L’ODM le renvoie en Italie sans aucune garantie de prise en charge médicale

En 2010, « Hakim », après avoir transité par l’Italie, dépose une demande d’asile en Suisse. Souffrant de graves troubles psychiques, son transfert sur la base des accords de Dublin nécessite, selon le TAF, de prendre des précautions particulières. Mais l’ODM exécutera son transfert sans attendre des autorités italiennes la garantie d’une prise en charge adéquate.

Personne(s) concernée(s) : « Hakim », né en 1980

Statut : demande d’asile -> renvoi Dublin

Résumé du cas

En 2010, « Hakim », ressortissant tunisien, dépose une demande d’asile en Suisse. Ayant transité par l’Italie, il reçoit une décision de non-entrée en matière et de renvoi Dublin (art.34 al.2 let.d LAsi) contre laquelle il fait recours en invoquant de graves problèmes de santé psychique et les conditions précaires rencontrées en Italie. Bien que rejetant le recours, le TAF admet que l’ODM devra prendre des mesures concrètes et fournir aux autorités italiennes tous les renseignements nécessaires pour qu’« Hakim » bénéficie d’une prise en charge adaptée à ses besoins dès son arrivée en Italie.
Détenu puis renvoyé en Italie, « Hakim » fait face à une absence totale de prise en charge. De retour en Suisse, il dépose une seconde demande d’asile et sollicite, par le biais de son mandataire, des éclaircissements auprès de l’ODM quant aux mesures prises pour organiser son transfert. L’ODM précise avoir transmis aux autorités italiennes une traduction de son certificat médical. Recevant une deuxième décision de NEM, « Hakim » fait à nouveau recours, reprochant à l’ODM de ne pas avoir pris les dispositions que son état psychique exigeait. Dénonçant la précarité qui l’attend en Italie, il demande que la clause humanitaire de l’art.29a al.3 OA1 soit appliquée, afin que la Suisse entre en matière sur sa demande d’asile. En 2012, le TAF rejette le recours, arguant qu’il n’y a aucune preuve que l’Italie ne respecte pas les normes européennes minimales d’accueil. Quant à la carence de l’ODM en matière d’organisation d’une prise en charge adéquate, le TAF se contente de rappeler à l’ODM que lors du prochain transfert, il devra vérifier que les autorités de l’Etat d’accueil soient informées de l’état de santé de l’intéressé, et ce « dans la mesure du possible » (E-6538/2011).

Questions soulevées

Pourquoi le TAF n’exige-t-il pas de l’ODM qu’il attende les garanties formelles d’une prise en charge adéquate avant de transférer « Hakim » au lieu de seulement vérifier « dans la mesure du possible » que les autorités italiennes soient informées de son état de santé?

Compte tenu de la fragilité d’« Hakim » et des conditions d’accueil en Italie (cf. rapports de PRO ASYL et de l’OSAR/Juss-Buss), la Suisse ne devrait-elle pas s’estimer compétente pour examiner sa demande d’asile et renoncer ainsi à un nouveau transfert Dublin?

Chronologie

2010 : dépôt de la demande d’asile (nov.)

2011 : refus de l’ODM (mars) ; recours au TAF (avril) ; rejet du TAF (juin) ; détention et transfert (sept.) ; seconde demande d’asile (sept.) ; interdiction d’entrée, recours (oct.) ; second refus de l’ODM (nov.) ; recours au TAF (déc.)

