Double peine pour une victime de violences conjugales: ses liens avec ses enfants sont rompus et son renvoi est prononcé
Victime de violences conjugales, Maryam* n’a pas pu garder ses enfants auprès d’elle ni s’intégrer en Suisse. C’est la double peine : ses liens avec ses enfants ont été rompus et les autorités prononcent son renvoi, seize ans après son arrivée en Suisse, sans jamais prendre en compte la question des violences conjugales.
Personne concernée (*Prénom fictif): Maryam*, née en1984
Origine: Maroc
Statut: permis B par mariage -> renouvellement refusé
Résumé du cas
À 17 ans, Maryam* est arrivée en Suisse avec son futur conjoint, un ressortissant suisse. Un an plus tard, en 2003, le couple se marie à Lugano. Maryam* et son époux auront deux enfants, en 2003 et 2005. Dès son arrivée en Suisse, elle est maintenue dans l’isolement et victime de violences physiques et de pressions psychiques très importantes. Elle ne sait ni lire ni écrire et son mari lui a interdit de travailler. En 2008, à la suite de graves violences au sein du couple, les autorités tessinoises retirent l’autorité parentale et le droit de garde aux deux parents. Les enfants sont placé∙es dans des familles d’accueil. En 2011, le couple déménage dans le canton du Jura. Maryam* et son mari se séparent un an plus tard. Depuis la séparation, elle est suivie psychologiquement et entreprend de rétablir un lien avec ses enfants.
En juin 2014, le Service de la population du Jura (SPOP) refuse de prolonger l’autorisation de séjour de Maryam*. L’autorité estime que, malgré une durée de mariage de plus de trois ans, Maryam* n’est pas suffisamment intégrée en Suisse : elle ne remplit donc pas les conditions de l’art. 50 al. 1 let a LEI. Elle recourt sans succès au Tribunal cantonal du Jura (TC). Elle fera plus tard une demande de reconsidération au SPOP, suivie d’un recours au TC, puis au Tribunal fédéral (TF). Sans succès. Les différentes instances lui reprochent son manque d’intégration et jugent qu’elle ne peut fonder un droit de séjour sur la base de l’art. 8 CEDH qui protège le droit au respect de la vie familiale : comme elle ne voit que très rarement ses enfants et ne peut pas leur fournir d’aide financière, un retour au Maroc n’entraînerait pas de changements importants. Dans leurs différentes décisions, les instances ignorent la question des violences. Pourtant, l’art. 50 LEI al. 1 let b et al. 2 permettent d’accorder un droit de séjour pour « raisons personnelles majeures », notamment aux victimes de violences conjugales.
En mai 2018, Maryam* dépose une nouvelle demande d’autorisation de séjour, cette fois fondée sur l’art. 30 al. 1 let. b LEI qui permet de « tenir compte des cas individuels d’une extrême gravité ». Suite au rejet du SPOP, elle saisit à nouveau le TC qui rejette son recours, malgré des rapports médicaux attestant des problèmes psychiques de Maryam*, ses 16 ans de séjour en Suisse – dont 10 années de séjour légal – et la présence de ses enfants en Suisse. Le TC estime que ses problèmes psychiques ne permettent pas de fonder un droit de séjour et lui reproche son manque d’intégration, ainsi que sa dépendance à l’aide sociale. En outre, il juge qu’elle n’a pas eu un comportement irréprochable, parce qu’elle a été condamnée en 2010 pour lésions corporelles simples et menaces à l’encontre de son ex-conjoint et, en 2015, pour séjour illégal, suite au retrait de son permis de séjour par les autorités. Dans son arrêt, le TC ignore à nouveau la question des violences conjugales.
Questions soulevées
En six ans de procédure, la situation de Maryam* n’a jamais été évaluée sous l’angle de l’art. 50 LEI, alors que les éléments indiquant que des violences ont été commises au sein du couple devraient être pris en considération par les autorités et les tribunaux afin d’assurer une protection effective des victimes de violences conjugales. Comment expliquer ce manquement?
Les enfants de Maryam* ne devraient-ils pouvoir grandir en ayant la possibilité de garder un lien avec leur mère?
Est-il admissible que les autorités ne tiennent pas compte de la condition de victime de violences conjugales lors de l’évaluation de l’intégration de Maryam*, alors que les directives du SEM indiquent précisément le contraire (chap. 6.15.3.3) ?
La longueur des procédures, la menace d’un renvoi au Maroc ou encore la condamnation pour séjour illégal n’a fait qu’augmenter la vulnérabilité de Maryam*. Les autorités ne devraient-elles pas mettre en place des mesures suffisantes pour favoriser le processus de reconstruction des victimes et éviter la victimisation secondaire?
Chronologie
Avant 2008: arrivée en Suisse (2002); mariage (2003); naissance de deux enfants (2003 et 2005); 2008: retrait de l’autorité parentale et du droit de garde prononcé par les autorités tessinoises à l’encontre des parents, placement des enfants du couple en familles d’accueil;
2012: séparation de Maryam* et de son conjoint (nov.); 2014: non-renouvellement de l’autorisation de séjour par le SPOP (juin); recours au TC; arrêt négatif du TC (nov.);
2017: demande de reconsidération au SPOP (juil.); rejet de la demande par le SPOP (juil.); recours au TC (juil.); arrêt négatif du TC (nov.); recours au TF;
2018: arrêt négatif du TF (mai); demande d’autorisation de séjour pour cas de rigueur auprès du SPOP;
2019: rejet du SPOP (avr.); opposition; confirmation de la décision du SPOP (déc.); recours au TC; 2020: arrêt négatif du TC (juin); recours au TF; arrêt négatif du TF (juil.).
