Attribution à un canton : l’exil commence par une séparation

Pour ce vieux couple tamoul fuyant la guerre au Sri Lanka, retrouver leur fils, réfugié de longue date en Suisse et désormais naturalisé, était un objectif bien naturel. Mais l’attribution des nouveaux arrivants ne tient guère compte de leurs intérêts légitimes. L’ODM les a placés dans un autre canton et le TAF a tôt fait de rejeter leur recours.

Personne(s) concernée(s) : « Kutti » et « Meyyan », couple âgé (et leur fils naturalisé en Suisse)

Statut : demande d’asile –> (attribution à un canton)

Résumé du cas

Au tout début de l’année 2009, alors que la guerre bat son plein au Sri Lanka, et que la défaite des Tigres tamouls se dessine, « Kutti » et « Meyyan » arrivent en Suisse pour y demander l’asile. Leur fils est venu se réfugier en Suisse il y a de nombreuses années, et il est aujourd’hui naturalisé. C’est auprès de lui que « Kutti » et « Meyyan » espèrent trouver un peu de réconfort. Mais la loi sur l’asile ne laisse pas aux nouveaux arrivant le choix du canton où ils vont séjourner pendant la procédure. L’attribution est décidée par l’ODM sur la base d’une clé de répartition en proportion de la population. La loi précise toutefois que l’ODM doit tenir compte des intérêts légitimes du canton et du requérant. « Kutti » et « Meyyan » ont des problèmes de santé, et la proximité de leur fils faciliterait beaucoup leur insertion en Suisse. Pourtant, l’ODM décide de les placer dans un autre canton. Un recours est déposé. Mais comme le souligne l’arrêt du TAF, daté du 3 avril 2009, la loi a limité le droit de recourir au seul cas de violation de l’unité de la famille. Et cette notion se limite aux parents et aux enfants mineurs. Elle n’englobe pas les liens entre parents âgés et enfant adulte. « Kutti » et « Meyyan » devront donc accepter de vivre éloignés de leur fils, même si leur « intérêt légitime », comme dit la loi, est visiblement bafoué.

Questions soulevées

 La limitation du droit de recours contre l’attribution à un canton au seul cas où la décision viole l’unité de la famille au sens étroit est-elle compatible avec les garanties générales de procédure et le principe de l’accès au juge institué par la Constitution fédérale ?

 L’intérêt des cantons n’est-il pas que l’attribution soit faite en tenant compte de certaines données personnelles (langue, liens sociaux et autres) qui favoriseraient l’insertion des nouveaux arrivants, plutôt que de leur imposer une épreuve de plus dans leur exil ?

 Ne serait-il pas au moins possible, vu la portée limitée de l’attribution, d’élargir la notion de famille aux ascendants, comme c’est le cas pour régler le séjour des « membres étrangers de la famille d’un ressortissant suisse » (art. 42 al. 2 LEtr) ?

Chronologie

2009 : entrée en Suisse et demande d’asile (janvier)

2009 : décision d’attribution à un canton (18 janvier)

2009 : recours adressé au TAF (26 février)

2009 : rejet du recours par le TAF (3 avril)

Description du cas

« Kutti » et « Meyyan » arrivent en Suisse au tout début de l’année 2009, alors que l’offensive de l’armée sri lankaise contre les Tigres tamouls bat son plein et lui permet d’entrevoir une victoire définitive. Les civils ne sont pas épargnés dans ce conflit, et les craintes de massacres en cas de victoire totale de l’armée sont nombreuses. « Kutti » et « Meyyan » ont choisi de venir en Suisse, car ils comptent y rejoindre leur fils, aujourd’hui naturalisé, après avoir lui-même demandé l’asile il y a de nombreuses années. Vivre auprès de ce fils qui a pleinement réussi son intégration paraît naturel à « Kutti » et « Meyyan », dont le quotidien est par ailleurs rendu difficile par divers problèmes de santé. Pourtant, au sortir du centre d’enregistrement où ils ont présenté leur demande d’asile, l’ODM décide de les attribuer dans un autre canton que celui où vit leur fils.

Un recours est déposé le 26 février 2009. « Kutti » et « Meyyan » expliquent qu’ils auraient besoin de l’affection et de l’assistance de leur fils pour surmonter les difficultés de leur vie en exil, d’autant que leur santé n’est pas très bonne : « Kutti » souffre de dépression, alors que « Meyyan » a des problèmes de tension et de diabète. De toute évidence, vivre auprès de leur fils correspond à leur intérêt légitime, et c’est aussi l’intérêt du canton d’attribution que de ne pas devoir organiser leur accueil dans de mauvaises conditions.

Une répartition des demandeurs d’asile est prévue entre les cantons suisses au pro rata de leur population. C’est la raison pour laquelle une décision d’attribution est prise par l’ODM. La loi précise que cette décision « prend en considération les intérêts légitimes du canton et du requérant » (art. 27 al. 3 LAsi). De par la Constitution fédérale, toute décision administrative peut faire l’objet d’un recours devant un juge, sauf dans des cas exceptionnels (art. 29a Cst). Mais curieusement, la loi sur l’asile n’autorise de recours contre une décision d’attribution que si celle-ci viole le principe de l’unité de la famille, protégé par la Convention européenne des droits de l’homme (art. 8 CEDH). Sur tous les autres aspects, le point de vue du demandeur d’asile peut être ignoré sans qu’un juge ne puisse être saisi.

Dans son arrêt du 3 avril 2009, le TAF explique que le principe d’unité de la famille ne recouvre que la famille au sens étroit, soit les parents et les enfants mineurs, alors que « Kutti » et « Meyyan » demandent à rejoindre leur fils adulte. Par exception, d’autres liens familiaux peuvent être pris en considération lorsqu’un rapport de dépendance particulier existe, comme c’est le cas pour une personne handicapée. Ici les problèmes de santé des deux parents ne les rendent pas pour autant étroitement dépendant d’une tierce personne pour l’accomplissement des actes de la vie courante. « Kutti » et « Meyyan » auraient pu beaucoup retirer, affectivement et matériellement, de la présence de leur fils. Ils devront affronter les rigueurs de l’exil en se contentant des visites épisodiques que ce fils suisse pourra leur rendre.

Signalé par : site web du TAF

Sources : arrêt du TAF D-1250/2009 du 3 avril 2009

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