2012 : rejet du TAF (mai)

Description du cas

En 2010, « Hakim », ressortissant tunisien, arrive en Suisse et y dépose une demande d’asile. Ayant transité par l’Italie, il reçoit une décision de non-entrée en matière et de renvoi fondée sur le règlement Dublin (art.34 al.2 let.d LAsi), décision contre laquelle il interjette recours, invoquant de graves problèmes de santé psychique et les conditions précaires rencontrées en Italie. À l’appui de sa demande, « Hakim » fournit un rapport médical attestant qu’il souffre d’un syndrome post-commotionnel, de troubles mentaux, d’atteintes délirantes et qu’il existe un fort risque de suicide. Bien que rejetant le recours, le TAF précise que les autorités suisses doivent, préalablement au transfert, prendre des mesures concrètes et fournir aux autorités italiennes tous les renseignements nécessaires pour qu’« Hakim » puisse bénéficier d’une prise en charge adaptée à ses besoins médicaux et que soit ainsi évitée toute rupture de son traitement psychiatrique.

« Hakim » est placé en détention en vue de son renvoi le 13 septembre 2011, mais son mandataire ne reçoit la décision annonçant la prise de mesures de contrainte que 45 minutes avant l’audience et ne peut donc pas s’y rendre. Renvoyé en Italie le surlendemain, « Hakim » fait face à une absence totale de prise en charge et se voit remettre un avis d’expulsion.

De retour en Suisse après quelques jours, « Hakim » dépose une seconde demande d’asile avant de recevoir une interdiction d’entrée contre laquelle il forme recours, rejeté par le TAF en juillet 2012. Désirant connaître les mesures prises par les autorités suisses pour lui garantir une prise en charge appropriée à son arrivée en Italie, le mandataire d’« Hakim » demande à l’ODM de lui fournir des précisons quant aux démarches effectives réalisées. L’ODM se contente alors de répondre que les autorités italiennes se sont vues remettre une traduction de son certificat médical.

Peu après, l’ODM notifie à « Hakim » une seconde décision de non-entrée en matière et de transfert vers l’Italie, contre laquelle il fait à nouveau recours, reprochant à l’ODM la violation de son droit d’accès au dossier, puisque les pièces liées à l’organisation de son transfert ne lui ont pas été fournies. À ses yeux, ce manque de transparence remet en question l’existence même d’une garantie écrite de la part des autorités italiennes d’assurer une prise en charge adéquate, ce qui serait contraire à l’obligation de l’ODM d’être attentif, dans l’organisation du transfert, aux précautions qu’appelle l’état de santé du requérant (E-5607/2010). Quant aux conditions d’accueil qu’offre l’Italie, le recours est accompagné de deux rapports dénonçant la forte précarité dans laquelle se trouvent les requérants et le manque flagrant de logements à disposition, ce qui obligent les demandeurs d’asile à se procurer eux-mêmes de quoi survivre. Pour toutes ces raisons, « Hakim » considère que sa situation correspond aux raisons humanitaires de l’art.29a al.3 OA1 et que la Suisse doit traiter sa demande d’asile sur le fond.

En 2012, le TAF rejette le recours et argue qu’il n’y a pour l’heure aucune preuve que l’Italie ne respecte pas les normes européennes minimales d’accueil, précisant que la clause des « raisons humanitaires » de l’art.29a al.3 OA1 ne s’applique pas à des difficultés économiques ou sociales, ou à un statut précaire. Quant à la carence de l’ODM en matière d’organisation d’une prise en charge adéquate, le TAF admet que la simple traduction d’un certificat médical n’est pas suffisante mais considère que, « quand bien même ces griefs seraient justifiés, ils concernent une procédure maintenant close par l’exécution du transfert, et ne revêtent plus de pertinence à la date du présent arrêt ». Le TAF se contente alors de rappeler qu’il incombe à l’ODM et aux autorités d’exécution du transfert de vérifier, préalablement à celui-ci, que les autorités de l’État d’accueil soient pleinement informées des soins requis par l’état de santé de l’intéressé, et ce « dans la mesure du possible » (E-6538/2011).

Signalé par : le Service d’aide juridique aux exilé-e-s (SAJE) à Lausanne, août 2012

Sources : recours (02.12.2011) ; arrêts du TAF E-5607/2010 (19.08.10) et E-6538/2011 (7.05.12).

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