L’asile refusé à un Iranien suite à une enquête d’ambassade controversée

Jehan* est originaire d’Iran et dépose une demande d’asile en Suisse en 2015. Le SEM rejette sa demande d’asile en 2018, jugeant son récit invraisemblable. Le TAF annule cette décision en 2020 et invite le SEM à reprendre l’instruction. Le SEM transmet alors un mandat d’enquête à la représentation suisse en Iran. La représentante juridique de Jehan* relève des biais liés à cette enquête et suspecte que son auteur soit un proche du gouvernement.

Personne concernée (*Prénom fictif): Jehan*

Origine: Iran (Kurdistan)

Statut: demande d’asile -> admission provisoire avec statut de réfugié

Résumé du cas

Originaire d’Iran, Jehan* arrive en Suisse en 2015pour y demander l’asile. Il reçoit très vite une décision de NEM Dublin vers la Bulgarie, et devra attendre la fin du délai d’exécution de son renvoi pour entrer en procédure nationale en juin 2016. En août 2018, le SEM rejette la demande d’asile de Jehan*, jugeant son récit invraisemblable (art. 7 LAsi) et considérant que les raisons de sa fuite ne constituent pas des motifs d’asile (art. 3 LAsi).

Avec une mandataire, Jehan* dépose un recours contre cette décision en 2018. En 2020, le TAF annule la décision du SEM, considérant, d’une part, qu’il y a eu violation du droit d’être entendu (art. 29 al. 2 Cst. et art. 29 ss PA) et, d’autre part, que l’état de fait pertinent pour prendre une décision a été établi de manière incomplète (art. 106 LAsi). Le TAF invite donc le SEM à reprendre l’instruction et à rendre une nouvelle décision dûment motivée.

A l’automne 2020, le SEM transmet un mandat d’enquête à la représentation suisse en Iran. Elle doit déterminer si, comme Jehan* l’a affirmé, une procédure est effectivement ouverte contre lui et ses frères au sujet de faits survenus en 2015. Elle doit aussi enquêter sur ses antécédents judiciaires. Un mois plus tard, la représentation suisse répond à la requête du SEM en indiquant n’avoir trouvé aucune trace de procédure judiciaire à son encontre. Dans son droit d’être entendu, la mandataire de Jehan* juge que cette enquête constitue un dossier à charge et manque d’objectivité.  D’après elle, l’auteur de la réponse va bien au-delà des questions qui lui sont posées par le SEM, comme s’il prenait pleinement part à l’instruction de sa demande en y donnant son propre avis. La mandataire souligne en outre le risque que l’auteur de cette enquête, mandaté par la représentation suisse, soit un proche du gouvernement.

En mars 2021, le SEM reconnait la qualité de réfugié à Jehan*. Il estime que son engagement politique en Suisse est de nature à attirer l’attention des autorités iraniennes et qu’un retour le soumettrait à de sérieux préjudices (art. 3 LAsi). Toutefois, seuls ces motifs survenus après la fuite sont reconnus et l’asile n’est donc pas accordé à Jehan* (art. 54 LAsi). Sur la base du rapport de la représentation suisse, le SEM juge en effet que la situation de persécution à l’origine du départ de Jehan* n’est toujours pas vraisemblable. Jehan* est donc reconnu comme réfugié, mais admis provisoirement.

Questions soulevées

Nos correspondant·es constatent que les enquêtes d’ambassades en Iran sont souvent sujettes à controverses. Les autorités suisses ne doivent-elles pas garantir l’indépendance et la rigueur de la personne de confiance mandatée?

Comme de nombreux·ses Iranien·nes, Jehan* aura attendu très longtemps pour recevoir une décision sur sa demande d’asile. Une si longue attente, six ans dans le cas de Jehan*, ne constitue-t-elle pas un manquement au respect du droit d’asile?

Chronologie

2015: arrivée en Suisse de Jehan* et dépôt d’une demande d’asile (nov.); NEM Dublin et recours;

2016: rejet du recours par le TAF (jan.); entrée en procédure nationale (juin);

2018: rejet de la demande d’asile par le SEM (août) et recours (sept);

2020: le TAF admet la validité du recours (mars) ; mandat du SEM à la représentation suisse en Iran pour une enquête sur la situation de Jehan* (sept.);

2021: Décision du SEM: admission provisoire avec qualité de réfugié (mars).

Description du cas

Originaire d’Iran et d’ethnie kurde, né en Irak, Jehan* dépose une demande d’asile en Suisse fin novembre 2015. Âgé de 29 ans, il a dû quitter son pays où il résidait avec sa famille, par crainte de se faire arrêter. En septembre 2015, Jehan a été contraint d’aider des hommes armés du PJAK (le pendant du parti PKK en Iran), suite à quoi un conflit est survenu sur les terres familiales avec le Corps des gardiens de la révolution islamique (dépendant directement du gouvernement iranien). Jehan* prend la fuite en direction de la Suisse, où se trouvent une de ses sœurs et son beau-frère. Au cours de son exil, il apprend que ses deux frères ont été arrêtés par le corps des Gardiens de la révolution islamique.

