Le TF ordonne la reconnaissance du statut d’apatride pour un Syrien ajnabi

Kurde originaire de Syrie et dépourvu de nationalité, Akar* dépose en février 2021 une demande de reconnaissance d’apatridie auprès du SEM. Ce dernier rejette sa demande au motif qu’Akar* n’aurait pas démontré appartenir à la catégorie des Kurdes dits Maktoum (Kurdes reconnu·es apatrides), mais appartiendrait très certainement à la catégorie des Kurdes dits ajnabi – un statut qui lui permettrait, en retournant en Syrie, de réclamer la nationalité syrienne. Saisi par recours, le TAF confirme l’appréciation du SEM. Akar* dépose alors un recours au TF, qui lui donne raison: le TF considère que même si Akar* est Ajnabi, aucune des instances inférieures n’a contesté qu’il était dépourvu de nationalité. Or, en lui octroyant une admission provisoire, elles ont également reconnu que ce retour en Syrie était inexigible, rendant de facto l’accès à une nationalité syrienne impossible. Partant, le TF admet le recours et ordonne la reconnaissance de l’apatridie d’Akar*.

Personne concernée (*Prénom fictif): Akar*

Origine: Kurdistan, Syrie

Statut: Apatride

Chronologie

2020 : demande d’asile (déc.)

2021 : obtention d’une admission provisoire (jan.), demande d’apatridie (fév.), rejet de la demande d’apatridie (juil.), dépôt d’un recours au TAF (août)

2023 : rejet du recours par le TAF (jan.), dépôt d’un recours au TF (fév.) 2024 : acceptation du recours par le TF (mai)

Questions soulevées

Comment se fait-il que le SEM et le TAF refusent de reconnaitre l’apatridie d’Akar* au motif qu’en tant qu’Ajnabi il pourrait demander une nationalité en Syrie, alors qu’ils ont précisément reconnu, en lui octroyant un permis F, que son retour là-bas était inexigible – ce qui rend justement l’accès à la nationalité impossible?

Description du cas

Akar* est kurde originaire de la province syrienne d’al-Hasaka mais ne possède pas nationalité syrienne. Il vit plusieurs années en Irak, puis retourne en Syrie en 2017. En septembre 2020, face à la guerre civile qui se prolonge, il décide de quitter la Syrie et dépose une demande d’asile en Suisse en décembre. En janvier 2021, le SEM rejette sa demande, au motif qu’il ne remplit pas la qualité de réfugié, et octroie à Akar* une admission provisoire (permis F) pour inexigibilité de son renvoi.

En février 2021, Akar* dépose une demande de reconnaissance d’apatridie. En juillet 2021, le SEM rejette sa demande sous prétexte qu’il n’aurait pas réussi à démontrer son appartenance à la catégorie des Kurdes dite «maktoum». En effet, après un recensement établi en 1962 dans la province d’al-Hasaka, nombre de Kurdes résidant en Syrie ont perdu la nationalité syrienne, ce qui les a rendus apatrides. En fonction de leur statut juridique, il est possible de distinguer trois catégories: les Kurdes de nationalité syrienne ; les Kurdes apatrides enregistré·es – qui ont la possibilité depuis 2011 d’obtenir la nationalité syrienne – nommé·es ajanib[i] ; les Kurdes apatrides appelé·es maktoumin[ii]. Le SEM part ainsi du principe qu’Akar* est ajnabi.

Akar* formule un recours auprès du TAF contre la décision du SEM, mais celui-ci est rejeté en janvier 2023 (F-3855/2021). Le mois suivant, il dépose alors un recours auprès du Tribunal fédéral (TF), demandant l’annulation de la décision du TAF et la reconnaissance de son statut d’apatride. Il argue une constatation arbitraire des faits ou des preuves, puisque le SEM et le TAF ont considéré qu’il était de catégorie ajnabi et non maktoum, malgré les éléments de preuves apportés. En mai 2024, le TF confirme la décision du TAF et du SEM concernant l’établissement de sa catégorie ajnabi (2C_111/2023). Toutefois, le TF reconnait qu’aucune instance suisse ne conteste le fait qu’Akar* n’ait pas de nationalité, ni qu’en raison de la situation de guerre civile persistante, on ne puisse raisonnablement exiger du recourant qu’il se rende en Syrie pour la réclamer. Il admet ainsi que le recourant n’a pour l’instant aucune possibilité d’obtenir une nationalité. Contrairement au TAF, le TF estime qu’il ne peut pas être reproché à Akar* de ne pas avoir immédiatement entrepris des démarches de naturalisation après son retour d’Irak en 2017, notamment au vu du risque de se voir enrôler dans l’armée. Le TF souligne enfin qu’il n’est pas possible de considérer qu’Akar* ait intentionnellement refusé d’entamer des démarches pour obtenir la nationalité syrienne en vue d’obtenir un statut d’apatride. Le TF reconnait donc que le recours est fondé et doit être admis. L’arrêt du TAF est annulé et il est ordonné au SEM de reconnaître à Akar* son statut d’apatride.

Sources : ATAF F-3855/2021 ; TF 2C_111/2023 ; ATAF F-6117/2019


[i] Pluriel d’ajnabi.

[ii] Pluriel de maktoum.

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