Harcelée en Croatie, une famille est menacée d’y être renvoyée

En 2019, Romina* et Khaleel* quittent l’Afghanistan avec leur fille (Emna*), encore mineure et leurs trois fils majeurs. Ils demandent l’asile en Suisse en octobre 2020, après être passé∙es par la Croatie. La famille raconte avoir tenté de passer la frontière entre la Bosnie et la Croatie à plus de 15 reprises, avoir été arrêté∙es par les autorités croates puis maltraité·es, volé·es, déshabillé·es et frappé·es. En février 2020, le SEM rend une décision NEM Dublin. Le mandataire d’Ehsan* et Noura* dépose un recours au TAF contre la décision du SEM. En avril 2021, le SEM annule sa décision de NEM Dublin pour le second fils et sa famille, qui reçoivent une admission provisoire. En juillet 2021, le TAF prononce les arrêts qui rejettent respectivement les recours de Moussa*, de Ehsan* et Noura* et de Romina* et Khaleel*.

Personne·s concernée·s (*Prénoms fictifs): Khaleel* et Romina* (parents), Emna*, Ehsan* et sa femme Noura*, Moussa*

Origine: Afghanistan

Statut: Permis B

Questions soulevées

  • Alors que plusieurs médias et organisations internationales ont dénoncé les traitements inhumains infligés aux requérant·es d’asile par la police croate (voir l’émission Mise au point du 10 octobre 2021), est-il tolérable que le SEM continue de rendre des décisions NEM Dublin à destination de la Croatie?
  • Concernant la famille de Romina* et Khaleel*, la solution d’activer la clause de souveraineté tel que le permet le règlement Dublin, afin que la Suisse puisse traiter leur demande d’asile, n’est-elle pas plus simple et plus humaine?
  • Alors que la famille de Romina* et Khaleel* forme à l’évidence une communauté de destin et de soutien mutuel, comment justifier sa séparation entraînée par les différentes décisions du SEM et du TAF?

Chronologie

2020 : Arrivée en Suisse et dépôt d’une demande d’asile (octobre).

2021 : Décisions de NEM Dublin (février  pour Noura* et Ehsan* et mars le reste de la famille), 3 recours au TAF (mars), entrée en procédure nationale du second fils et de sa femme (avril), rejet des 3 recours par le TAF (juillet)

Description du cas

Romina* et Khaleel* ont quitté l’Afghanistan avec leur fille mineure (Emna*) au début de l’année 2019, par crainte pour leur sécurité. Leur fils Ehsan* et sa femme Noura* ainsi que leurs deux enfants âgés de 5 et 6 ans les accompagnent. Le second fils de Romina* et Khaleel*, Moussa*, ainsi que leur troisième fils, sa femme et leurs deux enfants mineurs sont aussi du voyage. Au total, 12 personnes réalisent ensemble un long parcours migratoire, passant par plusieurs pays dont la Croatie et la Slovénie, avant d’arriver en Suisse, où la famille dépose une demande d’asile en octobre 2020.

Lors de leur 1ère audition avec le SEM, tou·tes les membres de la famille font état des problèmes rencontrés avec les autorités croates et des conditions d’accueil déplorables en Croatie. La famille raconte avoir tenté 15 ou 16 fois de passer la frontière entre la Bosnie et la Croatie, avoir été arrêté∙es par les autorités croates puis maltraité·es, volé·es, déshabillé·es et frappé·es, à l’instar de ce que montre une émission Mise au point du 10 octobre 2021 ainsi qu’un rapport d’Amnesty International de septembre 2021. Enfermé·es dans un camp en Croatie, la famille n’a pas reçu suffisamment de nourriture, pas de soins, et les enfants devaient rester dans les chambres. Elle n’a pas été sollicitée pour déposer une demande d’asile en Croatie, et ne souhaitait pas le faire, mais leurs empreintes digitales ont été enregistrées.

