Le SEM met en doute le récit et prononce le renvoi d’un Érythréen de 19 ans

Arrivé comme MNA, « Bereket » est entendu sur ses motifs d’asile deux ans après avoir déposé sa demande. Pour le SEM, ses propos manquent de détails et de consistance. Le SEM qualifie son récit d’invraisemblable, lui refuse l’asile et prononce son renvoi vers l’Erythrée.

Mise à jour

Le TAF confirme la décision du SEM en décembre 2019 (E-4831/2017, non publié). Selon l’instance judiciaire, le recourant n’a pas rendu vraisemblable qu’il avait été arrêté puis emprisonné, ni qu’il avait fait l’objet de convocations l’appelant concrètement à se rendre au service militaire. Les juges estiment que ses propos sont divergents, confus et dénués de détails, et que le rappel de convocation au service militaire, fourni par la mère du recourant, a « toutes les caractéristiques d’une pièce confectionnée pour les besoins de sa cause ». Les demandes réitérées de la mandataire de « Bereket » de prendre en compte son jeune âge dans l’appréciation de la vraisemblance de ses propos sont ignorées. Se fondant sur la nouvelle pratique à l’égard des Erythréen∙ne∙s, le TAF estime que le renvoi est licite, exigible et possible, car il s’agit d’un jeune homme et qu’il n’y a pas circonstances personnelles particulières à prendre en compte. Le recours est rejeté et la décision de renvoi du SEM est confirmée.

Personne(s) concernée(s) : « Bereket », né en 1998

Statut : Demande d’asile rejetée

Résumé du cas

« Bereket » est emprisonné à 16 ans et interrogé au sujet de son frère, soupçonné de désertion. À sa sortie de prison il est exclu de l’école et reçoit une convocation pour le service national. Il décide de fuir l’Erythrée et arrive en Suisse en 2015 en tant que MNA après un périple de sept mois. L’audition sur ses motifs d’asile a lieu deux ans plus tard. Devenu majeur, il ne bénéficie plus des mesures spécifiques prévues pour les enfants (art. 17 LAsi et art. 7 OA1). Son récit n’est pas considéré comme vraisemblable par le SEM qui rejette sa demande d’asile. Dans son recours au TAF, sa mandataire reproche au SEM de ne pas avoir tenu compte de son jeune âge. Elle affirme que « Bereket » aurait pu donner des détails sur ses conditions de détention si ceci lui avait été demandé explicitement, plutôt que par des questions générales telles que : « Racontez-nous tout ce que vous pouvez ». Par ailleurs, le SEM doute de ses déclarations relatives à son recrutement car il n’a pas présenté la convocation reçue. Le jeune homme explique qu’au moment de fuir, il n’a pas pensé que ce document aurait une importance dans sa future procédure d’asile. Lors du recours, il verse au dossier un rappel reçu par sa mère après sa fuite. Le SEM considère ce document comme un faux, arguant qu’il est aisé de s’en procurer en Erythrée, et considère peu probable que « Bereket » ait été interrogé une seule fois puis détenu durant un mois.  Pour la mandataire, le SEM fait preuve d’arbitraire en appréciant ainsi les propos de « Bereket » qui concordent pourtant avec les informations qui existent sur la situation en Erythrée, par exemple concernant la détention arbitraire de proches de déserteurs (persécution réfléchie). Remettant en cause la manière dont le SEM a établi les faits, la mandataire demande la reconnaissance du statut de réfugié, subsidiairement l’admission provisoire pour « Bereket ».

Questions soulevées

Les autorités semblent attendre des personnes en fuite qu’elles pensent à ce qui sera déterminant pour leur procédure d’asile avant même de quitter leur pays. De telles exigences sont-elles raisonnables ?

La capacité d’un requérant à relater des faits est caractérisée davantage par l’âge qu’il avait lorsque ces faits se sont produits que par son âge lors de l’audition. Le degré d’exigence pour la reconnaissance du caractère vraisemblable d’un récit ne devrait-il pas dépendre de l’âge au moment des faits ? Par ailleurs, les mesures d’accompagnement pour les mineurs ne devraient-elles pas se poursuivre pour ceux arrivés comme MNA et ayant atteint la majorité ?

La situation des droits de l’homme en Erythrée reste dramatique (cf. not. Rapport de la Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur la situation des droits de l’homme en Erythrée, juin 2018). S’il existe un doute sur le risque de persécution, ce doute ne devrait-il pas profiter à la personne en quête de protection ?

Chronologie

2015 : fuite d’Erythrée (mars) ; demande d’asile en tant que MNA et 1ère audition (sur les données personnelles) (sept.)

