Après 4 ans éprouvants, une mère et sa fille reçoivent une admission provisoire

Après avoir déposé une demande d’asile en Suisse, une famille tchétchène vit quatre ans dans l’attente d’une décision. Durant cette période, qui débouche sur une admission provisoire en Suisse, « Larisa » et sa fille « Selina » sont éprouvées psychiquement et physiquement. Après que « Selina » ait été contrainte à un mariage forcé, elles doivent également faire le deuil de leur fils et frère « Aslan », assassiné en Russie suite à son renvoi par la Suisse.

Personne(s) concernée(s) : « Larisa », née en 1971, son fils « Aslan », né en 1993 et sa fille « Selina », née en 1997

Statut : Admissions provisoires pour « Larisa » et « Selina », renvoi et assassinat de « Aslan » en Russie

Résumé du cas

En Tchétchénie, « Aslan » est menacé pour avoir aidé des rebelles. Pour le mettre à l’abri, sa mère « Larisa » l’envoie en Europe, à la suite de quoi elle est interrogée par des hommes qui recherchent son fils. Ils l’enlèvent, la menacent et la violent avant de l’abandonner dans la forêt. Après deux ans sans nouvelles d’« Aslan », « Larisa » et sa fille « Selina » finissent par prendre elles aussi la route de l’exil en espérant le retrouver en Europe. La famille séparée passe par plusieurs pays européens, retourne en Tchétchénie où « Aslan » est emprisonné et torturé, avant de fuir à nouveau ensemble pour arriver en Suisse en 2014. Le SEM rend une décision de NEM Dublin et de renvoi vers la Pologne à l’égard de « Larisa » et de sa fille « Selina », encore mineure. Après une demande de reconsidération rejetée par le SEM, « Larisa » et « Selina » font recours au TAF, qui suspend leur renvoi. Quant à « Aslan », sa demande d’asile est rejetée et il est renvoyé en Russie en 2016. « Larisa » et « Selina » souffrent de stress post-traumatique et font toutes deux plusieurs tentatives de suicide. « Selina » est contrainte d’accepter un mariage coutumier en Suisse, mais se fait chasser par sa belle-famille qui découvre des messages envoyés par un autre garçon. En août 2017, « Aslan » est assassiné en Russie. Deux mois plus tard, le SEM accepte de rouvrir la procédure d’asile de « Larisa » et « Selina ». Quatre ans après leur arrivée en Suisse, elles sont finalement mises au bénéfice d’une admission provisoire. Epuisées par des années de procédure et le deuil de leur fils et frère, les deux femmes renoncent à faire recours et à demander l’octroi de l’asile.

Questions soulevées

 

Stress post-traumatique, mariage forcé, tentatives de suicide. Autant d’éléments qui ne suffisent pas aux autorités pour entrer en matière. Comment justifier quatre ans de procédure face à des situations de si grande vulnérabilité ? Le règlement Dublin peut-il primer sur les droits fondamentaux, pourtant consacrés par le droit suisse et international ?

Le lien entre les motifs invoqués par « Aslan » dans sa demande d’asile et son assassinat n’a pas pu être démontré. Mais le SEM a vraisemblablement pris en compte le risque de persécution en entrant de lui-même en matière sur les demandes de « Larisa » et « Selina ». Pourquoi alors n’a-t-il pas octroyé l’asile mais l’admission provisoire, soit le statut le plus précaire ? Voir également à ce sujet le rapport de l’ODAE romand sur l’admission provisoire.

Chronologie

2013 : « Larisa » et « Selina » demandent l’asile en Pologne puis en Allemagne (avril), rejet de la demande d’asile en Allemagne (août), retour en Tchétchénie (sept.)

2014 : demande d’asile en Suisse pour la famille (janv.) ; décision NEM Dublin pour « Larisa » et « Selina » (fév.) ; demande de reconsidération (mars) ; rejet de la demande de reconsidération (mai) ; recours au TAF et suspension du renvoi (juin)

2016 : rejet de la demande d’asile d’« Aslan » et renvoi en Russie (mars)

2017 : assassinat d’« Aslan » en Russie (août) ; entrée en matière du SEM sur la demande d’asile de « Larisa » et « Selina » (oct.)

2018 : décision d’admission provisoire ordinaire pour « Larisa » et avec qualité de réfugié pour « Selina » (fév.)

