Débouté à deux reprises malgré des agressions homophobes attestées en Ukraine

Témoignage – Emir* quitte l’Ukraine en 2020 suite à des persécutions liées à son orientation sexuelle. En Suisse, sa demande d’asile est refusée par le SEM et son recours rejeté par le TAF. Il repart en Ukraine, où il subit de nouvelles violences. Revenu en Suisse, sa demande d’asile essuie le même refus des autorités.

Personne concernée: Emir* (prénom fictif)

Origine: Ukraine

Statut: Permis F (admission provisoire)

Entretien avec l’ODAE romand : le 20.07.2021 (mise à jour en décembre 2022)

Emir*, originaire d’Ukraine, arrive en Suisse en 2020. Dans son pays, il cache son homosexualité mais celle-ci finit par être révélée malgré lui. Il subit alors des violences et des persécutions homophobes, l’Ukraine étant un pays où – bien que l’homosexualité n’y soit plus considérée comme un crime – l’homophobie est encore prégnante. Il dépose deux demandes de protection auprès de la police, mais celle-ci n’engage aucune poursuite contre les hommes qui l’ont agressé et classe sa plainte. Emir* quitte alors l’Ukraine et demande l’asile en Suisse. En août 2020, il reçoit une décision négative du SEM, au motif que l’Ukraine serait un pays qui respecte les droits des personnes LGBTIQ+. Son renvoi est prononcé. Avec l’appui d’une juriste de Caritas, Emir* dépose un recours quelques jours plus tard, dans lequel il relève que les discriminations subies par les personnes LGBTIQ+ en Ukraine sont attestées par diverses sources. En septembre 2020, le TAF rejette son recours.

Décontenancé par cette décision, Emir* retourne à Kiev en septembre 2020. Il y est à nouveau agressé physiquement. Il retourne demander l’aide de la police mais ne reçoit aucun soutien ni protection et voit sa plainte être à nouveau classée. En décembre 2020, Emir* revient à Genève et dépose une nouvelle demande d’asile avec à l’appui des preuves de l’agression subie et de nouveau rapports sur la discrimination à l’encontre des personnes LGBTIQ+ encore très présente en Ukraine. Il remet également un rapport médical faisant état de séquelles psychiques et de lésions corporelles liées à son agression. En février 2021, le SEM réitère son refus d’accorder l’asile à Emir*, en réaffirmant que si la situation pour les personnes LGBT+ est effectivement difficile en Crimée, il existe une possibilité de refuge interne dans le reste de l’Ukraine où leurs droits seraient respectés. En outre, les problèmes médicaux d’Emir ne seraient pas d’une gravité particulière et pourraient être traités en Ukraine. Le nouveau recours déposé par ce dernier est également rejeté par le TAF. Suite aux menaces d’invasion de l’Ukraine par la Russie à la fin de l’année 2021, Emir* dépose une demande de réexamen de sa situation. En mai 2022, il obtient finalement une admission provisoire en raison de la guerre en Ukraine.

Question soulevée

  • Après son retour contraint en 2020, Emir* demande à nouveau l’asile en Suisse avec des preuves des violences subies à l’appui. Le SEM et le TAF maintiennent leur refus de lui accorder l’asile, estimant que les conditions pour la reconnaissance d’une « pression psychique insupportable » ne sont pas réalisées et que la pression sociale exercée à son encontre n’atteindrait pas un degré « insupportable au sens de la loi ». Quelle extrémité de violence faut-il subir et quel degré de preuve faut-il fournir pour que le SEM reconnaisse une persécution fondée sur l’orientation sexuelle et/ou l’existence d’une pression psychologique insupportable ?

Chronologie

2020 : arrivée en Suisse, décision négative du SEM, recours, rejet du TAF, retour en Ukraine, retour en Suisse

2021: second refus du SEM, second recours, rejet par le TAF, demande de réexamen

Description du cas

Description du cas

Emir*, originaire d’Ukraine, arrive en Suisse en 2020. Dès l’âge de 15 ans, il cache son orientation sexuelle, l’Ukraine étant un pays où l’homophobie est encore très présente (rts, 12.05.2017). En outre, il ressent que son entourage ne lui permettra pas de réaliser un coming-out serein :

«Je risquais de tout perdre en révélant mon orientation sexuelle».

