«Mes enfants sont terrorisés. Je ne sais plus quoi faire ni comment arrêter ce calvaire.»
Léonie*, ressortissante Burundaise, est victime de persécutions dans son pays. En juin 2022, elle demande l’asile en Suisse avec ses trois enfants. Leur demande est rejetée en 2023 par le SEM puis par le TAF. La famille subit alors un véritable harcèlement policier: alors que Léonie* est hospitalisée en psychiatrie, son fils est arrêté à leur domicile pour être détenu à l’aéroport puis relâché. Sa fille aînée est également arrêtée à deux reprises, emmenée à l’aéroport puis relâchée. Enfin, la fille cadette se retrouve hospitalisée en psychiatrie, dans un état de choc, après que des agents ont essayé de l’arrêter au cabinet de sa psychologue. Malgré ces arrestations à répétition, Léonie* et ses enfants demandent le réexamen de leur décision d’asile, en raison d’éléments nouveaux survenus au Burundi et de l’état de santé de Léonie* qui se dégrade. Le SEM suspend l’exécution du renvoi de cette dernière, mais refuse de réexaminer la demande des enfants, désormais tous trois majeurs.
Personne concernée (*Prénom fictif): Léonie* et ses trois enfants
Origine: Burundi
Statut: permis N
Chronologie
2022: arrivée en Suisse et demande d’asile (juil.)
2023: refus d’asile (juil.) et recours au TAF (août)
2024: refus du TAF (mai), détention du fils et hospitalisation de Léonie*, demande de réexamen (nov.)
2025: refus du réexamen pour les enfants (fév.) et nouvelles arrestations
Questions soulevées
- La famille subit un véritable harcèlement policier, alors qu’aucun laisser-passer ne pouvait être délivré en cas de refus de retour volontaire au Burundi. La violence psychologique exercée lors de ces arrestations à répétition, ainsi que les mesures de contrainte telles que menottage durant le trajet, ne viole-t-elle pas le principe de proportionnalité (rapport CNPT, 2023)?
- Comment se fait-il que l’autorité cantonale en charge de l’exécution du renvoi ne tiennent pas compte de l’état de santé fragile de Léonie* et de ses enfants, alors que la responsabilité des cantons en la matière a été reconnue par le TF?
- La famille a subi plusieurs tentatives de renvoi échelonnés qui, s’ils s’étaient réalisés, auraient mené à la séparation de ses membres. N’est-ce pas là une mesure inadéquate et disproportionnée, dénoncée par la Commission nationale de prévention de la torture (CNPT) dans son rapport annuel?
- Les dossiers juridiques de Léonie* et de ses enfants ont été séparés lorsque ces derniers ont atteint leur majorité. Partant, si Léonie* obtient un jour l’asile, ce ne sera pas forcément le cas de ses enfants. Or, si Léonie* avait quitté le Burundi sans les emmener avec elle, un regroupement familial après l’obtention de son permis n’aurait pas été possible compte tenu de leur âge. Léonie* n’a-t-elle donc aucune voie légale pour garder ses enfants auprès d’elle? Cette absence de protection de la cellule familiale même au-delà de la majorité, ne vas-t-elle pas à l’encontre du droit au respect de la vie familial protégé par l’art. 8 CEDH?
Description du cas
Léonie*, née en 1982, est originaire du Burundi et appartient à l’ethnie tutsi. Au cours de sa vie, elle connait des discriminations liées à cette appartenance, dans sa vie professionnelle notamment. À partir de 2014, elle a des ennuis avec les autorités burundaises, en raison notamment des activités politiques de son mari, membre d’un parti d’opposition. Elle-même participe à des manifestations pacifistes, à des réunions et signe une pétition. En 2015, son époux fuit le pays et le Service national de renseignements (SNR) perquisitionne le domicile conjugal. En 2018, Léonie* est arrêtée par le SNR, détenue et violemment agressée par des agents. Elle parvient à s’enfuir de prison avec l’aide d’un ami. En 2022, les menaces reprennent à la suite de dénonciations et Léonie* est à nouveau victime de violences. Peu après, ses deux filles subissent une tentative d’enlèvement. En juin 2022, Léonie*, ses deux filles (17 et 19 ans) et son fils (20 ans) parviennent à fuir le pays au moyen d’un visa Schengen à destination de la Suisse.
