Décès d’un jeune demandeur d’asile: la responsabilité directe des autorités suisses

Cas 459 / 13.02.2024 Alam* arrive en Suisse à 17 ans et demande l’asile après avoir vécu des violences en Grèce où il a reçu protection. Les autorités suisses prononcent une non-entrée en matière et son renvoi, malgré des rapports médicaux attestant de la vulnérabilité d’Alam*. Celui-ci met fin à ses jours à la suite du rejet de son recours par le TAF.

Mots-clés: Conditions de vie, accès aux soins, RMNA, encadrement

Personne concernée (*prénom fictif): Alam*

Origine: Afghanistan

Statut: NEM Etat tiers sûr / décédé

Résumé

Alam*, né en 2004, est originaire d’Afghanistan et a grandi en Iran. Son père décède alors qu’il est encore jeune, et sa mère quitte le foyer. Son oncle, un homme autoritaire et maltraitant, prend en charge la fratrie. Alam* connait de graves épisodes de souffrance psychologiques, subit des violences et, à l’âge de 13 ans, il est rejeté par sa famille.

Alam* prend la route de l’exil et arrive en Grèce en octobre 2019. Il séjourne sur l’île de Lesbos, au camp de Moria, où il subit des violences y compris sexuelles, qu’il dénonce à la police grecque sans que sa plainte n’aboutisse. En juillet 2020, le statut de réfugié lui est reconnu en Grèce. À la suite d’un grave incendie au camp de Moria, Alam* est déplacé à Thessalonique, où il vit quelques mois en hébergement collectif puis se retrouve sans toit, et part pour la Suisse.

En avril 2021, âgé de 17 ans, Alam* dépose une demande d’asile au Centre fédéral d’asile de Boudry en tant que requérant d’asile mineur non-accompagné (RMNA). Le SEM lui demande de justifier son âge, car il est enregistré comme majeur en Grèce. Entre mai et octobre 2021, 12 rapports médicaux sont transmis au SEM.

En février 2022, un nouveau rapport médical alarmant est établi par les médecins des HUG. Ils·elles posent le diagnostic d’un état de stress post traumatique à Alam*, avec des troubles dissociatifs, une symptomatologie anxio-dépressive, un sommeil perturbé, une tristesse journalière, des ruminations, des sensations de vide et de culpabilité, et des idées suicidaires. Ils·elles soulignent un isolement social en dehors des activités scolaires et l’absence d’idées suicidaires depuis le début de reprise de l’école, alors qu’Alam* est à nouveau capable de se projeter dans l’avenir (reprise d’un projet de vie et la stabilité socio-affective). Ces expert·es des HUG recommandent un suivi spécialisé et donnent un pronostic très défavorable en cas d’absence de traitement. Ils soulignent un risque de décompensation et de passage à l’acte suicidaire en cas de renvoi.

Néanmoins, fin février 2022, le SEM n’entre pas en matière sur la demande d’asile d’Alam*, au motif que le statut de réfugié lui aurait été reconnu en Grèce, considéré comme un Etat tiers sûr. Concernant le renvoi, les autorités suisses estiment que la Grèce est compétente pour fournir protection et soin et que l’état de santé d’Alam* connait une évolution positive avec un traitement et un suivi adapté. Alam* dépose un recours auprès du TAF contre cette décision. En novembre 2022, le TAF rejette le recours, au motif que le recourant n’aurait pas démontré s’être trouvé en Grèce dans une situation de dénuement matériel extrême. Le TAF estime aussi que les violences qu’Alam* a subies en Grèce ne seraient pas établies. Enfin, pour le TAF, l’état de santé d’Alam* n’atteindrait pas un seuil de gravité suffisant pour surseoir au renvoi. Le 30 novembre 2022, Alam* met fin à ses jours.

Questions soulevées

·         Comment se fait-il que les autorités suisses ne prennent pas en compte des rapports médicaux explicites concernant l’état de santé de requérant·es d’asile? Quelle est la valeur que le SEM et le TAF accordent aux rapports médicaux établis par des médecins en Suisse?

·         Alors que les conditions de vie en Grèce pour les personnes réfugiées sont documentées comme inhumaines et insuffisantes par plusieurs ONG, comment les autorités suisses peuvent-elles prétendre qu’un renvoi pourrait être exécuté sans affecter le suivi médical d’Alam*, pourtant indispensable?

·         Les autorités suisses ne devraient-elles pas assumer leurs responsabilités face au décès d’Alam*, explicitement survenu à la suite de l’annonce du rejet de son recours?

Chronologie

2021: arrivée en Suisse et demande d’asile (avril)

2022: refus par le SEM (fév.), recours au TAF (mars), rejet du recours par le TAF et décès (nov.)

Description du cas

Alam*, né en 2004, est originaire d’Afghanistan et grandit avec sa famille en Iran. Son père est malade et décède alors qu’il est encore jeune et sa mère quitte le foyer. Son oncle, un homme autoritaire et maltraitant, prend en charge la fratrie. Alam* n’a pu suivre que 7 ans de scolarité, faute de moyens financiers. Il connait de graves épisodes de souffrance psychologiques, subit des violences liées à son appartenance à un groupe minoritaire en Iran et, à l’âge de 13 ans, il est rejeté par sa famille car il refuse d’adhérer aux valeurs religieuses de celle-ci.

