Le TAF reconnait le droit de demeurer d’un homme au bénéfice d’une rente invalidité de 50%
Fabiano*, originaire du Portugal, arrive en Suisse en 1989. Employé en tant que maçon, il enchaîne les autorisations de séjour de courte durée. En mars 2015, une grave maladie lui est diagnostiquée en raison de laquelle il dépose une demande de prestations d’assurance-invalidité (AI). L’office AI ne lui reconnait une invalidité que de 54% car il estime que Fabiano* pourrait travailler à temps partiel dans une activité adaptée. En décembre 2015, Fabiano* sollicite une autorisation de séjour en vertu de son droit de demeurer. Après un premier refus du Service de la population (SPOP), cassé par un arrêt du Tribunal cantonal, le SPOP transmet, en janvier 2020, le dossier au SEM pour approbation. Mais ce dernier refuse, considérant que Fabiano* n’a pas acquis de droit de demeurer, notamment parce qu’il est encore en capacité partielle de travail. Saisi par recours de Fabiano*, le TAF rejette la décision du SEM en juin 2024. Le TAF décrète qu’il ne peut pas être attendu que Fabiano* débute une activité professionnelle alternative au vu de son âge et de son niveau de formation, et reconnait son incapacité de travail permanente. Le TAF confirme que ce dernier peut donc se prévaloir d’un droit de demeurer et ordonne l’octroi d’une autorisation de séjour en sa faveur.
Personne concernée (*Prénom fictif): Fabiano*
Origine: Portugal
Statut: permis B
Chronologie
1989 : première arrivée en Suisse avec permis de courte durée
2008 : obtention d’un permis B
2015 : maladie diagnostiquée (mars), demande de rente invalidité (sept.), demande de permis (déc.)
2017 : refus de la demande de permis par le SPOP, recours au Tribunal cantonal, acceptation d’une demi-rente invalidité (oct.)
2019 : admission du recours par le Tribunal cantonal (juil.)
2021 : refus du SEM (avril), recours auprès du TAF (mai)
2024 : admission du recours par le TAF (juin)
Questions soulevées
- Comment est-ce possible qu’une procédure puisse durer près de huit ans, alors que le Tribunal cantonal avait tranché en faveur de Fabiano* en 2017 déjà? En outre, comment est-ce possible que le SEM s’oppose à l’octroi d’un permis pour droit de demeurer alors même que l’autorité judiciaire cantonale l’avait accepté?
- N’est-il pas problématique que les autorités migratoires refusent le droit de demeurer, sous prétexte que l’AI estime que la personne peut travailler dans un domaine adapté, même si cela n’est absolument pas réaliste dans la plupart des situations, pour des personnes migrantes d’un certain âge, malades et ayant toujours travaillé dans un domaine professionnel bien précis?
- Pourquoi est-ce que les autorités suisses dénient la qualité de travailleur·euse – laquelle est déterminante pour bénéficier d’un droit de séjour – aux personnes avec des taux d’emplois faibles, des contrats à courte durée ou mal rémunérés, alors que la Cour de justice européenne ne conditionne pas cette qualité à de tels critères?
- Cela ne revient-il pas à imposer une double peine pour les personnes migrantes européennes, qui doivent continuer à travailler pour conserver leur permis, y compris si elles ne sont plus en capacité physique de le faire, et parfois bien au-delà de l’âge de la retraite?
Description du cas
Fabiano*, originaire du Portugal, est né en 1962. En 1989, il arrive pour la première fois en Suisse et obtient des autorisations de séjour de courte durée de façon périodique, puis une autorisation de séjour UE/AELE de février 2008 à février 2013, et finalement une autorisation de séjour courte durée de décembre 2014 à décembre 2015.
Employé en tant que maçon, il travaille avec des contrats de courte durée et touche des indemnités chômage durant 3 mois en 2014 et 5 mois en 2015. En mars 2015, une grave maladie lui est diagnostiquée, en raison de laquelle il perçoit des indemnités de l’assurance maladie de juin à août. En septembre, il dépose une demande de prestations d’assurance-invalidité (AI).
En décembre 2015, Fabiano* sollicite une autorisation de séjour en vertu de son droit de demeurer (en effet, l’article 4 de l’annexe I de l’ALCP prévoit que les travailleur∙euses ont le droit de demeurer sur le territoire de l’autre partie contractante s’ils∙elles cessent leur emploi en raison d’une incapacité permanente de travail. En octobre 2017, le Service de la population du canton de Vaud (SPOP) refuse cette demande et prononce son renvoi de Suisse. Ce même mois, l’Office AI du canton de Vaud lui reconnait le droit à une demi-rente d’invalidité (à 54%), rétroactivement depuis avril 2016. Par cette décision, l’AI reconnait que Fabiano* est en incapacité de travail continue dans son activité habituelle mais que, dans une activité adaptée, il pourrait travailler à 50%. En plus de cette demi-rente suisse, Fabiano* reçoit une rente invalidité portugaise de 207.08 euros et une rente française de 85 euros.
Appuyé par une mandataire, Fabiano* fait recours contre la décision de renvoi prononcée par le SPOP. En juillet 2019, le Tribunal cantonal (TC) lui donne raison et annule la décision du SPOP: le TC relève en effet qu’au vu des spécificités de la branche dans laquelle Fabiano* exerçait ainsi que de la continuité dans l’emploi dont il avait bénéficié les trois dernières années auprès du même employeur, ce dernier pouvait se prévaloir du statut de travailleur à la survenance de son incapacité de travail. Il séjournait en outre en Suisse depuis deux ans de manière continue, et remplissait ainsi les conditions du droit de demeurer.
En janvier 2020, le SPOP transmet donc favorablement le dossier au SEM. Mais en avril 2021, ce dernier refuse la demande et prononce le renvoi de Fabiano* de Suisse, considérant que les conditions pour la reconnaissance d’un droit de demeurer ne sont pas remplies, notamment parce qu’il aurait encore une capacité de travail de 46% et qu’il ne bénéficierait ainsi pas d’une rente AI complète. En mai, un recours est déposé contre cette décision par la mandataire de Fabiano* auprès du TAF. En septembre 2021, le TAF obtient le dossier AI de Fabiano*.
En juin 2024, le TAF rend son jugement. Il relève que si Fabiano* a bien une capacité de travail résiduelle de 46% dans une activité adaptée, force est de constater qu’il ne peut pas être attendu de lui qu’il débute une activité professionnelle alternative, au vu de son âge (62 ans), de son niveau de formation et de son autonomie financière. Par conséquent, le TAF reconnait une incapacité de travail permanente à Fabiano* et confirme que ce dernier peut se prévaloir d’un droit de demeurer sur les mêmes arguments que le TC. Partant, le TAF prononce une admission du recours, l’annulation de la décision attaquée et l’octroi d’une autorisation de séjour en faveur de Fabiano*.
Signalé par: CSP Vaud, la Frat
Sources: Arrêt du Tribunal cantonal PE.2017.0481 ;Arrêt du TAF F-2182/2021.