Deux enfants livrés à eux-mêmes ne peuvent rester avec leur père en Suisse
« Blerim » et « Agnija » sont remis par leur mère à leurs grands-parents paternels qui ne peuvent s’en occuper vu leur âge et leur état de santé. Leur père, titulaire d’un permis C, les fait venir en Suisse, mais sa demande de regroupement familial en leur faveur est refusée.
Mise à jour
Le recours déposé devant la CACJ par la famille est rejeté en 2017. La mandataire recourt alors au TF contre cette décision. Dans son arrêt du 12 octobre 2017 (2C_528/2017), le TF rejette à son tour le recours. Un mois et demi plus tard, la mandataire dépose une demande de reconsidération devant l’OCPM, en raison de la détérioration de l’état de santé des grands-parents maternels et paternels. En outre, quatre années se sont écoulées depuis l’arrivée des deux enfants en Suisse et tou·te·s deux sont scolarisé·e·s depuis. La mandataire souligne que les liens tissés par les enfants avec leur père et leur belle-mère se sont renforcés et qu’il et elle ont à présent deux demi-frères. Elle invoque le droit au respect de la vie familiale (art. 13 Cst. et art. 8 CEDH), ainsi que l’obligation de prendre en compte l’intérêt de l’enfant selon l’article 3 CDE. Elle demande donc l’octroi d’une autorisation de séjour aux enfants pour cas de rigueur, selon l’article 30 al. 1 let. b LEI et 31 OASA.
L’OCPM rejette la demande de reconsidération en décembre 2017 en avançant que les circonstances n’ont pas changé de manière notable depuis la première décision de refus en 2015 (art. 48 LPA) puisque l’état de santé précaire des grands-parents était déjà connu. Pour l’OCPM, les conditions d’un cas de rigueur ne sont pas remplies et il estime qu’un retour des enfants en Macédoine est possible. La mandataire recourt au Tribunal administratif de première instance (TAPI). Ce dernier confirme les conclusions de l’OCPM et rejette le recours en juillet 2018. Dans son jugement, le TAPI, citant la jurisprudence, note que l’écoulement du temps entre les décisions des autorités, et l’évolution de l’intégration en Suisse dû à cet écoulement du temps ne constituent pas une modification des circonstances permettant la reconsidération de la décision. Concernant les conditions d’un cas de rigueur, le TAPI estime que la durée du séjour des enfants n’est pas assez importante pour admettre qu’ils ne puissent pas se réintégrer en cas de retour en Macédoine. Début septembre 2018, un recours est déposé devant la Chambre administrative de la Cour de Justice de Genève (CACJ). Un an et trois mois plus tard, la CACJ (ATA/1818/2019) annule le jugement du TAPI et renvoie la cause à l’OCPM afin qu’il la soumette au SEM pour approbation.
Dans son analyse des conditions d’un cas de rigueur (art. 30 al. 1 let b LEI et 31 OASA) pour Blerim* et Agnija*, la CACJ estime qu’un renvoi dans le pays d’origine est d’une rigueur excessive lorsqu’il s’agit d’adolescent·e·s (à savoir entre 12 et 16 ans) ayant suivi l’école durant plusieurs années en Suisse et achevé leur scolarité avec de bons résultats. Pour la CACJ, il faut « tenir compte de l’âge des enfants au moment de leur arrivée en Suisse et au moment où se pose la question du retour, des efforts consentis, de la durée, du degré de la réussite de la scolarité, de l’état d’avancement de la formation professionnelle, ainsi que de la possibilité de poursuite ou d’exploiter, dans le pays d’origine, la scolarisation ou la formation professionnelle entamée en Suisse. ». La CACJ ajoute qu’une prise en compte de la période d’adolescence et de la scolarisation est essentielle afin de respecter la prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant. Dans le cas de Blerim* et Agnija*, les deux enfants sont arrivés en 2013 à l’âge de 7 et 11 ans. Désormais adolescents et scolarisés, les deux jeunes ne pourraient pas se réinsérer en Macédoine sans que cela constitue un déracinement important. La CACJ remarque aussi que les membres de la famille vivent tous sous le même toit, entretiennent des relations harmonieuses et que les époux font preuve d’un comportement irréprochable. Enfin, la CACJ souligne qu’Agnjia* et Blerim* ont désormais deux demi-frères et qu’une séparation de la fratrie violerait leur droit à la protection de la sphère familiale.
Malgré cette décision, le SEM adresse, neuf mois plus tard, un courrier annonçant qu’il envisage de refuser l’octroi d’une autorisation de séjour à Blerim* et Agnjia*. Le SEM estime qu’en ne respectant pas la décision de renvoi des autorités, le père a mis ces dernières devant le fait accompli et qu’un simple écoulement du temps ne saurait constituer un cas de rigueur justifiant l’octroi d’une autorisation de séjour. Par l’intermédiaire de leur mandataire, la famille fait valoir son droit d’être entendu, rappelant l’analyse de la CACJ. La décision est en attente.
