Le SEM sanctionné pour avoir bafoué le droit d’être entendu d’une personne homosexuelle

Lors de son audition, Nassim* ne parvient pas à exprimer les raisons de sa fuite en raison de la présence d’un interprète et d’un auditeur avec qui il ne se sent pas en confiance. Pourtant, le SEM prend une décision et lui refuse toute protection. Nassim* doit effectuer deux recours auprès du TAF afin de faire reconnaître son droit d’être entendu.

Personne concernée: Nassim* (prénom fictif)

Origine: Irak

Statut: Permis N

Résumé du cas

Originaire d’Irak où il vivait avec son frère, Nassim* a fui son pays à cause de son homosexualité et de persécutions subies. Il dépose en octobre 2019 une demande d’asile en Suisse. Lors de sa première audition, Nassim* ne parvient pas à exposer ses motifs d’asile, en raison des conditions de l’audition. Le SEM rejette sa demande et Nassim* interjette un recours auprès du TAF, dans lequel il précise qu’il n’a pas osé mentionner son homosexualité, d’une part parce que l’interprète lui a indiqué être kurde musulman, et d’autre part parce l’interprète et l’auditeur parlaient en arabe ensemble.

Suite au recours, le SEM annule très vite sa décision et reprend l’instruction de la cause. Un rapport médical vient compléter le dossier de Nassim* en attestant des événements traumatiques subis

En octobre 2020, le SEM rejette à nouveau la demande d’asile de Nassim*, estimant qu’il ne peut considérer la pertinence de son homosexualité comme étant la cause de sa fuite. Par ailleurs, le SEM reproche au requérant l’invraisemblance de ses propos et le fait de n’avoir mentionné son orientation sexuelle à aucune étape de la procédure d’asile. Nassim*, par le biais de sa mandataire, dépose un nouveau recours auprès du TAF où il rappelle que son homosexualité a été invoquée dans le recours de novembre 2019.

En janvier 2021, le TAF (D-5654/2020) admet le recours de Nassim* et reconnaît que son droit d’être entendu a été gravement et manifestement violé. Il annule la décision du SEM et lui renvoie l’affaire pour qu’il procède à une nouvelle audition et que celle-ci soit conduite, dans la mesure du possible, par une autre personne.

En décembre 2021, l’audition est organisée mais Nassim*, entre temps hospitalisé, ne s’y rend que pour indiquer qu’il ne souhaite pas être entendu par un homme. En janvier 2022, l’audition a lieu avec une auditrice. Nassim* a toujours beaucoup de mal à raconter son histoire et dévoiler ses motifs d’asile. L’auditrice finit par lever l’audition, proposant à Nassim* de reprendre l’entretien quelque mois plus tard, lorsqu’il se sentira prêt.

Questions soulevées

  • Les conditions dans lesquelles sont réalisées les auditions au sujet des motifs d’asile sont cruciales pour instaurer un climat permettant aux requérant·es d’exposer leurs motifs d’aile. Comment se fait-il qu’il faille deux recours auprès du TAF pour que Nassim* se voit reconnaître son droit d’être entendu?
  • En raison du rythme soutenu de la procédure, Nassim* a dû, très peu de temps après son arrivée, raconter son histoire devant des personnes inconnues, alors qu’un suivi de santé n’avait pas pu être mis en place. L’instauration d’un climat sûr et d’une mise en confiance de tou·tes les requérant·es d’asile, en particulier celles et ceux ayant subi des traumatismes rendant les récits difficiles, n’est-elle pas primordiale pour assurer la qualité des décisions?

Chronologie

2019 : demande d’asile (oct.), rejet de la demande par le SEM et recours auprès du TAF (nov.), annulation de la décision par le SEM et reprise de l’instruction (déc.).

2020 : second rejet de la demande par le SEM (oct.), recours auprès du TAF (nov.).

2021 : arrêt du TAF admettant le recours (jan.). 2022 : nouvelle audition (jan.).

