Alors qu’il bénéficie d’une rente AVS, il est renvoyé de Suisse pour avoir précédemment quitté son emploi

Lisandro*, originaire d’Espagne, arrive en Suisse en avril 2013, à l’âge de 57 ans, au bénéfice d’un permis B pour activité lucrative. En 2015, le service de la population révoque l’autorisation de séjour de Lisandro* au motif que celui-ci n’exerce plus d’activité professionnelle. En octobre 2020, Lisandro* travaille à temps partiel et obtient un nouveau titre de séjour pour activité lucrative. Il résilie toutefois son contrat de travail (au 31.01.2021) et reçoit ensuite des indemnités de chômage et un complément du RI. Dès décembre 2021, ayant atteint l’âge de la retraite, il bénéficie d’une rente AVS et de prestations complémentaires. En 2023, le SPOP révoque à nouveau l’autorisation de séjour de Lisandro*. Selon l’autorité, ce dernier ne peut se prévaloir d’un droit de demeurer dès lors qu’il n’a pas travaillé durant les 12 mois précédant l’âge de la retraite. Lisandro* dépose un recours devant le Tribunal cantonal (TC). Dans son arrêt, le TC admet que Lisandro* bénéficiait bien de la qualité de travailler au moment où il a atteint l’âge de la retraite. Toutefois, il réfute le caractère involontaire de sa situation de chômage, soulignant que Lisandro* a démissionné sans autre contrat de travail ni raison de santé. Il lui reproche également d’avoir des poursuites et des actes de défaut de bien, et de percevoir des prestations complémentaires AVS, assimilées à de l’aide sociale. Le Tribunal rejette le recours de Lisandro* et confirme la décision de son renvoi.

Personne concernée (*Prénom fictif): Lisandro*

Origine: Portugal

Statut:

Chronologie 

2013 : arrivée en Suisse (avril)

2015 : révocation du permis B (juil.)

2018 : demande de permis (mai)

2020 : obtention d’un permis B (oct.)

2021 : retraite (déc)

2023 : révocation du permis B (nov.), opposition (déc.)

2024 : recours au Tribunal cantonal (jan.), rejet du recours (juin)

Questions soulevées

  • Les prestations complémentaires (PC) ne sont pas des prestations d’assistance mais constituent un droit que la personne assurée peut faire valoir en toute légitimité lorsque les conditions légales sont réunies (cf. notamment Centre d’information AVS/AI[1]). Comment est-ce possible que les autorités s’écartent de cette définition en assimilant les PC à l’aide sociale et en admettant que le bénéficiaire de PC ne dispose pas de moyens suffisants pour demeurer au sens de l’ALCP?
  • Le cadre légal et la jurisprudence opèrent une distinction entre chômage involontaire et autre chômage dans la possibilité de conserver sa qualité de travailleur: cette distinction ne risque-t-elle pas d’accroître la dépendance des employé·es vis-à-vis de leur patron·ne?
  • Dans un contexte où la qualité de travailleur·euse est déterminante pour bénéficier d’un droit de séjour, les personnes avec des contrats de travail précaires ne seront-elles pas toujours défavorisées puisque ce type de relation est intrinsèquement fragile? N’est-ce pas une double peine à vivre pour les personnes migrantes européennes qui doivent chercher absolument du travail pour pouvoir conserver leur permis, y compris si elles ne sont plus en capacité physique de le faire?

[1] https://www.ahv-iv.ch/fr

Description du cas

Lisandro*, originaire d’Espagne, est né en 1956. En avril 2013, il arrive en Suisse au bénéfice d’un permis B pour activité lucrative, valable 5 ans. En juillet 2015, le Service de la population du canton de Vaud (SPOP) révoque son permis au motif qu’il aurait cessé son activité moins d’un an après l’avoir débutée et qu’il touche des prestations de l’aide sociale (revenu d’insertion RI) depuis mars 2014.

En mai 2018, Lisandro* requiert une nouvelle autorisation de séjour, précisant qu’il travaille à temps partiel mais qu’il recherche activement un emploi à plein temps, et qu’en attendant il bénéficie d’indemnités de chômage mais ne perçoit pas d’aide sociale. En octobre 2020, le SPOP lui délivre un titre de séjour valable jusqu’en mai 2025.

Après avoir résilié son contrat de travail auprès de l’entreprise B (au 31.01.2021), Lisandro* reçoit des indemnités de chômage de février à novembre 2021. Parallèlement, il bénéfice d’un complément du RI. Dès décembre 2021, ayant atteint l’âge de la retraite, il bénéficie d’une rente AVS mensuelle de 193 fr. et de prestations complémentaires.

En octobre 2023, le SPOP informe Lisandro* de son intention de révoquer son autorisation de séjour et de prononcer son renvoi de Suisse. Selon l’autorité, Lisandro* ne pourrait se prévaloir d’un droit de demeurer dès lors qu’il n’a pas travaillé durant les 12 mois précédant l’âge de la retraite, qu’il n’aurait pas la qualité de travailleur voire qu’il ne l’aurait jamais acquise, son activité avec l’entreprise B. devant être qualifiée de marginale et accessoire. En outre, le SPOP reproche à Lisandro* de dépendre de prestations complémentaires, assimilables à l’aide sociale.

En novembre 2023, Lisandro* rétorque que sa situation de chômage involontaire est liée à son proche âge de la retraite, et qu’il n’aurait que peu touché de RI en 2021, seulement en complément de ses revenus. Il ajoute que les prestations complémentaires AVS/AI ne peuvent pas être assimilées à de l’aide sociale. Le SPOP décide néanmoins de révoquer l’autorisation de séjour de Lisandro* et prononcer son renvoi de Suisse, ajoutant comme motif à cette décision le fait qu’il aurait des poursuites (10’735 fr.) et des actes de défaut de bien (8’519 fr.).

En décembre 2023, appuyé par une mandataire, Lisandro* fait opposition contre cette décision. Le SPOP lui reconnait alors la qualité de travailleur jusqu’à fin janvier 2021, mais retient qu’il ne peut plus s’en prévaloir au moment d’arriver à l’âge de la retraite, ce qui le prive du droit de demeurer.

En janvier 2024, Lisandro* dépose alors un recours devant le Tribunal cantonal (TC). Ayant attesté de son droit au chômage pour quatre ans à partir de juin 2019, il estime avoir la qualité de travailleur jusqu’à ses 65 ans. Le SPOP répond en lui reprochant d’avoir de lui-même cessé son emploi en janvier 2021, ce qui l’a amené à percevoir des prestations chômage et des prestations sociales. Il indique que Lisandro* ne peut se prévaloir du droit de demeurer du simple fait de la prolongation de son délai-cadre de chômage.

Dans sa décision de juin 2024, le TC reconnait que son dernier emploi, bien qu’irrégulier et à faible revenu, peut effectivement être qualifié de réel et effectif et que par conséquent Lisandro* bénéficiait bien de la qualité de travailleur. Toutefois, le TC conteste le caractère involontaire de la situation de chômage, soulignant que Lisandro* avait démissionné sans autre contrat de travail ni raison de santé. Le caractère volontaire de sa situation de chômage lui est ainsi reproché et le déchoie de sa qualité de travailleur. Le Tribunal reproche également à Lisandro* d’avoir des poursuites et des actes de défaut de bien, et de percevoir des prestations complémentaires AVS, assimilées à de l’aide sociale. De ce fait, le Tribunal rejette le recours de Lisandro* et confirme la décision de son renvoi.

Signalé par: CSP Vaud, la Frat

Source: Arrêt TC PE.2024.0014

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