Personne(s) concernée(s) : « Artan » né en 1976, « Blerim » né en 2006, « Agnija » née en 2002
Statut : demande de regroupement familial -> demande rejetée
Résumé du cas
Suite à son mariage avec une femme titulaire d’un permis C, « Artan » bénéficie du regroupement familial en 2005, puis obtient une autorisation d’établissement en 2010. En novembre 2013, « Blerim » et « Agnija », ses enfants nés d’une précédente relation, sont remis par leur mère à leurs grands-parents paternels âgés et malades en Macédoine. Leur mère souhaite refaire sa vie et, selon les coutumes locales, ceci est impossible pour une femme ayant des enfants à charge nés d’un premier lit. « Artan », désormais divorcé de sa première épouse et remarié avec une compatriote, fait donc venir les enfants en urgence à Genève, avant de déposer une demande de regroupement familial quelques jours plus tard. En octobre 2015, l’OCPM rejette la demande. Saisi d’un recours, le TAPI rend une décision négative en juin 2016. Pour les autorités genevoises, il n’y a pas en l’espèce de raisons familiales majeures permettant de déroger au délai de cinq ans (après l’octroi du permis de séjour) pour demander le regroupement familial (art. 47 al. 4 LEtr). Le caractère de l’urgence de la situation n’est pas retenu et le choix de la mère de ne plus s’occuper des enfants n’est pas considéré comme une raison familiale majeure. Par ailleurs, les autorités nient le lien étroit et effectif qu’entretient « Artan » avec ses enfants. Dans son jugement, le TAPI reproche à « Artan » d’avoir fait venir « illégalement » les enfants sur le territoire suisse parce qu’il n’a pas déposé une demande de regroupement familial au préalable. Ceci est contesté par la mandataire qui invoque l’exception prévue à l’art. 17 al. 2 LEtr. Elle déplore la vision du TAPI ne se référant qu’à des arrêts concernant des adolescents et soulignant l’importance pour ceux-ci de pouvoir rester où ils vivent (alors que « Blerim » et « Agnija » n’ont que 7 et 11 ans au moment du dépôt de la demande). C’est sur ces arrêts que le TAPI fonde son exigence de recherche de solutions de garde alternatives dans le pays d’origine. L’argument des autorités selon lesquelles les grands-parents peuvent s’occuper des enfants est contesté, certificats médicaux à l’appui. Par ailleurs, selon la jurisprudence du TF (notamment 2C_1013/2013 du 17 avril 2014), le regroupement familial ne doit être refusé que s’il est manifestement contraire au bien des enfants et les autorités ne sauraient se substituer aux choix des parents en la matière. Or, pour le TAPI, il n’est pas établi qu’il soit dans l’intérêt des enfants de vivre avec leur père, leur belle-mère et leur demi-frère en Suisse. Un recours est pendant auprès de la CACJ au moment de la rédaction..
Questions soulevées
Comment considérer qu’il soit dans l’intérêt supérieur (art. 3 CDE) de deux enfants âgés de 7 et 11 ans de retourner vivre en Macédoine avec leurs grands-parents âgés et malades plutôt que d’être élevé par leur père, auprès de qui ils vivent depuis deux ans et demi ? Les autorités ont-elles évalué les conséquences que pourraient avoir sur ces enfants les « ballotements » d’une personne responsable à une autre et d’un pays à un autre ?
Le TAPI ne surpasse-t-il pas son pouvoir d’appréciation en prétendant savoir mieux que les parents ce qui est mieux pour leurs enfants, contredisant ainsi la jurisprudence ?
Chronologie
2005 : arrivée en Suisse d’« Artan » au bénéfice d’un permis B pour regroupement familial
2010 : « Artan » obtient une autorisation d’établissement
2013 : arrivée de « Blerim » et « Agnija » en Suisse ; demande de regroupement familial (nov.).
2015 : intention de refus de l’OCPM (août) ; refus (oct.) ; recours au TAPI (nov.)
2016 : décision du TAPI (juin) ; recours (juil.) ; duplique de l’OCPM (août) ; réplique du CCSI (sept.)
Description du cas
« Artan » arrive en Suisse en 2005 au bénéfice d’une autorisation de séjour pour regroupement familial avec son épouse titulaire d’un permis C. En 2010, il obtient à son tour une autorisation d’établissement. En novembre 2013, « Blerim » et « Agnija », les enfants d’« Artan » nés d’une précédente relation sont abandonnés par leur mère qui souhaite refaire sa vie. Ils sont confiés à leurs grands-parents paternels mais ceux-ci sont trop âgés et malades pour s’en occuper. « Artan » les fait donc venir à Genève en urgence, puis dépose une demande de regroupement familial en leur faveur quelques jours après leur arrivée. Deux ans plus tard, la demande est formellement refusée par l’OCPM. « Artan » dépose un recours devant le TAPI qui rend une décision négative contre laquelle il dépose un nouveau recours.