Description du cas

Nassim* est originaire d’Irak où il vivait avec son frère, qui a pris la place du patriarche depuis le décès de son père. En octobre 2019, il dépose une demande d’asile en Suisse. Lors de son audition, Nassim* fond en larme dès que l’auditeur, secondé par un interprète, lui demande d’exposer ses motifs d’asile. Il réclame une pause et finit par expliquer que son frère lui a fait subir des maltraitances physiques et psychiques. Toutefois, il ne parvient pas à évoquer les raisons de sa fuite et ne parle pas de son homosexualité, en raison des conditions de l’audition.

Quelques semaines plus tard, le SEM rejette la demande d’asile de Nassim* et prononce son renvoi de Suisse. Un recours est déposé auprès du TAF par la mandataire de Nassim*. Elle explique que le recourant lui a confié avoir une attirance pour les hommes, mais qu’il n’a pas osé mentionner son homosexualité lors de l’audition, parce que l’interprète lui avait indiqué être kurde musulman et parce que l’interprète et l’auditeur conversaient en arabe ensemble. La mandataire ajoute que des éléments déterminants, comme des persécutions et une séquestration de Nassim* n’ont pas non plus été abordés lors de l’audition. Elle reproche également au SEM l’absence d’instruction des motifs médicaux, pourtant demandée et alors qu’il y avait des attestations médicales au dossier faisant état de troubles physiques et psychiques.

En décembre 2019, le SEM annule sa décision et reprend l’instruction de la cause. Le recours au TAF est donc radié. Nassim* entre en procédure étendue et est attribué au canton de Vaud. Il est alors suivi par le SAJE. En juillet 2020, un rapport médical vient compléter le dossier de Nassim*, signé par son psychiatre et son psychologue qui le suivent depuis février 2020. Ils attestent d’événements traumatiques très difficiles à évoquer par le patient, avec des moments de dissociation et de reviviscences. Le requérant craint d’être dénoncé ou de se trouver en danger de mort en raison de son orientation sexuelle et présente des troubles importants (notamment une anxiété généralisée et un stress post-traumatique)

En octobre 2020, le SEM rend une nouvelle décision négative et prononce le renvoi de Nassim*. L’autorité estime que le fait que l’homosexualité de Nassim* soit la cause des problèmes avec son frère n’est ni pertinent, ni vraisemblable. Le SEM reproche aussi au requérant de ne jamais avoir mentionné son orientation sexuelle, à aucune étape officielle de la procédure d’asile. Par le biais de son nouveau mandataire, Nassim* interjette un recours auprès du TAF en novembre 2020. Il rappelle que son homosexualité a déjà été invoquée dans le recours de novembre 2019. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le SEM a annulé sa première décision et repris l’instruction de la cause.

En janvier 2021, le TAF (D-5654/2020) reconnaît une grave et manifeste violation du droit d’être entendu de Nassim* et juge l’argumentation du SEM  «incompréhensible». Les juges annulent la décision et concluent à une violation du droit fédéral et à un établissement incomplet de l’état de fait pertinent (art. 106 al. 1 let. a et b LAsi). La cause est une nouvelle fois renvoyée au SEM pour complément d’instruction. Le TAF souligne la nécessité de prévoir une nouvelle audition (art. 29 al. 1 LAsi) qui doit être menée, dans la mesure du possible, par un auditeur différent de celui ayant officié en novembre 2019.

En décembre 2021, l’audition est organisée mais Nassim*, entre temps hospitalisé, ne s’y rend que pour indiquer qu’il ne souhaite pas être entendu par un homme. En janvier 2022, l’audition a lieu, avec une auditrice, mais Nassim* a toujours beaucoup de mal à raconter son histoire et dévoiler ses motifs d’asile. Plusieurs pauses sont nécessaires. Une personne de VoGay l’accompagne, en plus de sa représentante juridique. L’auditrice finit par lever l’audition, proposant à Nassim* de reprendre l’entretien quelques mois plus tard, lorsqu’il se sentira prêt.

Signalé par: EPER/SAJE, Vaud – mai 2022

Sources: arrêt du TAF D-5654/2020 ; échanges avec la mandataire du SAJE

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