La culture du soupçon de la Suisse épinglée par le CAT

Stephen* a fui le Zimbabwe suite à des persécutions liées à ses activités politiques. Le SEM et le TAF mettent en doute la véracité des preuves fournies. Un arrêt du CAT sanctionne la Suisse pour sa culture du soupçon.

Personne concernée: Stephen*

Origine: Zimbabwe

Statut: Demande en cours

Stephen* travaille comme avocat au Zimbabwe, dans le cabinet d’avocats de D*, où il défend des affaires liées aux droits humains et notamment ceux des opposant·exs au régime. Lui-même se déclare membre du groupe d’opposition Mouvement pour le changement démocratique (ci-après: Mouvement). En 2019, il commence à recevoir des messages de menaces, est agressé physiquement et subit une tentative d’enlèvement en lien avec son travail. Craignant pour sa vie, Stephen* quitte le Zimbabwe en juillet 2019 par la frontière terrestre et prend un vol depuis l’Afrique du Sud à destination de Zurich.

Le 22 juillet, Stephen* dépose une demande d’asile en Suisse avec diverses preuves à l’appui. En août, le SEM rejette sa demande, au prétexte qu’il n’a pas été en mesure d’établir une preuve crédible de persécution (considérant uniquement ses activités politiques et non son activité professionnelle) et que les documents fournis seraient «aisément falsifiables». En septembre, Stephen* dépose un recours auprès du TAF invoquant diverses violations de la procédure régulière et notamment de son droit d’être entendu. Dans une décision à juge unique et sommairement motivée, le TAF rejette le recours de Stephen* (D-4569/2019) avec les mêmes arguments que le SEM et met à charge du requérant les frais de procédure en rejetant la demande d’assistance judiciaire partielle.

En novembre, son mandataire dépose une demande de réexamen auprès du SEM. Le SEM rejette l’effet suspensif puis cette demande, jugeant la nouvelle preuve peu fiable. Stephen* dépose alors une plainte auprès du CAT, alléguant que son renvoi vers le Zimbabwe constituerait une violation des art. 3 et art. 16 de la CEDH. Il ajoute que l’argument de «non-pertinence» à l’encontre des documents qu’il a produits n’est pas recevable puisque ni le SEM ni le TAF n’ont donné suite à sa demande de vérifier leur authenticité. Enfin, il reproche au TAF un examen sommaire de son cas. Dans sa décision rendue en novembre 2022, le CAT considère que la procédure d’asile de Stephen* souffre bien de vices importants de procédure, notamment en raison du fait que le TAF a statué à juge unique avec une appréciation sommaire du dossier. Le CAT entérine par cette décision un partage du fardeau de la preuve entre la personne requérante et les autorités, dès lors que ces dernières sont en présence d’allégations défendables (voir communiqué du CSDM du 14.12.22). Le CAT condamne également les instances suisses pour n’avoir pas appliqué l’effet suspensif lors des démarches de contestation du renvoi (recours au TAF et demande de réexamen au SEM) ainsi que l’exigence du paiement des frais de procédure par le TAF, alors que le requérant se trouve dans une situation financière précaire.

Questions soulevées

  • Pourquoi, lorsqu’il doit décider de l’octroi ou non de l’asile à Stephen*, le SEM se focalise-t-il sur l’activité politique de celui-ci, alors que c’est son activité professionnelle qui l’a mis en danger?
  • Alors que Stephen* présente des preuves de son récit, comment se fait-il que ni le SEM ni le TAF ne prennent le temps de les vérifier? Comment le fardeau de la preuve peut-il reposer uniquement sur les épaules du requérant?
  • Alors que le TAF connait la situation économique précaire du requérant, pourquoi met-il à charge de Stephen* les frais de procédure, entravant par ce fait son droit à la contestation de la décision de renvoi?

Chronologie

2019 : demande d’asile en Suisse (juil.) ; rejet de la demande par le SEM (août) ; décision négative du TAF (sept.) ; demande de réexamen et rejet de la demande par le SEM puis requête auprès du CAT (nov.). 2022 : condamnation de la Suisse par le CAT (nov.).