En juillet 2022, la famille dépose une demande d’asile (Léonie* et sa fille ensemble, sa fille majeure et son fils majeur chacun de leur côté). Léonie* est alors suivie par une psychologue pour un stress post-traumatique, des troubles du sommeil et un sentiment d’anxiété. Elle voit également une gynécologue. En juillet 2023, le SEM notifie à toute la famille une décision de refus d’asile et prononce leur renvoi de Suisse. En août, Léonie* et ses enfants interjettent des recours contre ces décisions, avec l’appui d’une mandataire commune.
En mai 2024, le TAF rejette les recours, au motif principal que la famille n’aurait pas été en mesure de rendre leurs motifs d’asile crédibles. À plusieurs reprises, le SEM puis le TAF estiment que les discours de Léonie* et de ses enfants ne seraient pas vraisemblables, pas assez détaillés, peu convaincants ou «préfabriqués». Le fils et la fille cadette de Léonie* commencent l’école, mais sa fille aînée se voit interdite de réaliser un apprentissage. En septembre 2024, Léonie* apprend la nomination d’un de ses agresseurs à un poste élevé dans le gouvernement burundais, ce qui aggrave son stress et son anxiété.
Depuis leur refus d’asile, la famille subit un harcèlement policier. En novembre, alors que Léonie* est hospitalisée en psychiatrie, la police vient arrêter son fils à leur domicile. Il est placé en garde à vue à la prison de Sion, y passe la nuit puis est transporté jusqu’à l’aéroport de Genève, menotté. Il y passe une nouvelle nuit en détention, puis est ramené en Valais après avoir signalé son refus du renvoi au Burundi et rentre à la maison. Après cette arrestation, Léonie* et ses enfants (la cadette est à présent majeure) demandent le réexamen de leur demande d’asile, invoquant notamment la nomination de l’agresseur au gouvernement, ainsi que la dégradation de la santé de Léonie*.
En janvier 2025, le SEM décide de suspendre l’exécution du renvoi de Léonie*, et refuse de traiter les demandes de réexamen de ses enfants simultanément (séparation des dossiers). Un soir, la fille aînée de Léonie* est arrêtée par la police à leur domicile. Elle est emmenée à l’aéroport et finalement ramenée à la maison tard dans la nuit après avoir signifié son refus de partir. En février, le SEM rejette la demande de réexamen des trois enfants de Léonie*.
Début mars 2025, la police revient pour arrêter les trois enfants. Le fils de Léonie est absent et sa fille cadette est en consultation chez son psychologue. La police arrête alors à nouveau la sœur aînée et la conduit à l’aéroport. D’autres policiers se rendent au cabinet de la psychologue où se trouve la sœur cadette. Celle-ci se retrouve en état de choc, la psychologue appelle une ambulance qui l’amène aux urgences puis à l’hôpital psychiatrique. Après avoir refusé son renvoi, la fille aînée est à nouveau ramenée chez elle tard dans la nuit. Ayant été empêchée d’emporter ses clés avec elle au moment de son arrestation, elle se trouve coincée à l’extérieur de l’appartement durant deux heures, sans accès à ses médicaments contre l’asthme, jusqu’au retour de Léonie*. Traumatisée, elle n’ose plus sortir sans la présence de sa mère.
En mars, les trois enfants de Léonie* sont hospitalisé·es tour à tour pour des troubles psychiques. Malgré cela, la police convoque les trois enfants au commissariat pour la fin du mois, en vue d’une audition dans le cadre d’une procédure pénale pour insoumission à une décision de l’autorité et infractions LEI. Un certificat médical leur permet finalement de ne pas aller au rendez-vous. La demande de réexamen de Léonie* est actuellement pendante.
Signalé par: Droit de rester Valais
Sources: témoignage de Léonie* ; arrêt du TAF E-4672/2023