Description du cas
En 2002, Maryam* rencontre au Maroc un ressortissant suisse. Après une courte période de vie commune, elle tombe enceinte. Lorsqu’elle atteint la majorité, en 2003, le couple s’installe à Lugano et se marie. De leur union naissent deux enfants, en 2003 et 2005. Depuis les débuts de la vie commune, Maryam* vit des violences conjugales et des pressions psychiques très importantes. Son mari la bat, lui crie régulièrement dessus, l’humilie et ne la laisse pas quitter la maison familiale. Maryam* ne sait ni lire ni écrire et son mari lui interdit d’aller à l’école ou de travailler.
En 2008, à la suite de graves violences, Maryam* se réfugie dans un foyer pour femmes. Les autorités tessinoises retirent l’autorité parentale et le droit de garde aux parents. Les enfants sont placé∙es dans des familles d’accueil et tout contact est interdit entre parents et enfants. Après plusieurs mois dans une clinique et sans réseau en Suisse, Maryam* retourne auprès de son mari qui la force à repartir au Maroc pour six mois. En 2011, le couple déménage dans le canton du Jura. Maryam* et son mari se sépareront fin 2012. Depuis, Maryam* suit un traitement psychologique et tente non seulement de se reconstruire, mais aussi de rétablir un lien avec ses enfants, avec qui tout contact a été rompu.
En juin 2014, le Service de la population du Jura (SPOP) refuse de renouveler l’autorisation de séjour de Maryam*. Elle recourt sans succès au Tribunal cantonal du Jura (TC). En 2017, elle dépose une demande de reconsidération au SPOP, suivie d’un recours au TC et d’un recours au Tribunal fédéral (TF). Aux yeux du SPOP et du TC, Maryam* n’est pas suffisamment intégrée en Suisse, au sens de l’art. 50 al. 1 let. a LEI. Elle ne peut pas non plus fonder un droit de séjour sur la base de l’art. 8 CEDH : comme elle ne voit que très rarement ses enfants et ne peut pas leur fournir d’aide financière, un retour au Maroc n’entraînerait pas de changements importants. Ce dernier point est confirmé par le TF en mai 2018 (2C_1081/2017 du 07.05.2018, consid. 5.2). Dans leurs différentes décisions, les autorités ignorent la question des violences conjugales. L’art. 50 al. 1 let. b LEI permet pourtant de prolonger le droit de séjour pour « raisons personnelles majeures », notamment lorsque la conjointe est victimes de violence conjugale (art 50 al. 2 LEI).
En mai 2018, Maryam* dépose une demande d’autorisation de séjour pour cas de rigueur (art. 30 al. 1 let. b LEI). À la suite du refus du SPOP, elle saisit le TC jurassien, qui rejette à son tour le recours. Malgré les nombreux rapports médicaux fournis par Maryam*, le TC estime que ses problèmes psychiques ne sont dus qu’au manque de permis de séjour et au manque de contact avec ses enfants. À nouveau, les violences conjugales, comme cause antérieure de ses troubles psychiques, sont passées sous silence. Le TC ignore également le fait que les violences conjugales soient la raison première pour laquelle ses enfants lui ont été retirés et les liens familiaux brisés. En outre, le TC juge que la durée de séjour de plus de 16 ans invoquée par Maryam*, dont 10 années de séjour légal, n’est pas suffisante pour justifier un cas de rigueur. Le TC lui reproche à nouveau son manque d’intégration et sa dépendance à l’aide sociale. Enfin, le TC conclut que le comportement de Maryam* en Suisse n’a pas été pas irréprochable. Il lui reproche avoir été condamnée en 2010 pour lésions corporelles simples et menaces à l’encontre de son ex-conjoint, et en 2015 pour séjour illégal, tout en ignorant les violences qu’elle a subies de la part de son ex-conjoint depuis son arrivée en Suisse.
En juillet 2020, avec l’aide d’une mandataire, Maryam* saisit le TF d’un recours constitutionnel subsidiaire. Elle invoque d’abord une violation du droit d’être entendu (art. 29 Cst.) et du droit à un procès équitable (art. 30 Cst. et 6 § 1 CEDH), les trois jugements du TC sur sa cause ayant été rendus par la même juge Présidente. La mandataire de Maryam* invoque également un déni de justice et un formalisme excessif, le TC ayant refusé qu’elle soit représentée par une juriste de son choix, non titulaire du brevet d’avocat, mais qualifiée. Le TF rejette ce recours en rappelant que le seul fait de participer à une procédure antérieure – qu’elle qu’en soit l’issue – ne constitue pas un motif de récusation d’un∙e juge. Il estime par ailleurs que la recourante n’a pas suffisamment motivé son recours pour démontrer une violation de ses droits fondamentaux (arrêt du TF 2C_608/2020 du 27.07.2020, consid. 5 et 6).
Signalé par: Asylex – avril 2020
Sources: différentes demandes au SPOP et décisions de l’autorité cantonale; différents recours et arrêts négatifs du TC; différents recours au TF; arrêt du TF 2C_1081/2017 du 7 mai 2018; arrêt du TF 2C_608/2020 du 27 juillet 2020; échanges entre mandataires et autorités cantonales.