Le 21 décembre 2015, Jehan* reçoit une décision de NEM Dublin vers la Bulgarie. Le délai pour effectuer le renvoi échoit six mois plus tard sans que Jehan* ne soit renvoyé, étant hospitalisé en psychiatrie. Il entre alors en procédure nationale. Le 13 août 2018, le SEM rejette la demande d’asile de Jehan*. L’autorité considère que les raisons de la fuite invoquées ne constituent pas des motifs d’asile et juge son récit invraisemblable (art. 7 LAsi). Le SEM relève des contradictions dans le récit, un manque de détails et estime qu’un retour en Iran ne constituerait pas une mise en danger concrète pour Jehan*. Avec l’aide d’une mandataire, un recours est déposé.

En mars 2020, le TAF admet la validité du recours (arrêt E-5228/2018 du 16.03.2020) et annule la décision du SEM au motif d’une violation du droit d’être entendu (art. 29 al. 2 Cst. et art. 29 ss PA) et d’un établissement incomplet de l’état de fait pertinent (art. 106 LAsi). Contrairement au SEM, le TAF juge que les propos tenus par Jehan* sont détaillés, cohérents et vraisemblables. Le TAF rappelle également que, depuis novembre 2018, l’Iran fait face à un nouvel embargo qui a des conséquences pour l’accès aux soins, ce qui remet en cause l’exigibilité du renvoi. Pour le TAF, la cause n’est pas suffisamment instruite et le SEM doit reprendre l’instruction.

En septembre 2020, le SEM transmet un mandat d’enquête à la représentation suisse en Iran. Ce mandat a pour objectif de déterminer si, comme il l’a déclaré, une procédure est effectivement ouverte à l’encontre de Jehan* au sujet des faits survenus en 2015, s’il a des antécédents judiciaires et, le cas échéant, pour quels motifs. Des informations sont également demandées au sujet des deux frères de Jehan*, ainsi que sur ses activités politiques en Suisse. En octobre, la représentation suisse transmet les résultats de son enquête. Elle indique qu’aucune procédure judiciaire n’est ouverte et qu’aucun antécédent judiciaire n’a été trouvé, ni pour Jehan* ni pour ses frères. L’ambassade ajoute que l’activité politique de Jehan* en Suisse n’est pas de premier plan. Elle s’étonne également des craintes exprimées par Jehan* quant à sa correspondance avec sa famille en Iran via les réseaux sociaux.

Dans son droit d’être entendu, la mandataire de Jehan* affirme que cette enquête constitue un dossier à charge et manque d’objectivité.  D’après elle, l’auteur de la réponse va bien au-delà des questions qui lui sont posées par le SEM, comme s’il prenait pleinement part à l’instruction de sa demande en y donnant son propre avis. La mandataire souligne en outre le risque que l’auteur de cette enquête, mandaté par la représentation suisse, soit un proche du gouvernement. Elle rappelle qu’il n’est pas possible d’obtenir des données contrôlées par le corps des Gardiens de la révolution islamique et par le Tribunal révolutionnaire islamique. Selon elle, c’est ce qui explique pourquoi la représentation suisse n’a pas été en mesure de mettre la main sur des documents attestant des procédures judiciaires à l’encontre de Jehan* et de membres de sa famille. Enfin, la mandataire revient, preuves à l’appui, sur les risques concernant la surveillance des communications sur les réseaux sociaux par le gouvernement iranien.

En mars 2021, le SEM reconnait la qualité de réfugié à Jehan*, en raison de son engagement politique en Suisse. L’autorité juge que son activité est de nature à attirer l’attention des autorités iraniennes et qu’il risque de sérieux préjudices en cas de retour (art. 3 LAsi). Toutefois, seuls les motifs survenus après la fuite sont reconnus. L’asile est à nouveau refusé à Jehan* (art. 54 LAsi). Sur la base du rapport de la représentation suisse, le SEM juge en effet que la situation de persécution à l’origine du départ de Jehan* n’est toujours pas vraisemblable. Jehan* est reconnu comme réfugié admis provisoirement. Six ans après le dépôt de sa demande d’asile, découragé, il renonce à faire recours.

Signalé par: CSP Genève – avril 2021

Sources: seconde décision du SEM; second recours; arrêt du TAF E-5228/2018 du 16 mars 2020 ; prise de position de la mandataire; échanges de courrier entre le SEM, la représentation suisse en Iran et la mandataire ; rapport de la représentation suisse en Iran droit d’être entendu ; troisième décision du SEM.

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