Alors que la Suède avait reconnu sa minorité, la Suisse change sa date de naissance et prononce son renvoi

Adil*, originaire d’Afghanistan, demande l’asile en Suède en 2000. La Suède examine son âge et reconnait sa minorité, cependant elle rejette sa demande d’asile. Adil* se rend alors en Suisse, et réitère sa demande de protection. Mais le SEM lui attribue une nouvelle date de naissance, qui le rend majeur, et prononce son renvoi vers la Suède au nom du règlement Dublin III. Adil* dépose un recours auprès du TAF contre cette décision, mais celui-ci est rejetée. Adil* et son mandataire déposent alors un nouveau recours, auprès du Comité des droits de l’enfant (CDE). En mai 2024, celui-ci rend sa décision : il estime que la Suisse a violé l’intérêt supérieur d’Adil* (art. 3 de la Convention) et son droit d’être entendu (art. 12) en le déclarant majeur. Il reproche à la Suisse d’avoir ignoré l’expertise de détermination de l’âge réalisée en Suède et de n’avoir pas procédé à une évaluation complète de son développement physique et psychologique.

Personne concernée (*Prénom fictif): Adil*

Origine: Afghanistan

Statut: procédure en cours (permis N)

Chronologie

2018: demande d’asile (sept.), refus du SEM et recours au TAF (oct.), rejet du recours (nov.)

2019: recours au Comité des droits de l’enfant (CDE)

2024: communication du CDE en faveur d’Adil* (mai)

Questions soulevées

  • Comment est-ce possible que le SEM puisse ne pas tenir compte de l’expertise d’évaluation de l’âge réalisée par la Suède, laquelle reconnaissait la minorité d’Adil*, et ainsi violer la garantie procédurale pour tout mineur·e non accompagné·e de bénéficier de la présence d’une personne de confiance ou d’un·e représentant·e juridique à toutes les étapes de sa demande d’asile?
  • En cas de doute, compte tenu des graves conséquences pour les droits de l’enfant (notamment renvoi ; perte du droit au regroupement familial ; absence de protection spécifique), la minorité ne devrait-elle pas être systématiquement présumée?

Description du cas

Adil*, né en novembre 2000, est originaire d’Afghanistan. Contraint de fuir son pays alors qu’il est encore mineur, il se rend en Suède, où il demande l’asile en novembre 2015. La Suède procède à l’évaluation de son âge et reconnait sa minorité. Malgré cela, elle rejette sa demande d’asile.

En septembre 2018, Adil* arrive en Suisse et dépose une nouvelle demande d’asile. Les autorités suisses considèrent que ses indications concernant sa prétendue minorité ne sont pas plausibles et inscrivent sa date de naissance au 1er janvier 2000, ignorant la conclusion de la détermination de l’âge effectuée en Suède, qui avait retenu une naissance en novembre 2000. Le SEM le considère donc comme majeur[1].

En octobre, le SEM déclare ne pas entrer en matière sur sa demande d’asile, au motif qu’Adil* tombe sous le coup du Règlement Dublin III, et prononce son renvoi vers la Suède. Appuyé par un mandataire, Adil* dépose un recours contre cette décision auprès du TAF, aux motifs d’une violation de l’art. 3 CEDH et de la Convention de l’ONU relative aux droits des enfants. En novembre 2018, le TAF rejette le recours, aux motifs qu’Adil* n’a pas fourni de document d’identité et a été confus sur sa date de naissance (qu’il ne connait pas).

Adil* et son mandataire déposent alors un recours auprès du Comité des droits de l’enfant (CDE), en demandant un effet suspensif concernant le renvoi. En avril 2019, le CDE demande à la Suisse de suspendre le renvoi d’Adil* en attente de son examen, ce que la Suisse effectue.

En mai 2024, le CDE rend sa décision. Il constate que la Suisse a violé l’intérêt supérieur d’Adil* (art. 3 de la Convention) et son droit d’être entendu (art. 12) en le déclarant majeur. Dans sa communication, le CDE reproche à la Suisse d’avoir déclaré l’âge d’Adil* de façon arbitraire, en ignorant l’expertise de la détermination de l’âge réalisée en Suède et sans avoir procédé à une évaluation complète de son développement physique et psychologique. Par ailleurs, le Comité estime que lorsqu’une personne prétend être mineure, elle doit être traitée comme un enfant pendant toute la procédure judiciaire ou administrative, ce qui implique qu’elle soit assistée par un·e représentant·e ou organisme approprié. Le CDE ordonne donc à la Suisse d’assurer une réparation effective des violations subies à Adil* en lui restituant ce à quoi il aurait eu droit s’il avait été reconnu mineur non accompagné. A l’avenir, le CDE recommande également à la Suisse de mener l’évaluation de l’âge de manière complète.


[1] Dans le cadre d’une demande d’asile, il n’est pas possible de contester la non-reconnaissance de la minorité avant la décision finale d’asile (voir arrêt du TAF E-7333/2018, point 2.4).

Signalé par: humanrights.ch

Sources: Arrêt TAF F-6072/2018 ; communication CDE CRC/C/96/D/80/2019

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