Exilé suite à des persécutions homophobes, un Camerounais se voit refuser l’asile

Jacques* quitte le Cameroun en 2015 suite à une agression à caractère homophobe ayant failli lui coûter la vie et à des menaces de mort. Après un passage par la Turquie et la Grèce, il demande l’asile en Suisse. Le SEM refuse sa demande, niant arbitrairement le lien entre son agression et son orientation sexuelle. La décision d’expulsion est confirmée par le TAF, malgré un recours apportant de nombreux éléments confirmant le caractère homophobe de l’agression.

Personne concernée: Jacques* (prénom fictif), né en 1983

Origine: Cameroun

Statut: demande d’asile rejetée

Résumé du cas

Né à Douala au Cameroun, pays dans lequel l’homosexualité est illégale et passible de prison, Jacques* subit, dès son adolescence, une grande répression de son entourage à l’encontre de son homosexualité. Suite à l’échec d’un mariage arrangé par sa famille, il vit quelques aventures amoureuses avec des hommes. En juillet 2015, il se fait agresser et se retrouve à l’hôpital entre la vie et la mort. A sa sortie, il reçoit des menaces de morts répétées. Dans l’impossibilité de bénéficier ni de l’appui de sa famille ni de la protection de son Etat, il s’exile en Turquie en septembre 2015 avant d’arriver Grèce en 2016. Après avoir vécu plus d’un an dans une grande précarité à Athènes, il arrive en Suisse et y dépose une demande d’asile en décembre 2017.

Le SEM refuse de lui accorder l’asile, jugeant que son récit manque de crédibilité et que le caractère homophobe des agressions n’est pas prouvé. Un recours est déposé, s’appuyant sur les témoignages de plusieurs proches de Jacques* qui confirment en tout point son récit et le caractère homophobe des agressions, insistant sur les risques d’emprisonnement ou d’assassinat auxquels il s’expose en cas de renvoi au Cameroun. Le TAF rejette le recours, reprenant à son compte toutes les interprétations du SEM et récusant la pertinence des témoignages. Selon le Tribunal, le passage à tabac de Jacques* serait une «réaction ponctuelle» et non une agression à caractère homophobe. S’appuyant sur la jurisprudence qui nie l’existence de persécutions systématiques contre les homosexuel∙les au Cameroun, le TAF affirme qu’il incombe à l’État camerounais de protéger Jacques* des représailles, alors même que le récit de son agression aux autorités le conduirait en prison. Jacques* est donc débouté de l’asile et menacé de renvoi.

Questions soulevées

  • Comment prouver le caractère homophobe d’une agression, si ce n’est par un récit d’événements vécus qui, comme toute expérience traumatisante, peut contenir de légères imprécisions?
  • Pourquoi ne pas prendre en compte des témoignages, certes indirects, mais exposés par des individus vivant dans la même région que la personne agressée et connaissant donc ses us et coutumes?
  • Pourquoi affirmer qu’il incombe à l’État camerounais de protéger Jacques* des représailles, alors même que le récit de son agression aux autorités pourrait le conduire en prison?

Chronologie

2015: Agressions, hospitalisation et menaces de mort, exil en Turquie (septembre);

2016: Séjour en Grèce;

2017: Arrivée en Suisse et demande d’asile à Vallorbe (décembre) ; 2018 : Décision de renvoi du SEM (avril), recours auprès du TAF (mai), décision du TAF (août).

Description du cas

Jacques* vient de Douala au Cameroun, pays dans lequel l’homosexualité est illégale et passible de prison. Adolescent, son attirance pour les garçons est fortement réprimée par son entourage. Suite à l’échec d’un mariage arrangé par sa famille, il vit quelques aventures amoureuses avec des hommes.

En mai 2015, il se fait attaquer chez lui par des individus armés de machettes qui le traitent de «sale pédé», le menacent de mort et le dévalisent. Il dépose une plainte pour vol. En juillet 2015, il tente de se rapprocher physiquement d’un jeune homme, mais ce dernier le repousse et crie au viol. Jacques * se fait alors passer à tabac par plusieurs personnes qui le laissent pour mort, et se retrouve plongé deux jours dans le coma. Dès sa sortie de l’hôpital, il reçoit des menaces de mort quotidiennes sur son téléphone.

Il quitte sa maison et s’installe chez un ami, également homosexuel. Il ne peut pas porter plainte, puisque l’agression et les menaces sont liées à son homosexualité et que celle-ci est passible d’emprisonnement au Cameroun. Il ne peut pas non plus compter sur sa famille, à l’exception d’un frère qui lui recommande de quitter le pays. Sur les conseils de ce frère et d’autres personnes exilées en raison de leur homosexualité, il quitte son pays en septembre 2015 pour la Turquie. Le climat homophobe rencontré à Istanbul le pousse à partir ensuite en Grèce, où ses empreintes digitales sont enregistrées. Toutefois, il n’engage pas de procédure d’asile. En décembre 2017, il arrive en Suisse et demande l’asile à Vallorbe.

Le 30 avril 2018, il reçoit une décision négative du SEM, jugeant que son récit manque de crédibilité et que le caractère homophobe de ses agressions n’est pas prouvé. Un recours au TAF est alors déposé le 29 mai 2018, avec l’appui de l’Association 360. Jacques* invoque une procédure d’audition sur les motifs de l’asile mal menée, ainsi qu’une appréciation arbitraire des preuves et de son récit. Plusieurs témoignages de son frère, de son ancien voisin et de deux amis aujourd’hui en exil sont ajoutés, confirmant en tout point son récit et le caractère homophobe des agressions. Le recours insiste sur le fait que Jacques* risque la mort ou la prison en cas de renvoi au Cameroun et qu’il est donc un réfugié au sens de l’art. 3 al. 1 LAsi. Le TAF rejette le recours et confirme la décision du SEM, dans un arrêt (D-3184/2018) du 15 août 2018. Le TAF reprend à son compte toutes les interprétations du SEM, sans tenir compte de l’argumentaire exposé dans le recours. Il rejette les témoignages, jugés non pertinents dans le cadre du recours, au motif que les personnes interrogées ne sont pas des témoins directs, et que les témoignages auraient dû être présentés directement au SEM. Le Tribunal interprète le passage à tabac de Jacques* comme une «réaction ponctuelle» à une tentative d’attouchement sur le jeune homme qui a crié au viol, et non comme une agression à caractère homophobe. S’appuyant sur la jurisprudence qui nie l’existence de persécutions systématiques contre les homosexuel∙les au Cameroun, le TAF affirme qu’il incombe à l’Etat camerounais de protéger Jacques* des représailles, alors même que le récit de son agression aux autorités pourrait le conduire en prison. La décision du SEM étant confirmée, Jacques* est donc débouté de l’asile et menacé de renvoi.

Signalé par: Association 360

Sources: Procès-verbaux d’auditions du SEM, recours au TAF du 29.05.2018, arrêt du TAF D-3184/2018 du 15.08.2018

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