Malgré l’impossibilité de son retour à Gaza, la Suisse le condamne pour séjour illégal
Sportif originaire de Gaza, Bashir* réalise une tournée en Europe. Mais il se retrouve coincé suite à la fermeture de la frontière entre Gaza et l’Egypte. Séjournant chez des ami·es en Suisse, il y dépose une demande de permis de courte de durée en 2015, en expliquant sa situation. Puis il dépose également une demande de reconnaissance d’apatridie. Mais ses deux requêtes sont rejetées. Il retourne alors en Allemagne, pays émetteur de son visa Schengen, pour y demander l’asile. Sa demande est refusée et l’Allemagne lui délivre en outre une interdiction de territoire d’une durée de 30 mois. Sans alternative, Bashir* revient alors en Suisse en 2018. Suite à un contrôle de police, il est condamné pour séjour illégal à une amende de 2’705 CHF.
Personne concernée (*Prénom fictif): Bashir*
Origine: Palestinienne
Statut: sans statut
Chronologie
2015 : arrivée en Suisse (nov.)
2016 : demande d’autorisation de séjour courte durée (jan.)
2017 : demande d’apatridie (fév.) ; décision négative (août) ; demande d’asile en Allemagne (nov.)
2018 : refus d’asile (jan.) ; retour en Suisse (fév.) ; condamnation pour séjour illégal et opposition (mai)
2019 : rejet de l’opposition et amende (jan.)
Questions soulevées
- Comment peut-on condamner une personne pour séjour illégal alors que son renvoi est factuellement impossible ?
- N’est-il pas abusif de refuser un permis de séjour, même pour une courte durée, à une personne qui ne peut pas retourner chez elle, en sachant que cela revient à la maintenir dans une situation où elle risque des condamnations à répétitions pour séjour illégal ?
- N’est-il pas incohérent de refuser l’apatridie au prétexte que la personne est enregistrée auprès de l’UNRWA alors même qu’elle ne peut pas retourner dans le pays où opère cette agence ? C’est d’’ailleurs ce que reconnaitra le Tribunal fédéral dans un arrêt 5 ans plus tard
- Comment peut-on exiger d’une personne sans aucun revenu de payer une amende de 2700.- ?
Description du cas
Bashir*, originaire du sud de la bande de Gaza, est un sportif. En août 2015, l’Allemagne lui délivre un visa d’une durée de trois mois pour réaliser des compétitions dans plusieurs pays de l’espace Schengen. Il arrive en Suisse au mois de novembre de la même année.
Entre-temps, l’Egypte a décidé de refermer le point de passage de Rafah entre son territoire et la Bande de Gaza. Bashir* se voit donc dans l’impossibilité de rentrer, alors que son visa Schengen échoit à la fin novembre 2015. Avec l’aide d’un mandataire juridique, il écrit aux autorités du canton où il séjourne pour demander une prolongation de son visa Schengen afin de ne pas se retrouver dans une situation de séjour irrégulier. Il précise qu’il est hébergé par un ami et ne demande donc aucune prise en charge financière à la Suisse. Sa demande reste sans réponse. En janvier 2016, il dépose une demande d’autorisation de séjour courte durée (permis L), mais celle-ci reste également sans réponse.
En février 2017, après un an d’attente sans nouvelles, il dépose une demande de reconnaissance d’apatridie. En août 2017, cette requête est rejetée : le SEM rappelle que l’enregistrement de Bashir* auprès de l’agence onusienne pour les réfugié∙es palestinien∙nes (UNRWA), l’exclut de fait de la Convention sur l’apatridie. Le fait que Bashir* ne puisse dans les faits plus accéder à la protection de l’UNRWA en raison de l’impossibilité de son retour n’est aucunement pris en compte.
Sans aucune perspective de régularisation en Suisse, Bashir* décide alors de retourner en Allemagne où il demande l’asile en novembre 2017. Il y est enregistré comme « sans Etat » (Staatenlos) et auditionné sur ses motifs d’asile. Durant son audition, Bashir* rappelle la situation délétère et dangereuse à Gaza, en raison des bombardements israéliens et du siège imposé depuis des années par Israël et l’Egypte. Il explique avoir déjà vécu trois guerres, dont il garde un état de stress post-traumatique.
En janvier 2018, sa demande d’asile est rejetée : l’autorité allemande considère que la mauvaise situation de la Bande de Gaza ne représente pas une persécution individuelle. À nouveau, il est également souligné que son enregistrement auprès de l’UNRWA le prive du statut de réfugié, puisque la Convention sur les réfugié∙es prévoit précisément l’exclusion des Palestinien∙nes qui se trouvent sous mandat de l’UNRWA, tant que la protection de cette agence est possible. Or, l’Allemagne estime qu’un retour dans la Bande de Gaza est « en principe possible » et donc que la protection de l’UNRWA ne peut pas être considéré comme arrêtée. L’Allemagne ajoute que si Bashir* ne pouvait pas rentrer à Gaza en raison de la fermeture du point de passage, il pourra toujours se rendre en Cisjordanie. Enfin, elle assorti à sa décision une interdiction de territoire de 30 mois.
Ne sachant pas où se rendre, Bashir* revient en Suisse où il a des contacts. Il n’y demande pas l’asile puisqu’il sait qu’il tombera sous le coup des accords de Dublin. En mai 2018, il se fait contrôler dans la rue par une patrouille de police. Comme il n’a pas de titre de séjour, il est condamné par ordonnance pénale pour séjour illégal et reçoit une amende de 1’280 CHF assortie d’une interdiction d’entrée en Suisse. Il fait opposition en expliquant à nouveau être dans une impasse puisqu’il ne peut pas retourner à Gaza. Il est convoqué pour une comparution devant la justice de paix, mais son opposition est finalement rejetée. À l’amende initiale qu’il est condamné à payer, s’ajoutent les frais de procédure, pour un montant total de 2’705.90 CHF.
Malgré tous ces obstacles, et en l’absence d’alternatives, Bashir* reste en Suisse. Il y entame un suivi psychologique pour traiter les séquelles que lui laissent les attaques israéliennes contre Gaza renforcées par ces années d’errance administratives. Lorsqu’il repense à son parcours en Europe, il dénonce l’absence complète de soutien de la part des autorités : « c’était une période incompréhensible pour moi, j’étais perdu. Ils m’ont complétement abandonné. J’aurais souhaité que les autorités n’appliquent pas la loi, mais la justice. »
Signalé par : rencontre directe avec Bashir*
Sources : entretien avec Bashir*, décision d’asile allemande, ordonnance pénale, amende, décision du SEM sur l’apatridie