La mandataire reçoit la décision
57 jours après le renvoi de son mandant

L’ODM n’entre pas en matière sur la demande d’asile de « Kidane » et le renvoie vers l’Italie (en vertu des accords de Dublin) sans même en informer sa mandataire. Une absence de notification qui, selon le TAF, constitue une grave violation de procédure.

Personne(s) concernée(s) : « Kidane », homme né en 1985

Statut : renvoi Dublin -> retour en Suisse après recours

Résumé du cas

« Kidane » fuit l’Erythrée pour échapper à des persécutions ethniques et à la mobilisation forcée. Après un long voyage, il arrive à Lampedusa, où ses empreintes digitales sont enregistrées en septembre 2008. Il poursuit son voyage jusqu’en Suisse, où il demande l’asile le 9 janvier 2009. Les chances que sa demande soit traitée sont minces, parce que les accords de Dublin prévoient en principe un renvoi vers le premier pays européen où le requérant d’asile a été enregistré. Pour en avoir le cœur net, sa mandataire demande copie du dossier à l’ODM, le 8 juin 2009. Elle réitérera sa demande à plusieurs reprises, sans succès. Le 6 août, elle apprend par un cousin de son mandant que l’autorité cantonale a subitement arrêté « Kidane ». Sans pouvoir alerter sa mandataire, celui-ci a été expulsé le lendemain à Rome, où il est désormais livré à lui-même. L’ODM confirme le 11 août qu’une décision de non-entrée en matière avec renvoi sur l’Italie a été prise. Malgré plusieurs demandes supplémentaires, ce n’est que le 23 septembre (soit 57 jours après le renvoi) qu’une copie de la décision, qui est datée du 30 juin, parvient enfin à la mandataire. Elle adresse alors un recours au TAF, dénonçant entre autres le fait que la décision n’a pas été notifiée en temps utile à la mandataire, ce qui revient à entraver l’exercice du droit de recours. La mandataire s’appuie également sur le fait que l’accès au dossier ne lui a pas été accordé et que la décision n’est motivée que par des généralités à partir desquelles il est difficile de faire recours. Dans une décision incidente, rendue moins d’une semaine après le dépôt du recours, le TAF constate de graves violations de règles de procédure et demande à l’ODM de faire revenir « Kidane » en Suisse pour que ce dernier puisse y attendre l’issue finale du recours.

Questions soulevées

 Dans quelle logique les fonctionnaires de l’ODM travaillent-ils pour entraver pareillement l’exercice du droit de recours et violer des règles fondamentales de procédure, avant d’être rappelés à l’ordre par un tribunal ?

 Le cas de « Kidane » ne traduit-il pas une volonté d’appliquer la logique Dublin de façon automatique et expéditive ? Ces hommes et femmes en quête d’asile ne sont-ils rien d’autres que de vulgaires caisses de marchandises qu’il faut renvoyer au plus vite à l’expéditeur ?

Chronologie

2006 : fuite hors d’Erythrée (22 janv.)

2008 : entrée illégale en Italie (14 sept.)

2009 : demande d’asile en Suisse (9 janv.) ; décision de NEM (30 juin) ; arrestation surprise de « Kidane » (27 juillet) ; exécution du renvoi par avion (28 juillet) ; notification de la décision au mandataire (29 sept.) ; recours (29 sept.) ; décision incidente du TAF (5 oct.)

NB : Un recours devant le TAF est toujours pendant.

Description du cas

« Kidane » subit dans son pays des persécutions en raison de son origine ethnique (ethnie bilen de religion catholique) et est menacé d’être enrôlé de force dans l’armée de ce pays en guerre. Il décide alors de quitter son pays. Il reste deux ans et demi au Soudan, puis 15 jours en Libye où il prend un bateau pour l’Italie. Il accoste à Lampedusa où ses empreintes sont enregistrées dans la base de données EURODAC. En Italie, ses conditions de vie sont difficiles : il n’a pas de logement et ne connaît personne. Il fuit alors vers la Suisse où il retrouve l’un de ses cousins et dépose une demande d’asile le 9 janvier 2009.

Le 8 juin 2009, la mandataire de « Kidane » demande pour la première fois une copie du dossier de son client. Elle le demandera par la suite encore cinq fois, sans succès. Début août, alors qu’elle essaie toujours d’obtenir le dossier, la mandataire apprend par le cousin de « Kidane » que celui-ci a été renvoyé en Italie le 28 juillet. Sans qu’elle en soit informée, l’ODM a pris le 30 juin une décision de non-entrée en matière sur la demande d’asile de « Kidane », estimant que l’Italie, en vertu des accords de Dublin, était compétente pour traiter cette demande. Sur instruction de l’ODM, l’autorité cantonale a gardé cette décision sans la notifier à la mandataire, et elle a organisé l’arrestation surprise de « Kidane », le 27 juillet, avant de l’expulser le lendemain. Il demeure depuis lors en Italie sans logement, ni argent, ni assistance. La mandataire réclame à nouveau l’accès au dossier, mais l’ODM lui indique que, la procédure étant close, du fait du renvoi, l’accès au dossier ne lui sera possible que si « Kidane » fait valoir un intérêt digne de protection.

Ce n’est que le 29 septembre, soit 85 jours après la prise de décision et 57 jours après l’exécution du renvoi, que le dossier parvient enfin à la mandataire. Elle y découvre une décision de non-entrée en matière formulée dans des termes généraux, sans examen des particularités du cas. Un recours est alors déposé, dénonçant la manière de faire de l’ODM, qui a agi de telle sorte à empêcher tout recours. Le mémoire de recours critique la notification de la décision et fait valoir que « Kidane » n’a pas pu exercer son droit d’être entendu, faute d’avoir accès au dossier. Il n’a pas pu faire recours puisque la décision n’a pas été notifiée à sa mandataire, et a été placé sous mesures de contraintes avant même de pouvoir rentrer par ses propres moyens en Italie. Le recours reproche également à l’ODM de n’avoir motivé sa décision de non-entrée en matière que par des généralités, de ne pas avoir pris en compte la présence d’un proche en Suisse (condition expressément prévue par l’art. 34 al. 3, let. a LAsi), et surtout de ne pas avoir examiné les conséquences du renvoi pour « Kidane », qui se retrouve sans protection en Italie, et qui pourrait être exposé à des traitements inhumains interdits par l’article 3 CEDH.

Dans une décision incidente datée du 5 octobre, le TAF constate « la violation grave et répétée, par l’autorité inférieure, en particulier de règles de procédure essentielles » et ordonne à l’ODM d’entreprendre toutes les démarches nécessaires pour que « Kidane » revienne en Suisse pour attendre l’issue du recours. Au moment de la rédaction de cette fiche, l’arrêt définitif du TAF est encore attendu.

Signalé par : Service d’aide juridique aux exilés (SAJE – Lausanne), octobre 2009

Sources : décision de l’ODM (30.6.09), recours (29.9.09), décision incidente du TAF (10.9.09), échanges de courrier entre l’ODM et la mandataire et autres pièces utiles du dossier

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