Passé un délai de cinq ans après l’octroi de l’autorisation de séjour, le regroupement familial n’est en principe autorisé que pour des raisons familiales majeures (art. 47 al. 4 LEtr), notamment un changement important de circonstances dans la prise en charge des enfants. Pour l’OCPM, il n’y a pas de preuves que c’était non pas la mère, mais déjà les grands-parents qui s’occupaient des enfants avant 2013. De plus, l’office souligne que le libre choix de la mère de ne pas s’en occuper ne peut être considéré comme une raison familiale majeure. Enfin, l’OCPM considère qu’« Artan » ne peut se prévaloir de l’art. 8 CEDH (droit au respect de la vie privée et familiale) vu le peu de liens qu’il entretenait avec « Blerim » et « Agnija » avant leur venue en Suisse et malgré les visites qu’il leur rendait régulièrement en Macédoine. Finalement, le deux-pièces d’« Artan » est considéré comme inapproprié, alors qu’il avait informé l’OCPM qu’il allait obtenir un appartement de cinq pièces dans un bref délai. Le TAPI, dans son jugement, relève qu’il ne faut pas encourager la politique du fait accompli, faisant référence à la venue des enfants sans dépôt préalable d’une demande de visa en vue du regroupement familial. Pour le Tribunal, les conditions de l’art. 17 al. 2 LEtr invoqué par la mandataire ne sont pas remplies. Selon cet article, une demande ne peut-être déposée après l’entrée en Suisse que s’il y a un droit légal à l’octroi d’une autorisation de séjour. Selon le Tribunal ce n’est pas le cas en l’espèce d’où l’illégalité de la demande. Par ailleurs, le juge estime que les preuves des relations familiales fournies sont insuffisantes et que l’abandon des enfants par leur mère, qui « ne souhaite visiblement plus satisfaire à ses obligations » ne constitue pas une raison personnelle majeure. Il considère que les grands-parents représentent une solution alternative de prise en charge, malgré le certificat médical attestant des problèmes de santé du grand-père de 81 ans (celui concernant la grand-mère de 71 ans semble avoir été oublié par le Tribunal). Il ne serait donc pas dans l’intérêt supérieur des enfants de vivre avec leur père en Suisse.
Pour la mandataire, la situation est tout autre. Elle invoque le droit au regroupement familial de « Blerim » et « Agnija » en vertu des art. 43 LEtr et 8 CEDH. De plus, elle affirme que selon l’exception prévue à l’art. 17 al. 2 LEtr il était légal de les faire venir en Suisse sans visa, puis de demander le regroupement familial dans les jours suivants. « Artan » et sa mandataire soutiennent qu’il est quasiment impossible pour une femme appartenant à la communauté albanaise de Macédoine et ayant des enfants issus d’une précédente relation de se reconstruire une famille. Cette réalité est attestée par un rapport de l’OSAR. Par ailleurs, la mandataire déplore le fait que le TAPI exige une recherche de solutions alternatives en se fondant sur des arrêts qui concernent des adolescents soulignant l’importance pour ceux-ci de pouvoir rester où il vivent (2C_473/2014), alors que « Blerim » et « Agnija » n’ont que 7 et 11 ans au moment du dépôt de la demande. De son côté, elle met en avant des arrêts plus récents, notamment l’arrêt 2C_1013/2013 du 17 avril 2014 dans lequel le regroupement familial ne doit être refusé que s’il est manifestement contraire au bien des enfants. Selon cette jurisprudence, « les autorités compétentes en matière de droit des étrangers ne sauraient, en ce qui concerne l’intérêt de l’enfant, substituer leur appréciation à celle des parents …] ». Pour la mandataire, l’abandon subit par la mère de ses enfants devant la porte des grands-parents constitue un changement de circonstances majeur, à plus forte raison au vu de l’incapacité de ces derniers de s’occuper seuls de leurs petits-enfants. Par ailleurs, il n’y a pas de solution de garde alternative en Macédoine qui pourrait répondre à l’exigence de prise en compte de l’intérêt supérieur des enfants indiquée par la jurisprudence. Une décision de la CACJ est en attente, alors que « Blerim » et « Agnija » vivent en Suisse auprès de leur père, leur belle-mère et leur demi-frère né entre-temps, depuis près de trois ans.
Signalé par : CCSI Genève – octobre 2016
Sources : Jugement du TAPI du 23 juin 2016 ; Recours du CCSI du 14 juillet 2016; duplique de l’OCPM du 15 août 2016 ; réplique du CCSI du 14 septembre 2016.