Description du cas

« Larisa » vit en Tchétchénie, où elle élève seule son fils « Aslan » et sa fille « Selina » après la disparition de son mari durant la guerre. En 2010, comme « Aslan » aide des rebelles, « Larisa » l’envoie en Europe pour le mettre à l’abri. Deux mois après le départ d’« Aslan », des hommes encagoulés arrivent chez « Larisa », l’enlèvent et l’emmènent dans la forêt. Ils la forcent à regarder l’exécution de deux jeunes prisonniers avant de lui demander où est son fils. Ils la menacent de mort avec des armes et la violent avant de l’abandonner. Traumatisée, elle ne parle de cet évènement à personne. Elle ne dort plus, évite les autorités et a peur des voitures. En décembre 2012, « Larisa » apprend que son fils se trouve en Allemagne. En avril 2013, « Larisa » et sa fille « Selina » se rendent en Pologne, puis en Allemagne afin de retrouver « Aslan ». Elles déposent une demande d’asile dans les deux pays. L’Allemagne rejette leur demande d’asile en août 2013 alors qu’elles apprennent qu’« Aslan » est entre-temps retourné les chercher en Tchétchénie où il a été emprisonné. Elles rentrent le retrouver en Tchétchénie. Durant son emprisonnement, « Aslan » est torturé. Après sa libération, il est hospitalisé pendant dix jours. En décembre 2013, lorsqu’il sort de l’hôpital, « Larisa » et « Selina » le récupèrent et ils quittent la Tchétchénie ensemble.

La famille arrive en Suisse en janvier 2014 et y dépose une demande d’asile. Le SEM rend une décision de NEM Dublin avec renvoi vers la Pologne concernant « Larisa » et « Selina », qui n’a que seize ans. En mars 2014, celle-ci est abordée par une famille tchétchène en vue de conclure un mariage coutumier avec leur fils. Son frère « Aslan » tente d’empêcher le mariage, en vain. Deux semaines après le mariage, durant lequel « Selina » subit des relations sexuelles non consenties, sa belle-famille découvre des messages d’un autre garçon et la séquestre pour l’interroger. Considérée comme une prostituée, « Selina » est chassée de la maison et reçoit dès lors des menaces de mort. Elle tente de se suicider. En mars 2014, « Larisa » et « Selina » adressent au SEM une demande de reconsidération de la décision de renvoi avec à l’appui la preuve de leur retour en Tchétchénie suite à leur première demande d’asile de 2013, ce qui aurait dû annuler la procédure Dublin. Elles présentent également un rapport médical attestant que « Larisa » souffre d’un grave état de stress post-traumatique. Le SEM rejette la demande mais le TAF, saisi d’un recours, suspend le renvoi. Dans le recours, le mariage forcé et les violences sexuelles subies par « Selina » sont mentionnées.

En janvier 2015, le SEM se déclare compétent pour examiner la demande d’asile d’« Aslan », qu’il rejette. Celui-ci est renvoyé en Russie en mars 2016. Parallèlement, entre 2016 et 2017, plusieurs certificats médicaux transmis par la mandataire au TAF attestent du très mauvais état de santé psychique de « Larisa » et de « Selina ». Toutes deux font plusieurs tentatives de suicides. En août 2017, après plusieurs jours passés en réanimation, « Aslan » décède dans un hôpital de Russie, le crâne fracassé par un coup de barre. Le TAF est informé de son décès et transmet l’information au SEM. Deux mois plus tard, le SEM entre en matière sur la demande d’asile de « Larisa » et de « Selina ».

En février 2018, « Larisa » reçoit un permis F ordinaire et « Selina » un permis F avec qualité de réfugié. Le SEM admet que « Selina », du fait d’avoir été répudiée par sa belle-famille, risque d’être victime d’un crime d’honneur en Russie et qu’elle appartient à un groupe social déterminé. Elle remplit la qualité de réfugié telle que définie à l’art. 3 LAsi, mais l’asile lui est refusé car ses motifs sont postérieurs à sa fuite (art. 54 LAsi). Quant à « Larisa », le SEM estime qu’elle ne remplit pas la qualité de réfugié car il n’y aurait pas de lien de causalité temporel entre le viol et les mauvais traitements subis en 2010 et son départ de Russie en 2013. Il juge que les préjudices subis sont « trop anciens » et que « Larisa » n’a plus eu de contacts avec ses agresseurs depuis son départ. Le SEM réfute les menaces qu’elle aurait reçues et ses craintes d’être elle aussi victime d’un crime d’honneur. Ces allégations « ne reposent [que] sur des spéculations qui ne sont étayées par aucun indice concret », affirme le SEM, qui estime également que les crimes d’honneur ne concernent que les épouses. Il admet pourtant que les crimes d’honneur sont en augmentation en Tchétchénie et y sont impunis, voire même cautionnés par les autorités. Le SEM décide tout de même que le renvoi de « Larisa » n’est pas raisonnablement exigible, au vu notamment de son état de santé, et lui octroie une admission provisoire. Epuisées par des années de procédure et le deuil de leur fils et frère, « Larisa » et « Selina » renoncent à faire recours et à demander l’octroi de l’asile.

Signalé par : Elisa – Asile

Sources : décisions NEM du SEM, demande de reconsidération, rejet du SEM sur la demande de reconsidération, recours au TAF, décision incidente du TAF, compléments au recours, décision de réouverture de la procédure d’asile, décisions d’asile du SEM concernant « Larisa » et « Selina »

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