernement et donc sa capacité à faire valoir seule les droits relevant de sa personnalité. Dans son arrêt datant de juillet 2024, le TF réfute la violation du droit d’être entendue et le défaut de motivation de l’arrêt attaqué, Dara* ayant pu s’exprimer et faire valoir ses arguments par écrit. Toutefois, sur le fond, le TF reconnait que le statut d’admission provisoire peut, dans certaines situations, porter atteinte à la vie privée, notamment avec l’avancée en âge. Le Tribunal indique que Dara* «subit plus fortement les désavantages liés au statut d’admis provisoire […] que des enfants plus jeunes», en particulier en ce qui concerne son accès à la naturalisation, ses possibilités de mobilité internationale, la réalisation de son parcours de formation et sa recherche de place de stage ou d’emploi d’étudiant·e (tout en reconnaissant que l’admission provisoire permet sur le principe d’exercer une activité lucrative). Ainsi, le TF admet le recours, annule la décision de février 2023, renvoie la cause au SPoMI pour délivrance d’une autorisation de séjour.

Signalé par: Caritas Suisse

Sources: Arrêt TF 2C_157/2023 ; Arrêt TAF E-2074/2015, E-2078/2015

Cas relatifs

Cas individuel — 10/09/2024

Un couple avec enfant doit se battre pour se voir reconnaître son droit au mariage et au regroupement familial

Kayden* est originaire d’Angola et arrive en Suisse à l’âge de 5 ans. Jusqu’en 2015, il bénéficie d’un permis B, qu’il perd en 2016 suite à plusieurs infractions pénales. Kayden* a un fils né en 2014. Il se met en ménage avec Valérie, ressortissante suisse. En 2021, Valérie* est enceinte et le couple fait une demande d’autorisation de séjour pour Kayden* en vue de leur mariage, mais le Service de la population du canton de Fribourg (SPoMI) refuse la demande et prononce le renvoi de Suisse. La décision est motivée par le fait que Kayden* a transgressé à plusieurs reprises la loi, que son intégration économique serait un échec et que sa relation avec son fils se limiterait à l’exercice d’un droit de visite. Kayden* dépose un recours contre cette décision au près du Tribunal cantonal (TC). Le couple devra attendre jusqu’en octobre 2022 pour que le TC admette le recours de Kayden*. Le TC reconnait que rien ne permet de douter des intentions matrimoniales des fiancé·es et qu’un renvoi en Angola priverait les enfants du lien avec leur père. Il considère en outre qu’il serait disproportionné d’exiger le retour du recourant en Angola, pays qu’il a quitté à l’âge de cinq ans et qu’il ne connait pas, pour revenir en Suisse une fois le mariage conclu. Le TC annule donc la décision du SPoMI et l’invite à délivrer à Kayden* une autorisation de séjour en vue du mariage.
Cas individuel — 13/08/2024

Plus de 30 ans en Suisse, à l’AI, âgé de 64 ans : aucune perspective pour un permis B

Albert* dépose des demandes de transformation de son permis F en permis B, mais se les voit refusées, au motif que son intégration ne serait pas réussie. Un jugement qui enlève à Albert, aujourd’hui âgé de 64 ans et reconnu en incapacité totale de travail par l’assurance invalidité, toute possibilité de régularisation future de son statut de séjour en Suisse.
Cas individuel — 13/12/2010

Décision de renvoi du père d’un enfant
suisse à cause de son passé pénal

« Saïdou », requérant d’asile débouté, vit en Suisse depuis 1996. En 1998, il est condamné à 18 mois de prison avec sursis. En 2001, il est emprisonné 5 jours. En 2003, un enfant naît de sa relation avec une suissesse. Il demande en 2007 un permis pour vivre auprès de son fils, mais l’ODM refuse, retenant son manque d’intégration et ses condamnations pénales.
Cas individuel — 11/06/2007

L'autorité la prive de son père pour pouvoir expulser sa mère

"Meliane", 2 ans, risque de devoir partir avec sa mère en Côte d’Ivoire, malgré les liens affectifs étroits noués avec son père suisse. L’ODM refuse en effet un permis humanitaire à sa mère. Pourtant "Meliane" est aujourd’hui suissesse.