Le TF déboute le SEM et le TAF pour avoir arbitrairement changé la date de naissance d’un requérant mineur non accompagné
Ismail* arrive seul en Suisse en septembre 2023, à l’âge de 16 ans. Lorsqu’il dépose sa demande d’asile, il indique être né le 8 avril 2007 et fournit deux documents corroborant ses dires. Malgré la reconnaissance de la minorité d’Ismail* par l’Italie, pays par lequel il a transité, le SEM modifie sa date de naissance après l’avoir interrogé sur ses données personnelles lors d’une première audition mais sans réaliser d’expertise médico-légale. Saisi par recours, le TAF confirme la décision du SEM, bien qu’il admette que le choix de la date a pour seul but de rendre Ismail* majeur. Ce dernier dépose alors un recours au TF qui lui donne finalement raison, estimant qu’aucun élément ne permet de remettre en question ses propos et que s’il avait un doute sur son âge, le SEM aurait dû procéder à une expertise médico-légale.
Personne concernée (*Prénom fictif): Ismail*
Origine: Guinée
Statut: permis N
Chronologie
2023 : arrivée en Suisse et dépôt d’une demande d’asile (sept.)
2024 : décision du SEM modifiant la date de naissance (jan.), recours auprès du TAF (fév.), arrêt négatif du TAF et recours auprès du TF (août) 2025 : arrêt positif du TF (jan.) et reprise de l’instruction par le SEM
Questions soulevées
- Comment se fait-il que les autorités puissent librement écarter des éléments confirmant la minorité, y compris l’avis d’un autre Etat européen, et celui de la personne en charge de l’audition d’asile?
- Dans le cas d’un doute, ne devraient-elles pas appliquer systématiquement un principe de présomption de minorité, afin de protéger les droits et l’intérêt supérieur de l’enfant? Face au doute d’une minorité, le fardeau de la preuve ne devrait-il pas être allégé? Comment est-il possible que la Suisse attende d’un enfant qu’il puisse prouver son âge?
Description du cas
Ressortissant guinéen, Ismail* arrive seul en Suisse en septembre 2023, à l’âge de 16 ans. Il dépose une demande d’asile. Lors de son audition, il indique être né en avril 2007. Il explique avoir quitté la Guinée avec son oncle mais qu’il l’a perdu durant le voyage, peu avant d’arriver à Chiasso. Il fournit deux documents à l’appui de sa demande: un extrait du registre de transcription du jugement supplétif d’acte de naissance et le jugement supplétif tenant lieu d’acte de naissance.
Comme Ismail* est passé par l’Italie, où il a été enregistré, le SEM contacte ce pays dans le cadre de la détermination de l’Etat responsable selon le règlement Dublin III. L’Italie répond que les documents fournis par Ismail* confirment qu’il s’agit d’un requérant mineur non accompagné.
Le SEM considère lui que les documents en question ne sont pas susceptibles de prouver l’âge d’Ismail*, que ses déclarations seraient illogiques, qu’il s’était montré évasif au sujet de sa vie en Guinée et de son parcours jusqu’en Suisse. En conséquence de quoi, le SEM procède, en janvier 2024, à une modification de la date de naissance d’Ismail*, qu’il fixe en janvier 2005, ce qui le rend majeur.
Aidée d’une mandataire, Ismail* dépose un recours contre cette modification. En août 2024, le TAF rend un arrêt négatif: il estime que le SEM a suffisamment instruit le dossier d’Ismail* pour se prononcer sur son âge sans qu’une expertise médico-légale ne soit nécessaire. Le TAF reconnait que la date de janvier 2005 a été retenue dans le but de donner Ismail* majeur, mais qu’il suffit que le caractère litigieux de cette date soit mentionné dans la base de données. Il insiste sur le fait qu’Ismail* n’a pas apporté la preuve de l’exactitude de sa date de naissance en avril 2007 et qu’on pouvait remettre en question l’authenticité des documents qu’il avait fourni.
Ismail* et sa mandataire saisissent alors le Tribunal fédéral, qui leur donne raison. Dans son arrêt du 15 janvier 2025, le TF retient que les circonstances du cas ne permettent pas d’écarter d’emblée, sans autre examen, les déclarations d’Ismail* quant à sa minorité. Il souligne que ce dernier a continuellement affirmé être né en avril 2007, ce que corroborent les documents produits ; et que si ceux-ci ne constituent pas des pièces d’identité, ils n’en constituent pas moins des indices dont il y a lieu de tenir compte. En outre, bien qu’ils aient une faible valeur probante compte tenu du manque de clarté concernant leur obtention, on ne peut pas pour autant les considérer comme falsifiés, ni remettre en cause sur cette base la crédibilité personnelle du recourant. Le TF relève que si ce dernier avait établi de faux documents en vue de son départ pour l’Europe, il aurait été en mesure de fournir des explications plus claires à leur sujet et il n’y aurait pas de confusion quant à la date de leur établissement (consid. 2.4.1).
Le TF estime par ailleurs que, contrairement à ce qu’affirment le SEM et le TAF, les propos d’Ismail* ne sont ni contradictoires ni invraisemblables. Au contraire, il relève qu’il a donné des réponses à toutes les questions qui lui ont été posées, et a su fournir des détails sur sa vie personnelle et familiale. Qui plus est, il n’a pas été informé qu’il devait fournir des réponses plus détaillées (consid. 2.4.2). Il ajoute que le TAF ne peut être suivi lorsqu’il affirme qu’il n’est pas crédible qu’’Ismail* ait suivi son oncle aveuglément. C’est, objecte le TF, précisément un comportement que l’on peut voir chez une personne mineure.
Enfin, le TF rappelle que les autorités italiennes ont reconnu la minorité d’Ismail* sur la base des mêmes informations, et que l’employé du SEM en charge de l’audition avait relevé que «durant l’entier de l’audition, son comportement a pu témoigner de son jeune âge». Le Tribunal conclut que dans la mesure où il existait un doute, le SEM aurait dû ordonner une expertise médico-légale pour déterminer l’âge d’Ismail*. Il admet donc le recours et renvoie la cause au SEM pour nouvelle décision.
Signalé par: Caritas Suisse
Source: Arrêt du TF 1C_558/2024