2017 : deuxième audition (sur les motifs d’asile) (avril) ; décision du SEM (juil.) et recours au TAF (août)

Description du cas

« Bereket » a 16 ans lorsqu’il est arrêté par les militaires érythréens et emprisonné. Ceux-ci recherchent son frère, qui aurait déserté l’armée et dont il n’a aucune nouvelle. Il est interrogé et violenté, puis mis en prison. Chaque jour, sa mère doit lui apporter à manger car la nourriture distribuée est insuffisante. Comme il est le plus jeune de la prison, il doit nettoyer les toilettes et il est battu s’il prend trop de temps pour exécuter cette tâche. Après un mois, il est libéré, vraisemblablement grâce à son oncle qui aurait payé pour sa libération. Il essaie alors de réintégrer son école mais en est exclu en raison de son absence. Peu après, il reçoit une convocation pour le service national. Il organise alors sa fuite du pays. Il part clandestinement, passe trois mois en Ethiopie, un mois au Soudan, deux mois en Libye et arrive en Europe par la Méditerranée, en transitant par l’Italie où il reste deux semaines sans se faire contrôler par les autorités. A son arrivée en Suisse en septembre 2015, il dépose une demande d’asile en tant que mineur non accompagné (MNA). Il est attribué au canton de Genève et attend d’être convoqué à une audition sur ses motifs d’asile. Celle-ci a lieu en avril 2017 alors qu’il est devenu majeur. Trois mois plus tard, le SEM rend sa décision. La demande d’asile de « Bereket » est refusée car ses déclarations ne sont pas considérées comme vraisemblables (art. 7 LAsi). Le SEM lui reproche d’avoir donné trop peu de détails sur ses conditions d’emprisonnement et de ne pas avoir conservé la convocation qu’il avait reçue. Il qualifie également de contradictoires et inconsistants ses propos sur sa sortie du pays et ne croit pas que celle-ci ait été illégale. En effet, les autorités érythréennes n’autorisent pas les nationaux à quitter le pays sans un visa de sortie, délivré uniquement aux personnes ayant accompli le service national. Qui sort du pays sans cette autorisation risque des sanctions. Malgré cela, le fait d’avoir quitté l’Erythrée illégalement ne justifie plus l’octroi du statut de réfugié, d’après la jurisprudence du TAF (arrêt D-7898/2015 du 30.01.2017). « Bereket » n’obtient pas non plus l’admission provisoire (art. 83 al. 4 LEtr). Pour le SEM, l’Erythrée ne se trouve pas dans une situation de violence généralisée et « la seule éventualité d’être forcé de suivre un entrainement militaire ou d’être placé en détention ne suffit pas à constituer un real risk au sens [de l’art. 3 CEDH] ». Après deux ans en Suisse et âgé de 19 ans, « Bereket » se retrouve frappé d’une décision de renvoi vers l’Erythrée.

Sa mandataire recourt auprès du TAF. Pour elle, le SEM aurait dû traiter la demande de « Bereket » avant qu’il ne devienne majeur (art. 17 al. 2 bis LAsi) et aurait dû tenir compte de son âge, comme le préconise le HCR dans ses recommandations. « Bereket » a répondu à toutes les questions posées durant son audition. Si ses déclarations peuvent sembler générales, c’est parce qu’on ne lui a pas demandé de détails sur des points précis de son récit, explique la mandataire. Il s’est contenté de répondre aux questions posées, en mettant en avant ce qui lui semblait essentiel, sans savoir clairement ce qui était attendu de lui. Par ailleurs, le SEM ferait preuve d’arbitraire en considérant comme peu plausible le fait que « Bereket » n’ait été interrogé qu’une seule fois durant sa détention. En effet, la pratique des autorités érythréennes concernant l’arrestation des proches de déserteurs est connue et documentée. Le récit de « Bereket » rejoint donc les quelques informations disponibles sur l’Erythrée (not. étude pays EASO, mai 2015 et rapport OSAR, Erythrée : recrutement de mineurs, janvier 2015). En ce qui concerne la convocation, il semblait logique et prudent pour le jeune homme de ne pas la prendre avec lui dans sa fuite. Il n’avait pas imaginé que cela servirait comme moyen de preuve lors de sa future procédure d’asile. La mandataire ajoute au dossier un rappel reçu ultérieurement par la mère de « Bereket ». Elle demande à ce que le statut de réfugié, subsidiairement l’admission provisoire, lui soit octroyé en raison du risque de sanctions disproportionnées auquel il serait exposé en Erythrée et au vu de la nature du service national, qui s’apparente à une forme d’esclavage.

Dans son préavis, le SEM maintient sa position, estimant que le jeune homme avait été informé de l’importance de faire des déclarations complètes et qu’il aurait donc dû donner des précisions sur sa détention spontanément. Cette autorité considère également que le document fourni est un faux car il n’a été versé qu’au stade du recours et qu’il est facile de s’en procurer en Erythrée. En revanche, pour la mandataire, une présomption générale de falsification ne suffit pas pour invalider une pièce du dossier. Il est par ailleurs normal que le jeune homme n’ait eu accès à certaines informations qu’au contact avec sa mandataire, car il n’a pas été conseillé avant son audition, ce qui aurait dû être le cas si celle-ci s’était déroulée avant qu’il ne devienne majeur. La mandataire conclut en rappelant que l’obligation faite au requérant de collaborer va de pair avec une obligation faite à l’autorité d’établir les faits par des questions appropriées lors des auditions.

Signalé par : Centre social protestant – Genève

Sources : PV des deux auditions au SEM, décision du SEM, recours au TAF, préavis du SEM, réplique.

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