Son orientation sexuelle est finalement révélée et Emir* subit des violences physiques, perd son emploi et reçoit des messages dénigrants.

En 2020, il dépose une demande d’asile en Suisse. Au mois d’août 2020, alors qu’il se trouve à Genève, Emir* reçoit la décision du SEM qui lui refuse l’asile, au motif que les droits des personnes LGBTIQ+ sont respectés en Ukraine. Son renvoi est prononcé. Avec l’appui d’une juriste de Caritas, Emir* dépose un recours auprès du TAF quelques jours plus tard. Il mentionne notamment, dans sa requête, plusieurs sources médiatiques attestant des discriminations subies par les personnes LGBTIQ+ en Ukraine. En septembre 2020, le TAF rejette ce recours, estimant que les droits des personnes LGBTIQ+ sont respectées dans la majeure partie de l’Ukraine et qu’Emir peut donc y trouver une possibilité de refuge interne.

Décontenancé par ce refus, Emir* retourne à Kiev en septembre 2020. Il vit à l’extérieur de Kiev et subit de nouvelles agressions homophobes de la part de son voisinage. Il est notamment agressé physiquement par un inconnu alors qu’il se rendait dans un lieu de rencontre pour homosexuels. Il retourne demander l’aide de la police mais ne reçoit aucun soutien ni protection et voit sa plainte être à nouveau classée. En décembre 2020, Emir* décide de revenir à Genève et dépose une nouvelle demande d’asile, cette fois muni de preuve de la dernière agression subie et de plusieurs rapports de situation démontrant que la discrimination contre les personnes LGBT est prégnante en Ukraine. Il explique également n’avoir pas pu bénéficier des soins (notamment psychiatriques) dont il a besoin suite aux agressions subies.  

En février 2021, le SEM réitère son refus d’accorder l’asile à Emir*, au motif que bien que la situation soit effectivement difficile en Crimée, les droits des personnes LGBT seraient respectés dans le reste de l’Ukraine où il pourrait donc se réfugier. Un second recours au TAF est à nouveau rejeté. Emir* est débouté de l’asile et doit aller toutes les deux semaines faire tamponner son papier blanc (document octroyé aux personnes sans statut de séjour, dont le renouvellement est obligatoire pour accéder à l’aide d’urgence) à l’OCPM.

Emir* n’a pas rencontré de difficultés dans ses conditions de logement en Suisse. Au cours de quelques mois passés en foyer, il a bénéficié d’une chambre individuelle. A Genève, Emir* a aisément rencontré des associations de défense des droits des personnes LGBTIQ+ (Asile LGBTIQ+, 360°, etc.). Il indique avoir bénéficié d’un bon accès aux soins aux HUG et être suivi de façon hebdomadaire par un psychologue. Il est également reçu à la clinique dentaire en août 2021 pour soigner sa dent cassée lors de sa dernière agression. Emir* avait trouvé un emploi intéressant à Genève, en lien avec sa formation, mais a dû y renoncer lorsqu’il a été débouté de l’asile. En juillet 2021, il nous disait :

«Aujourd’hui, je vis avec la peur du renvoi forcé. Mon futur est incertain, j’ai l’impression que j’ai tout perdu». Suite aux menaces d’invasion de l’Ukraine par la Russie à la fin de l’année 2021, Emir* a déposé une demande de réexamen de sa situation. En mai 2022, compte-tenu de la situation actuelle de guerre en Ukraine, le SEM lui accorde finalement une admission provisoire (permis F).

Signalé par : Asile LGBTIQ+ Genève

Sources : entretien avec Emir ; arrêts du TAF de 2020 (D-4108/2020) et 2021 (D-1248/2021).  

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