Deux longues années avant d’être entendu sur ses motifs d’asile

« Farzan » est détenu et torturé en Iran à cause de son engagement politique. Il fuit et demande l’asile en Suisse en 2011. Il doit alors attendre deux ans avant d’être auditionné par l’ODM sur ses motifs d’asile, malgré de nombreuses relances. Sans décision, il vit avec un statut précaire, dans des conditions difficiles et une incertitude insoutenable.

Personne(s) concernée(s) : « Farzan », né en 1981

Statut : demande d’asile -> en attente

Résumé du cas

En 2003, « Farzan » quitte l’Iran où il est persécuté pour son engagement au sein d’un mouvement azéri. Réfugié en Irak, il est retrouvé par le régime iranien dans le cadre de ses activités au sein du Parti démocratique kurde et en tant que journaliste à la Télévision kurde. Fuyant de nouvelles menaces, « Farzan » demande l’asile en Suisse en mars 2011. Attribué au canton de Genève, il transmet à l’ODM en août 2011 des moyens de preuve pour que celui-ci statue sur sa demande. Sans nouvelles de l’Office, « Farzan » envoie en juillet 2012 un courrier demandant à être auditionné sur ses motifs d’asile. L’ODM lui répond que sa demande n’est pas prioritaire et que, face à la surcharge de travail actuelle, une telle audition n’est pas envisagée dans l’immédiat. En décembre 2012, désormais représenté par un mandataire, il fait parvenir par l’intermédiaire de celui-ci une nouvelle lettre à l’ODM, indiquant qu’une telle attente l’affecte énormément. Il apporte aussi de nouveaux moyens de preuve et réitère sa demande d’être entendu au titre de l’art. 29 LAsi. Hébergé dans un container depuis une année bien qu’il travaille et qu’il ait les moyens de payer un loyer en logement individuel, il souffre du prolongement de son statut de requérant d’asile, car celui-ci le fait non seulement vivre dans l’inconfort, mais aussi dans une pesante incertitude. En février 2013, en l’absence de réponse de l’ODM, le mandataire de « Farzan » écrit une nouvelle fois à l’Office avec copie au directeur. Celui-ci lui répond que la demande de son mandant n’est pas « hautement prioritaire » ; toutefois, il lui assure qu’une audition aura lieu dans les semaines à venir. « Farzan » est auditionné sur ses motifs d’asile en avril 2013 et attend depuis lors une décision de l’ODM.

Questions soulevées

 Bien que la loi prévoie une audition sur les motifs dans les 20 jours suivant l’attribution du requérant à un canton (art. 29 LAsi), l’ODM aura mis ici 21 mois pour convoquer « Farzan ». Un tel délai ne frôle-t-il pas le déni de justice, proscrit par la Constitution fédérale (art. 29 Cst) ? Qu’en aurait-il été si le mandataire n’avait pas interpellé le directeur de l’ODM ?

 Pour justifier son retard, l’ODM met en avant la hiérarchisation des demandes d’asile, consacrée dans le projet de restructuration du domaine de l’asile. L’accélération des procédures ne doit-elle pas également permettre aux personnes qui, comme « Farzan », ont un besoin de protection manifeste d’obtenir celle-ci rapidement ? Retarder le traitement de telles demandes ne revient-il pas à nier à des réfugiés les droits garantis dans la Convention de 1951 ?

Chronologie

1996 : assassinat du frère de « Farzan » et engagement de celui-ci dans un mouvement azéri en Iran

2002 : arrestation, torture et condamnation de « Farzan » par le régime iranien

2003 : fuite en Irak et affiliation au Parti démocratique kurde

2011 : demande d’asile en Suisse (mars)

2013 : audition sur les motifs d’asile (avril)

N.B. : Au moment de la publication, la décision de l’ODM en première instance est toujours en attente.

