Homme trans ayant fui la Syrie, le SEM rejette sa demande d’asile au motif qu’il pourrait revenir à un rôle social féminin

Keyan*, homme trans syrien d’origine kurde, demande l’asile en Suisse en octobre 2015 en raison, notamment, de persécutions liées à son orientation sexuelle et son identité de genre. Sa requête est rejetée en février 2019 par le SEM qui estime qu’il pourrait revenir à un rôle social féminin après son retour en Syrie, notamment en dissimulant sa mastectomie effectuée en Suisse et en vivant secrètement ses relations amoureuses. Saisi par Keyan, le TAF casse la décision du SEM en juillet 2022 et ordonne que l’asile lui soit octroyé.

Personne concernée: Keyan* (prénom fictif)

Origine: Syrie

Statut: Permis B réfugié

Keyan*, homme trans syrien d’origine kurde, fuit la Syrie en raison, notamment, de persécutions liées à son orientation sexuelle et son identité de genre. Il dépose une demande d’asile en Suisse en octobre 2015. Le SEM rejette sa demande en février 2019. L’autorité considère que les persécutions que Keyan a subies en raison de son orientation sexuelle ont été mentionnées tardivement dans la procédure d’asile et seraient par conséquent, invraisemblables. De plus, aucun élément ne laisserait penser que les autorités syriennes aient eu connaissance de sa « prétendue homosexualité ». Toujours selon le SEM, Keyan n’aurait par ailleurs pas démontré avoir pris une décision définitive quant à son identité de genre. Il pourrait ainsi « cacher ou réprimer son identité de genre » (arrêt du TAF D-1219/2019 du 22.10.2019 consid.8.4 [notre traduction]) et revenir à un rôle social féminin en Syrie en faisant notamment passer sa mastectomie (opération chirurgicale visant avoir un torse conforme à son identité de genre) pour une intervention médicale contre le cancer du sein. Enfin, les brimades et les pressions exercées sur Keyan par les membres de sa famille pour le contraindre à se marier ne revêtiraient pas une intensité suffisante pour être considérée comme une situation de persécutions.

Keyan dépose un recours auprès du Tribunal administratif fédéral (TAF). Celui-ci rend sa décision en juillet 2022, soit presque sept ans après sa demande d’asile. Le TAF y affirme, à l’instar du SEM, que le fait d’être une personne LGBTIQ+ originaire de Syrie ne serait pas, en soi, un critère d’octroi de l’asile. Néanmoins, il admet que l’opération chirurgicale réalisée par Keyan le placerait dans une situation de pression psychologique insupportable en l’obligeant à mener une double vie et à renier sa personnalité. Partant, il ordonne au SEM de lui octroyer l’asile.

Malgré l’issue positive du recours, nous relevons que le raisonnement du TAF reste contraire à la jurisprudence de la CourEDH et de la CJUE puisqu’il examine, dans son arrêt, la possibilité que Keyan opte pour un « comportement discret » pour éviter les préjudices, démarche précisément condamnée par ces deux instances internationales.

Questions soulevées

  • Le SEM comme le TAF, en questionnant la possibilité pour Keyan de vivre son orientation sexuelle et son identité de genre de manière cachée, procèdent d’un raisonnement contraire à celui de la CourEDH et à la jurisprudence européenne. La Suisse ne devrait-elle pas suivre les décisions de ces instances supranationales ?
  • Comment se fait-il que le SEM et le TAF considèrent que l’obligation de vivre son homosexualité en cachette ne suffise pas à fonder une pression psychologique insupportable au sens de l’art. 3 LAsi, alors même qu’ils reconnaissent qu’il s’agit d’un élément fondamental de l’identité personnelle et que le Haut-Commissariat aux droits humains y reconnait un droit humain fondamental (HCDH, Les personnes LGBTI et les droits de l’homme) ? 
  • Le SEM considère invraisemblables certaines persécutions relatées par Keyan en raison de leur invocation tardive. Or, elles ont été mentionnées durant l’audition sur les motifs d’asile. Comment le SEM peut-il considérer cela comme un moment tardif alors que l’audition a justement pour but de permettre à la personne de présenter ses persécutions ? Il a par ailleurs été reconnu que des persécutions touchant à l’intégrité sexuelle sont plus difficiles à exprimer et peuvent survenir bien plus tard dans le récit. Comment se fait-il que le SEM n’en tienne pas compte ?