Alam* prend alors seul la route de l’exil en 2019, un parcours émaillé de violences. Il passe par la Turquie et arrive en Grèce en octobre 2019, où il reste deux ans et demi. Il séjourne d’abord sur l’île de Lesbos, au camp de Moria, où il subit à nouveau des violences y compris sexuelles. Il les dénonce à la police grecque sans que sa plainte n’aboutisse. Il reçoit une décision d’asile en Grèce en juillet 2020. À la suite d’un grave incendie au camp de Moria, il est déplacé à Thessalonique, où il vit quelques mois en hébergement collectif puis se retrouve sans toit, faute de recevoir un soutien étatique suffisant pour payer un loyer. Après avoir vécu deux mois dans la rue, il part pour la Suisse.

En avril 2021, âgé de 17 ans, Alam* dépose une demande d’asile au Centre fédéral d’asile de Boudry en tant que requérant d’asile mineur non-accompagné (RMNA). Le SEM lui demande de justifier son âge, car il est enregistré comme majeur en Grèce. Alam* explique que les conditions de vie des RMNA en Grèce sont encore plus effrayantes que celles des personnes majeures, raison pour laquelle il a déclaré un âge plus élevé. Il rappelle les violences subies en Grèce et indique clairement ne pas souhaiter y retourner. Entre mai et octobre 2021, 12 rapports médicaux sont transmis au SEM, indiquant qu’Alam* présente un trouble de l’adaptation, connait des épisodes dépressifs, suit un traitement médicamenteux et qu’un accompagnement hebdomadaire est recommandé.

En août 2021, l’examen médical ordonné par le SEM visant à déterminer l’âge d’Alam conclut qu’il est majeur. A l’occasion d’un droit d’être entendu, la mandataire rappelle que l’expertise médico-légale ne constitue qu’un indice et ne permet pas d’affirmer la majorité. Elle argue que le SEM n’a pas tenu compte du parcours de vie d’Alam* (il commence à travailler à 9 ans, et donne des cours de boxe ce qui influe sur la masse osseuse). Le SEM déclare néanmoins Alam majeur et modifie sa date de naissance, tout en mentionnant le caractère litigieux de cette inscription.

En décembre 2021, la mandataire d’Alam* réagit au droit d’être entendu sur la décision de NEM Etat tiers sûr (art. 31a al.1 LAsi) en invoquant que le renvoi violerait l’art. 3 CEDH, l’art. 3 CAT et l’art. 13 CEDH au vu des conditions de vie et des traitements inhumains subis, ainsi que de l’absence de protection reçue. En février 2022, un nouveau rapport médical alarmant est établi par les médecins des HUG. Ils·elles posent le diagnostic d’un état de stress post traumatique à Alam*, avec des troubles dissociatifs, une symptomatologie anxio-dépressive, un sommeil perturbé, une tristesse journalière, des ruminations, des sensations de vide et de culpabilité, et des idées suicidaires. Ils·elles soulignent un isolement social en dehors des activités scolaires et l’absence d’idées suicidaires depuis le début de reprise de l’école, alors qu’Alam* est à nouveau capable de se projeter dans l’avenir (reprise d’un projet de vie et la stabilité socio-affective). Ces expert·es des HUG recommandent un suivi spécialisé et donnent un pronostic très défavorable en cas d’absence de traitement. Ils soulignent un risque de décompensation et de passage à l’acte suicidaire en cas de renvoi.

Néanmoins, fin février 2022, le SEM n’entre pas en matière sur la demande d’asile d’Alam*, au motif qu’il aurait obtenu le statut de réfugié en Grèce, considéré comme un Etat tiers sûr. Concernant le renvoi, les autorités suisses estiment que la Grèce est compétente pour fournir protection et soin et que l’état de santé d’Alam* connait une évolution positive avec un traitement et un suivi adapté. Selon le SEM, « [r]ien n’indique que la situation médicale [d’Alam*] soit si grave ou si particulière qu’elle puisse s’opposer à un retour en Grèce ». L’exécution du renvoi est donc jugée licite, raisonnablement exigible et possible. Alam* dépose en mars un recours auprès du TAF contre cette décision.

En novembre 2022, le TAF rejette le recours, au motif que le recourant n’aurait pas démontré s’être trouvé en Grèce dans une situation de dénuement matériel incompatible avec la dignité humaine. Le TAF estime que les violences subies en Grèce ne seraient pas établies et qu’elles pourraient ne pas être à l’origine du trouble psychique de celui-ci. Enfin, l’état de santé d’Alam* n’atteindrait pas selon le TAF un seuil de gravité suffisant pour surseoir au renvoi.

En novembre 2022, le TAF rejette le recours, au motif que le recourant n’aurait pas démontré s’être trouvé en Grèce dans une situation de dénuement matériel extrême. Le TAF estime aussi que les violences qu’Alam* a subies en Grèce ne seraient pas établies. Enfin, pour le TAF, l’état de santé d’Alam* n’atteindrait pas un seuil de gravité suffisant pour surseoir au renvoi. Selon lui, les «tendances suicidaires ne constituent pas, en soi, un obstacle à l’exécution du renvoi, seule une mise en danger présentant des formes concrètes devant être prises en considération.» Le 30 novembre 2022, deux jours après avoir pris connaissance de la décision du SEM, Alam* met fin à ses jours.

Signalé par: CSP Genève

Sources: Décision du SEM de février 2022 ; décision du TAF E-1088/2022

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