Description du cas

Iranien d’origine kurde et azérie, « Farzan » demande l’asile en Suisse en mars 2011. Dès 1996, suite à l’assassinat de son frère, il s’engage au sein d’un mouvement de défense des droits des Azéris d’Iran. En 2002, « Farzan » est arrêté sur son lieu de travail, torturé puis condamné sans preuves à une année d’emprisonnement pour opposition au régime. Après sa libération en 2003, il se réfugie en zone kurde d’Irak, où il s’engage auprès du Parti démocratique kurde (PDK) et travaille en tant que journaliste à la Télévision kurde à Koysinjaq. Après une intervention en langue turque (celle des Azéris) à la Télévision kurde, « Farzan » est repéré par les autorités iraniennes, subit des menaces d’assassinat et finit par quitter l’Irak en 2011. Alors qu’il cherche à se rendre en Norvège pour y demander l’asile, il est interpellé par la police en Suisse et y dépose sa demande.

Suite à son audition sommaire au CEP, « Farzan » est attribué au canton de Genève et y multiplie les démarches pour pouvoir exposer ses motifs d’asile auprès de l’ODM. Il envoie en août 2011 une première lettre à l’Office, lui transmettant plusieurs moyens de preuve, notamment des photos où il apparaît aux côtés de dirigeants du PDK. En juillet 2012, il envoie un deuxième courrier demandant à être auditionné au titre de l’art. 29 al. 1 LAsi. L’ODM répond quelques jours plus tard, expliquant à « Farzan » qu’au vu de sa surcharge de travail et des priorités qu’il s’est fixées dans le traitement des demandes d’asile, il n’est pas en mesure de l’auditionner dans l’immédiat. Le mois suivant, « Farzan » transmet à l’Office de nouveaux moyens de preuve sur son engagement politique et réitère sa demande d’être entendu.

Parallèlement à cela, « Farzan », qui est au bénéfice d’un contrat de travail à 100% dès 2012, multiplie ses démarches pour pouvoir être hébergé dans un logement individuel. Bien qu’il soit en mesure de payer un loyer, avec son statut de requérant d’asile (livret N), « Farzan » ne peut de fait pas prétendre à un tel logement. Seul un nombre réduit de tels logements est à disposition des requérants d’asile, mais l’attente pour s’en voir attribuer est très longue et la priorité est donnée aux familles. De ce fait, « Farzan » est durablement logé dans un container en attendant la détermination de son statut.

En décembre 2012, désormais représenté par un mandataire, « Farzan » fait parvenir, par l’intermédiaire de celui-ci, une nouvelle lettre à l’ODM où il détaille les conséquences psychologiques qu’entraîne chez lui cette attente. Militant politique engagé, il souffre de ne toujours pas avoir pu exposer en détail les raisons de sa fuite d’Iran, puis d’Irak. Au moyen de ce courrier, il fait parvenir de nouvelles preuves à l’appui de sa demande. En février 2013, faute d’avoir obtenu une réponse, le mandataire de « Farzan » relance l’ODM, copiant cette fois le directeur de l’institution. Il souligne qu’aucune réponse n’a été reçue au courrier précédant et que 21 mois se sont écoulés depuis le dépôt de la demande d’asile de « Farzan ». Le directeur répond le mois suivant. Tout en reconnaissant qu’« un suivi aurait dû être donné » au courrier précédent, il justifie l’absence d’audition sur les motifs à la fois par la surcharge de travail de l’ODM et par le fait que la demande de son mandant « ne fait pas partie de la catégorie des cas hautement prioritaires. » Cependant, le haut fonctionnaire garantit que « Farzan » sera convoqué très prochainement à une audition. En avril 2013, soit deux ans après l’enregistrement de sa demande d’asile, « Farzan » est entendu sur ses motifs d’asile. Il attend désormais une réponse de l’ODM.

Signalé par : Centre social protestant (CSP) Genève, juillet 2013

Sources : rapport ROE (15.04.13) ; relances du mandataire (13.12.12 et 27.02.13) et réponse du directeur de l’ODM (12.03.13) ; relances de « Farzan » (15.08.11 et 9.07.12) et réponse de l’ODM (20.07.12) ; échanges entre le mandataire et l’Hospice général.

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