Description du cas

Stephen* est ressortissant du Zimbabwe, né en 1993. Il suit des études de droit et, une fois son diplôme en poche, est engagé par le cabinet d’avocats de D*. Dans ce cabinet, il défend des affaires liées aux droits humains et notamment ceux des opposant·exs au régime. Lui-même se déclare membre du groupe d’opposition Mouvement pour le changement démocratique (ci-après: Mouvement). Début 2019, il commence à recevoir des messages de menaces contre sa vie provenant d’une source inconnue parce qu’il défend des opposant·exs. En mars, il est agressé physiquement par trois inconnus. Stephen* dépose plainte auprès de la police mais celle-ci refuse d’enquêter. Il consulte un médecin suite à cette agression. En juin il est victime d’une tentative d’enlèvement et, quelques jours plus tard, il reçoit une convocation sans motif de la police. Craignant pour sa vie, Stephen* quitte le Zimbabwe le 19 juillet 2019 par la frontière terrestre et prend un vol depuis Johannesburg en Afrique du Sud, à destination de Zurich.

Le 22 juillet, Stephen* dépose une demande d’asile en Suisse avec diverses preuves à l’appui: passeport, carte professionnelle, copie d’une carte du Mouvement et de son mandat d’arrêt, certificat médical attestant de l’agression endurée et un article de journal relatant une attaque subie par son ancien patron D*. En août, le SEM rejette sa demande, au prétexte qu’il n’a pas été en mesure d’établir une preuve crédible de persécution. Dans ses conclusions, le SEM ne prend pas en compte les risques liés à l’activité professionnelle de Stephen*, et se limite à souligner que celui-ci ne semble pas jouer un rôle important au sein du Mouvement et que son témoignage est «vague». Le SEM ajoute que le fait d’avoir pris un avion rend également son allégation de persécution par les autorités peu crédible: pourtant, Stephen* a précisé avoir passé la frontière terrestre afin de minimiser les risques de détection. Le SEM rejette également les preuves documentaires fournies par le requérant: le mandat d’arrêt est considéré comme un document potentiellement falsifié, le dossier médical sans lien prouvé avec l’agression et l’article de presse (concernant son patron D*) sans lien direct avec la demande d’asile.

En septembre, Stephen*, avec l’aide d’un mandataire, dépose un recours auprès du TAF invoquant diverses violations de la procédure régulière et notamment de son droit d’être entendu. Il allègue que le SEM n’a pas correctement établi les faits et s’est concentré sur ses activités politiques alors que c’est avant tout de son activité professionnelle que découle le risque de persécution. En septembre, dans une décision à juge unique et sommairement motivée, le TAF rejette le recours de Stephen* (D-4569/2019) avec les mêmes arguments que le SEM et met à charge de ce dernier les frais de procédure.

En novembre, son mandataire dépose une demande de réexamen auprès du SEM, en présentant une preuve supplémentaire, en l’occurrence une lettre de D*, attestant du harcèlement et des persécutions subies par Stephen* quand il était son employé. Le SEM rejette l’effet suspensif puis cette nouvelle demande, jugeant la preuve peu fiable puisqu’il pourrait s’agir d’un écrit de complaisance. Stephen* dépose alors une plainte auprès du CAT, alléguant que son renvoi vers le Zimbabwe constituerait une violation des art. 3 et art. 16 de la CEDH. Il ajoute que l’argument de «non-pertinence» à l’encontre des documents qu’il a produit n’est pas recevable puisque ni le SEM ni le TAF n’ont donné suite à sa demande de vérifier leur authenticité. Enfin, il reproche au TAF un examen sommaire de son cas. Dans sa décision rendue en novembre 2022, le CAT admet que la procédure d’asile de Stephen* a effectivement souffert de vices de procédure importants, notamment en raison du fait que le TAF a statué à juge unique avec une appréciation sommaire du dossier. Le CAT entérine par cette décision un partage du fardeau de la preuve entre la personne requérante et les autorités, dès lors que ces dernières sont en présence d’allégations défendables (voir communiqué du CSDM du 14.12.22). Le CAT condamne également les instances suisses pour n’avoir pas appliqué l’effet suspensif lors des démarches de contestation du renvoi (recours au TAF et demande de réexamen au SEM) ainsi que l’exigence du paiement des frais de procédure par le TAF, alors que le requérant se trouve dans une situation financière précaire.

Signalé par: Centre Suisse pour la Défense des Droits des Migrants (CSDM)

Sources: TAF, arrêt D-4569/2019 du 27.09.2019 ; CAT, B.T.M c. Suisse, 972/2019, 09.12.2022 ; communiqué du CSDM, 14.12.2022.

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