Il sauve sa peau grâce à une demande d’asile déposée à l’ambassade
« Enrique », colombien, est persécuté, arrêté et torturé par l’armée de son pays. Il obtient l’asile dans notre pays à travers l’ambassade suisse de Bogota, ce qui lui permet d’échapper, lui et sa famille, à un sort tragique. Le DFJP propose pourtant de supprimer la possibilité de demander l’asile dans une ambassade.
Personne(s) concernée(s) : « Enrique », homme né en 1956, sa compagne et leurs quatre enfants
Statut : réfugié
Résumé du cas
Depuis 1976, « Enrique », originaire de Colombie, est très engagé politiquement. Durant ses études et ultérieurement, il assume des responsabilités dans divers partis ou organisations opposés au régime. Victime à plusieurs reprises de graves persécutions – arrestations, emprisonnements, menaces – il cherche en vain à fuir à l’intérieur de son pays. En 2000, après une relative accalmie, les persécutions reprennent et plusieurs de ses compagnons de lutte politique sont assassinés. En 2002, « Enrique » échappe de peu à des tireurs (à deux reprises) et des menaces commencent à peser sur ses enfants. C’est pourquoi il adresse à l’ambassade suisse de Bogota une lettre dans laquelle il demande l’asile. Sa démarche est appuyée par des lettres d’organisations colombiennes et suisses qui attestent des dangers encourus. À la demande de l’ambassade, « Enrique » fournit également son passeport et ceux des membres de sa famille. La demande formelle est transmise aux autorités suisses le 12 décembre 2002. Quelques semaines plus tard, «Enrique» et sa famille sont autorisés à gagner la Suisse (les billets d’avion sont pris en charge par une œuvre d’entraide). En juillet 2003, l’ODM octroie l’asile à « Enrique » et sa famille. Depuis lors, « Enrique », sa compagne et leurs quatre enfants vivent en paix dans le canton de Neuchâtel où ils s’attachent à s’intégrer dans notre pays et à construire leur nouvelle vie. Les propositions de révision de la loi lancées par le DFJP en 2008 auront pour conséquence de rendre ce genre de cas impossible.
Questions soulevées
Supprimer la possibilité de demander l’asile en Suisse à travers une ambassade ne revient-il pas à refuser d’accueillir de « vrais » réfugiés qui jusque là avaient la vie sauve grâce à cette procédure?
Les autorités critiquent souvent les filières criminelles qui profitent de la détresse des réfugiés cherchant à gagner un pays d’asile. Supprimer la possibilité d’entrer légalement en Suisse après une demande à l’ambassade jugée sérieuse ne revient-il pas à encourager les arrivées illégales ?
Série spéciale : projet Widmer-Schlumpf de durcissement du droit d’asile
Chronologie
1978 : premières menaces, détentions et tortures
1985 : participation à la fondation de l’Union patriotique (UP – parti d’opposition)
1987 : début des assassinats en chaîne des dirigeants de l’UP (février)
2002 : tentative d’assassinat d’« Enrique » ; prise de contact avec l’ambassade suisse (fin novembre) ; dépôt formel de la demande d’asile (12 déc.)
2003 : autorisation d’entrée en Suisse accordée par l’ODM (7 janv.) ; arrivée en Suisse (30 janv.) ; octroi de l’asile (10 juillet)
Description du cas
« Enrique », originaire de Colombie, milite et s’investit dans de nombreuses luttes « de gauche » dès 1976. Il exerce des fonctions importantes au sein de diverses organisations estudiantines opposées au régime alors en place. En 1978, il commence à se faire persécuter par des militaires qui cherchent à mater toute opposition. Il change plusieurs fois de résidence et déménage dans une autre ville pour tenter d’échapper aux persécutions. En 1985, il participe à la fondation de l’Union patriotique, un parti politique d’opposition. Peu de temps après commencent les assassinats des dirigeants et des membres de ce parti. Il s’engage par ailleurs dans d’autres mouvements civiques, mais des violences contre les membres de ces mouvements ne tardent pas à se produire. Après une relative accalmie dans les années ’90, les assassinats reprennent et « Enrique » voit plusieurs opposants, membres des mêmes mouvements que lui, se faire tuer.
En août 2002, un proche ami d’« Enrique », avec lequel il milite depuis sa jeunesse, est assassiné. Plusieurs autres des ses compagnons de lutte sont aussi tués. Au mois de novembre de la même année, « Enrique » échappe de justesse à un attentat dirigé contre lui par des militaires, et des menaces de séquestration commencent à peser sur ses enfants. Ces évènements le décident à prendre contact, fin novembre 2002, avec l’ambassade de suisse en Colombie en vue de déposer une demande d’asile. Pour étayer son histoire, il fournit des lettres rédigées par des organisations qui le connaissent et qui attestent des risques de persécutions encourus. Informée de cette démarche, une organisation active dans les droits humains, basée en Suisse, soutient la demande d’« Enrique » par un courrier à l’ODM. L’ambassade demande à « Enrique » de donner son passeport et ceux des membres de sa famille. Une demande d’asile formelle est transmise aux autorités helvétiques le 12 décembre 2002 depuis l’ambassade suisse de Bogota. Le 7 janvier 2003, l’ambassade annonce à « Enrique » que l’ODM a autorisé son entrée en Suisse pour y poursuivre la procédure. Les billets d’avion sont financés par une œuvre d’entraide suisse, et « Enrique » arrive avec sa famille sur le sol helvétique le 30 janvier 2003. Après un court passage au Centre d’enregistrement et de procédure de Vallorbe, « Enrique » et sa famille sont attribués au canton de Neuchâtel. Après audition sur les motifs de sa demande, le 10 juillet 2003, l’ODM octroie l’asile à « Enrique » et à sa famille.
Au moment de la rédaction de cette fiche, « Enrique », sa compagne et leurs quatre enfants vivent toujours dans le canton de Neuchâtel. Tous ont suivi des cours de français dès leur arrivée. « Enrique » a réussi les examens d’entrée dans une école d’horlogerie ; sa compagne, après avoir travaillé dans une crèche, a repris une formation en rapport avec le métier qu’elle exerçait en Colombie ; l’aînée des enfants travaille et étudie pour obtenir une maturité commerciale ; la puînée a accompli un apprentissage avant d’étudier pour obtenir une maturité technique ; la cadette est au gymnase en section maturité et la benjamine a intégré une classe de l’école secondaire. Tous ont pu reprendre une vie paisible, à l’abri des persécutions endurées dans leur pays d’origine, grâce à l’asile que leur ont octroyé les autorités suisses, à l’issue d’une procédure entamée à travers une ambassade. En supprimant cette possibilité, la Suisse fermerait sa porte à des réfugiés qui correspondent pourtant à la définition de l’art. 3 LAsi.
Signalé par : correspondant régulier de l’ODAE romand, novembre 2008.
Sources : demande d’asile écrite adressée à l’ambassade (10.2002), décision ODM (10.7.03), informations complémentaires données par « Enrique ».