Le TF reconnait l’apatridie d’un Palestinien de Syrie admis provisoirement en Suisse

Le Tribunal fédéral décrète qu’Emad*, Palestinien de Syrie admis provisoirement en Suisse, doit être reconnu apatride en raison de l’inexigibilité de son renvoi et de l’absence de lien avec un autre pays où opère l’UNRWA.

Personne concernée (*prénom fictif): Emad*

Origine: Palestine (réfugié en Syrie)

Statut: Apatride

Chronologie

2014 : arrivée en Suisse et dépôt d’une demande d’asile (sept.)

2015 : rejet de la demande d’asile et décision d’admission provisoire par le SEM, dépôt d’un recours au TAF (avril), demande de la famille d’être reconnus apatrides (déc.)

2017 : rejet par le TAF du recours sur la décision d’asile (avril) et refus du SEM d’octroyer l’apatridie à la famille (octobre).

2020 : rejet par le TAF du recours contre le refus d’apatridie (mars), dépôt de recours au TF concernant la reconnaissance d’apatridie pour Emad* (mai)

2021 : arrêt positif du TF et reconnaissance de l’apatridie (août)

Questions soulevées

  • La Convention relative au statut des réfugiés, de même que la Cour de Justice de l’Union Européenne, préconisent que les personnes qui se retrouvent privées de la protection et de l’assistance de l’UNRWA, dont elle bénéficiaient auparavant, devraient être reconnues réfugiées. Pourquoi est-ce que le TAF n’applique pas cette directive ?
  • La tendance à privilégier l’apatride plutôt que la que la qualité de réfugié politique ne témoigne-t-elle pas d’une volonté de dépolitiser la question palestinienne ?

Description détaillée

Né à Damas, en Syrie, Emad* est réfugié palestinien, tout comme sa femme et leurs 4 enfants. Alors que la guerre éclate dans son pays d’accueil, il prend la fuite en mai 2014 grâce à un visa de l’ambassade suisse lui permettant d’entrer dans l’espace Schengen. Il demande l’asile aux Pays-Bas, mais est transféré en Suisse en vertu du règlement Dublin.  Il y dépose sa demande d’asile en septembre 2014. Emad* fournit aux autorités suisses ses documents de voyage : passeport syrien pour réfugiés palestinien·nes et attestation d’enregistrement auprès de l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine au Proche-Orient (UNRWA). En avril 2015, le SEM nie sa qualité de réfugié, rejette sa demande d’asile et prononce son renvoi de Suisse,mais lui accorde une admission provisoire (permis F) en raison du caractère non exigible de l’exécution du renvoi.

En juin 2015, avec l’aide d’une mandataire, il dépose un recours contre cette décision auprès du TAF en demandant la reconnaissance de sa qualité de réfugié et l’octroi de l’asile. En 2015 et 2016, Emad* fournit de nouveaux moyens de preuve au TAF, afin de démontrer qu’il était en danger en Syrie et que l’UNRWA n’était plus susceptible de lui porter secours et assistance, pour une raison indépendante de sa volonté. En avril 2017, le TAF confirme la décision du SEM de refus de la qualité de réfugié et de rejet de l’asile (D-3550/2015).

Entre-temps, en mai 2015, Emad* avait déposé une demande de regroupement familial facilité pour les Syrien·nes, pour faire venir sa femme et ses enfants. En juillet 2015, ils et elles arrivent en Suisse grâce à des visas délivrés par les autorités suisses et obtiennent des admissions provisoires. En décembre 2016, toute la famille dépose une demande de reconnaissance d’apatridie. En octobre 2017, le SEM refuse cette demande d’apatridie, estimant que la clause d’exclusion de la Convention relative au statut des apatrides s’applique puisque la famille peut théoriquement toujours  bénéficier de la protection de l’UNRWA. Le TAF confirme la décision du SEM de rejet de l’apatridie de la famille en mars 2020 (F-6833/2017).

En mai de la même année, Emad* dépose un recours auprès du Tribunal fédéral (TF) contre ce refus du TAF. Dans sa décision d’août 2021 (2C_330/2020), le TF examine si le requérant entre dans le champ d’application de la Convention relative au statut des apatrides. Cette convention définit une personne apatride comme une personne qu’aucun Etat ne considère comme son ressortissant, sans que cette situation ne lui soit imputable et sans qu’il puisse la recouvrer. Emad* étant palestinien, le TF considère qu’iln’a effectivement pas de nationalité ni la possibilité d’en avoir une: il le reconnait donc apatride de jure.

Toutefois, la Convention ayant une clause permettant d’exclure les personnes au bénéfice d’une protection d’une institution des Nations-Unies, il s’agit pour le TF d’évaluer si Emad* bénéficie actuellement d’une assistance de l’UNRWA. Après évaluation de la situation, le TF admet qu’Emad* est enregistré auprès de l’UNRWA et qu’il pourrait bénéficier à nouveau de sa protection en retournant dans une des zones d’intervention de cette dernière (Bande de Gaza, Cisjordanie, Jordanie, Liban, Syrie), à condition seulement qu’il puisse concrètement s’y rendre et qu’il ait un lien avec le pays. Sur ce dernier point, le TF rappelle qu’en lui octroyant une admission provisoire, les autorités suisses ont reconnu qu’il n’était pas raisonnablement exigible qu’Emad* retourne en Syrie. En outre, il ne démontre aucun lien avec une autre zone d’action de l’UNRWA. Le TF conclut donc qu’il serait contraire à la Convention des apatrides de ne pas reconnaître à Emad* ce statut. Il annule la décision du TAF et ordonne au SEM de reconnaître l’apatridie d’Emad*.

Signalé par : Caritas suisse

Sources : Arrêt du Tribunal fédéral 2C_330/2020 ; arrêt du TAF D-3550/2015 

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