En Suisse, la famille est hébergée dans le CFA de Giffers (canton de Fribourg) mais l’état de santé de plusieurs personnes est mauvais. Certain·es membres de la famille ont la gale. Romina* a une dépression sévère, des difficultés de mémoire et des problèmes de santé physique. Des soins sont nécessaires pour Ehsan* et Noura*, enceinte de 9 semaines, des soins pédiatriques sont réclamés aussi pour les enfants, et plusieurs membres de la famille réclament des soins psychologiques, notamment la fille mineure de Romina* et Khaleel* qui souffre de grave dépression et de stress post-traumatique. Les enfants sont traumatisés.

En février 2021, le SEM rend une décision NEM Dublin à l’encontre de Noura*, Ehsan* et de leurs enfants à destination de la Croatie. Début mars, le reste de la famille reçoit également une NEM Dublin.

Le mandataire d’Ehsan* et Noura* dépose un recours au TAF contre la décision du SEM, sur le constat que l’établissement des faits par le SEM est incomplet (art. 106 al. 1 let. b LAsi) Le mandataire rappelle que Noura* est dans une grande faiblesse physique qui nécessite un suivi psychologique. Sa grossesse est à risque d’accouchement prématuré, une situation aggravée par un état émotionnel instable. Son fils de 5 ans est également en mauvaise condition physique et psychique. Le mandataire demande donc que la Suisse examine la demande de protection d’Ehsan* et Noura* comme le permet l’art. 17 part 1 RD III, tienne compte du bien-être et de l’intérêt supérieur de l’enfant, en vertu de l’art. 3 CDE. Il rappelle enfin que les art. 3 CAT, art. 3 CEDH et art. 13 CEDH demandent de tenir compte de la vulnérabilité des requérant·es en cas de transfert vers la Croatie. Celui-ci les confrontera à une situation de grande précarité, à de nouveaux traitements inhumains et dégradants, sans accès à une procédure d’asile équitable.

Un second recours est déposé au TAF contre la décision de NEM Dublin affectant Moussa*, le fils majeur et célibataire de Romina* et Khaleel*. Le mandataire invoque à nouveau un établissement des faits incomplet (art. 106 al. 1 let. a et b LAsi), le SEM n’ayant pas tenu compte des allégations de la famille quant aux conditions d’accueil en Croatie et des traitements dégradants et inhumains subis. Le mandataire reproche aussi au SEM une approche non coordonnée des procédures d’asile des différents membres de la famille en Suisse (art. 17 par. 1 RD III ; art. 3 CAT ; art. 3 CEDH ; art. 13 CEDH) . Le même jour, un troisième recours est déposé au TAF contre la décision du SEM Romina*, Khaleel* et leur fille mineure. L’argumentaire repose sur un défaut d’instruction, la mauvaise santé de Romina* et la vulnérabilité de la famille (art. 3 CAT ; art. 13 CEDH ; art. 3 CDE).

Alors que les recours sont pendants, Moussa* est attribué au canton de Vaud, tandis que Khaleel*, Romina* et leur fille sont attribués au canton de Fribourg. En avril, le SEM annule sa décision de NEM Dublin pour le second fils et sa famille, qui reçoivent un permis F et sont attribués au canton de Fribourg. En juin, le mandataire de la famille rappelle, dans un courrier au TAF, la communauté de destin de la famille, qui a effectué son parcours migratoire groupée mais se trouve menacée de séparation. Le 20 juillet 2021, le TAF prononce les arrêts qui rejettent respectivement les recours de Moussa*, de Ehsan* et Noura* et de Romina* et Khaleel* (arrêts F-1071/2021, F-974/2021 et F-1074/2021). Selon lui, les allégations de la famille concernant les maltraitances survenues en Croatie ne permettent pas d’établir une atteinte à leurs droits humains. En outre, pas plus leur état de santé que la séparation de la famille ne justifient de surseoir aux renvois. La famille parvient finalement à échapper au renvoi Dublin (délai dépassé) et obtient un permis B réfugié.

Signalé par: Caritas Suisse

Sources: ATAF F-1071/2021 ; ATAF F-974/2021 ; ATAF F-1074/2021

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