Chronologie

2015: Demande d’asile (octobre)

2019: Décision négative du SEM (février)

2022: Arrêt du TAF : admission du recours et octroi de l’asile (juillet)

Description du cas

Keyan*, homme trans syrien d’origine kurde, dépose une demande d’asile en Suisse en octobre 2015. Au moment du dépôt de sa demande, il explique avoir subi du harcèlement de la part des autorités syriennes en raison du refus de ses neveux de rejoindre l’armée et de la fuite de sa famille à l’étranger. Lors de l’audition sur ses motifs d’asile, il explique avoir également été harcelé sexuellement et insulté par les autorités syriennes en raison de son orientation sexuelle et sa relation cachée avec une femme. Il raconte en outre les nombreuses insultes et maltraitances physiques exercées à son encontre par les membres de sa famille en raison de son identité de genre et de son refus d’épouser un homme.

En février 2019, le SEM rend une décision négative. L’autorité considère premièrement que les persécutions relatées par Keyan durant son audition sur les motifs d’asile ont été invoquées tardivement et sont donc invraisemblables. Elle estime qu’il n’existerait pas non plus d’indices laissant penser que les autorités syriennes auraient eu connaissance de l’homosexualité de Keyan. En outre, les insultes et maltraitances exercées par la famille de Keyan ne revêtiraient pas, selon le SEM, l’intensité suffisante pour être qualifiées de persécutions. Il en va de même des pressions exercées pour le contraindre à se marier. Concernant la transidentité de Keyan, le SEM affirme, d’une part, que celui-ci n’aurait pas pris de décision définitive quant à l’adaptation de son apparence à son identité de genre puisqu’il n’a pas prévu d’autres opérations physiques que la mastectomie ; d’autre part, le SEM considère que cette mastectomie pourrait, une fois de retour en Syrie, être « dissimulée » ou « déguisée » en un prétendu cancer du sein. Par conséquent, Keyan pourrait revenir à un rôle social féminin et éviter ainsi de subir des persécutions.

Keyan dépose un recours auprès du TAF contre la décision du SEM. Rappelant le contexte de persécutions envers les personnes LGBTIQ+ en Syrie, il explique qu’en tant qu’homme trans qui éprouve une attirance pour des femmes*, il risque doublement de subir des persécutions ciblées en cas de retour. Il soutient que l’exigence de discrétion sur son identité de genre ou son homosexualité représenterait une pression psychique insupportable. À l’appui de son recours, il fournit des rapports médicaux relatifs à sa mastectomie et à son état de santé psychique, des lettres d’organisations de soutien aux personnes LGBTIQ+ ainsi que des rapports sur la situation en Syrie.

En juillet 2019, soit sept ans après le dépôt de sa demande d’asile, le TAF rend son arrêt sur le recours déposé par Keyan. Dans sa décision, le tribunal rappelle que l’orientation sexuelle ainsi que l’identité de genre sont des éléments essentiels de l’identité humaine. Il confirme également qu’en Syrie les rapports homosexuels sont interdits et que le conflit syrien a aggravé les discriminations exercées à l’encontre des personnes LGBTIQ+. Il admet qu’en raison du rejet social, pouvant aller jusqu’aux crimes d’honneur, il n’est pas possible de vivre ouvertement une autre identité de genre en Syrie. Toutefois, l’autorité de recours considère que la simple appartenance au groupe des personnes LGBT en Syrie ne suffit pas à justifier la qualité de réfugié, et qu’il convient d’examiner au cas par cas s’il existe effectivement une crainte individuelle concrète et objectivement fondée de subir des préjudices importants. Et dans un tel cas, si le fait que la personne concernée doive adopter un comportement discret ou conforme aux normes sociales pour éviter de telles persécutions constituerait ou non une pression psychique insupportable au sens de l’art. 3 al. 2 LAsi.

En l’occurrence, le Tribunal considère qu’une telle pression psychique ne peut être reconnue concernant les relations homosexuelles de Keyan, puisque celui-ci a expliqué avoir eu une relation amoureuse secrète avec une femme. L’autorité en déduit qu’il ne lui était pas impossible de mener une vie amoureuse en cachette. Par contre, le TAF admet que la proposition du SEM pour dissimuler la mastectomie est incohérente puisque cette opération chirurgicale masculinise visuellement le torse. Compte tenu des rapports médicaux, notamment émis par le psychiatre, le TAF admet qu’exiger de Keyan qu’il renonce à son identité de genre vécue en tant qu’homme porterait atteinte à son intégrité psychique et aggraverait durablement son état de santé. Il décrète par conséquent que les mesures prises par Keyan pour changer changer son apparence physique constituent des circonstances exceptionnelles qui permettent de conclure à l’existence de pressions psychiques insupportables en cas de renvoi en Syrie.

Signalé par un cabinet d’avocates privé  

Sources : Arrêt du TAF D-1219/2019 ;  CJUE, affaires jointes C-199/12 à C-201/12 du 07.11.13 ; [1] CEDH, affaire I.K. c. Suisse 21417/17 du 18.01.18

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