Accès à la justice impossible: victime de violences conjugales à deux reprises, elle est condamnée pour séjour illégal

Arrivée en Suisse en 2019 avec sa fille, Esperanza* tombe sous l’emprise d’un homme violent. Après plusieurs épisodes de violences conjugales, elle est dénoncée par son agresseur à la police, qui l’arrête pour séjour illégal. Malgré une plainte qui aboutit à la condamnation de l’agresseur, une décision d’expulsion est prononcée contre elle. Elle quitte la Suisse, puis y revient un mois plus tard. En 2025, elle se remet en couple, mais subit à nouveau des violences domestiques. Son compagnon la dénonce à la police, qui l’emmène au poste malgré ses blessures. Elle y est interrogée durant des heures sur son employeur et son logeur. Elle renonce à porter plainte contre son agresseur, traumatisée par les conséquences subies lors de sa dernière plainte.

Personne concernée (*Prénom fictif): Esperanza*

Origine: Amérique latine

Statut: Sans-papiers

Chronologie

2019: arrivée à Genève avec sa fille (juin)

2020: dénonciation pour séjour illégal (mars)

2021: décision d’expulsion de l’OCPM (sept.) départ du pays (oct. ), retour en Suisse (nov. )

2025: seconde dénonciation pour séjour illégal (mars)

Questions soulevées

  • Le fait de condamner une femme pour séjour illégal alors qu’elle dénonce une agression sexuelle n’est-il pas contraire aux objectifs d’égalité et de protection des victimes prônés par le canton et la confédération ? Ces politiques migratoires ne participent-elles pas ainsi à garder les violences sexuelles et sexistes invisibles et impunies ? 
  • Comment les femmes sans statut légal peuvent-elles exercer leur droit à la justice et à la réparation si chaque interaction avec la police les expose à la détention ou à l’expulsion ?
  • Comment se fait-il qu’une femme victime de violences domestiques doivent se déshabiller au poste de police ? Cela ne relève-t-il pas de l’intimidation voir de la maltraitance ? Et est-ce normal qu’un enfant soit retenu au poste de police des heures durant, avec sa mère ? 

Description du cas

Esperanza* arrive en Suisse en 2019 accompagnée de sa fille de onze ans, pour y rejoindre un ami qui lui promet un logement et du travail. Elle s’installe et débute une relation avec lui, mais elle se retrouve rapidement prise au piège par ce dernier, qui se révèle être manipulateur et violent. 

En mars 2020, alors qu’il vient de lui infliger de nouvelles violences, le compagnon d’Esperanza* appelle la police et la dénonce pour séjour illégal. Emmenée au poste de police avec sa fille, Esperanza* est interrogée et déshabillée. Elle reste plus de huit heures en détention avec sa fille. Craignant une expulsion, elle décide de ne pas porter plainte contre son agresseur. 

Un mois plus tard, alors qu’Esperanza* est à nouveau brutalisée par son compagnon, la police est appelée par des voisins témoins de cette violence. Cette fois, Esperanza* dénonce son agresseur. Bien que sa plainte débouche sur la condamnation de ce dernier et une reconnaissance de sa qualité de victime, Esperanza*, alors réfugiée dans un foyer pour femmes, fait l’objet, en septembre 2021, d’une décision d’expulsion par l’Office cantonal de la population (OCPM). Elle se résigne alors à quitter le pays. 

Elle revient en Suisse un mois plus tard. En décembre 2024, elle entame une nouvelle relation, mais elle est à nouveau victime de graves violences. En mars 2025, elle annonce à son compagnon vouloir mettre fin à leur relation. En réponse, celui-ci la frappe à plusieurs reprises puis, connaissant la situation irrégulière d’Esperanza*, il appelle la police pour la dénoncer. Arrivés dans l’appartement, bien qu’Esperanza* soit visiblement blessée, les policiers constatent plutôt son absence de permis et l’emmènent au poste pour l’interroger. Elle y reste des heures, questionnée sur son employeur et son logeur. 

En avril 2025, soit quelques jours après cette agression, Esperanza* consulte les HUG pour un examen, qui révèle de nombreuses lésions au niveau du dos, de l’avant-bras et des jambes. Elle confie également ne dormir que quelques heures par nuit depuis son agression, être triste et avoir souvent envie de pleurer. Traumatisée par son expérience passée avec la police, qui l’avait maltraitée et dénoncée à l’OCPM après sa dénonciation pénale, elle renonce dans un premier temps à déposer plainte contre son agresseur.

Son agresseur continue cependant à la harceler par téléphone et sur les réseaux sociaux. Finalement, en juin, Esperanza décide de porter plainte contre lui avec l’aide d’une mandataire.

Signalé par: Syndicat SIT

Sources: dossier de presser, constat médical des HUG

Cas relatifs

Cas individuel — 17/12/2025

Venues dénoncer des violences domestiques graves, elles sont traitées par la police comme des prévenues

Karen*, sa fille Claudia*, et la fille de cette dernière, ressortissantes péruviennes, vivent en Suisse sans titre de séjour valable. Depuis 2023, Claudia*, se trouve dans une relation de violences conjugales avec un homme titulaire d’un permis d’établissement (permis C). En janvier 2025, Karen* dépose une plainte pénale contre ce dernier. Bien que son avocate l’accompagne au poste de police, Karen* y est très mal reçue, les policiers l’informant qu’elle-même et sa fille Claudia* seraient convoquées par le Ministère public en raison de leur séjour illégal. En août, l’avocate dépose une demande de régularisation pour la famille, ainsi que des mesures d’éloignement et une interdiction de contact de l’ex-compagnon envers Karen*, Claudia* et sa fille. À ce jour, aucune des procédures n’a abouti à une décision.
Cas individuel — 17/12/2025

Reconnue victime de violences conjugales, elle se voit menacée de renvoi vers le même pays que son mari

Daniela* arrive à Genève en 2018 avec sa fille malade pour rejoindre son mari Matt*. La famille dépose une demande de régularisation en 2023 mais se la voit refusée. En 2024, elle dépose plainte pour graves violences conjugales à l’encontre de son mari Matt* et quitte le domicile conjugal pour se protéger et protéger ses deux enfants. Elle obtient un permis de courte durée pour le suivi de la procédure judiciaire. Cette dernière s’achève en avril 2025 avec la condamnation de Matt* mais en août Daniela* et ses enfants reçoivent une décision d’expulsion.
Cas individuel — 14/04/2025

«Mes enfants sont terrorisés. Je ne sais plus quoi faire ni comment arrêter ce calvaire.»

Léonie*, ressortissante Burundaise, est victime de persécutions dans son pays. En juin 2022, elle demande l’asile en Suisse avec ses trois enfants. Leur demande est rejetée en 2023 par le SEM puis par le TAF. La famille subit alors un véritable harcèlement policier: alors que Léonie* est hospitalisée en psychiatrie, son fils est arrêté à leur domicile pour être détenu à l’aéroport puis relâché. Sa fille aînée est également arrêtée à deux reprises, emmenée à l’aéroport puis relâchée. Enfin, la fille cadette se retrouve hospitalisée en psychiatrie, dans un état de choc, après que des agents ont essayé de l’arrêter au cabinet de sa psychologue. Malgré ces arrestations à répétition, Léonie* et ses enfants demandent le réexamen de leur décision d’asile, en raison d’éléments nouveaux survenus au Burundi et de l’état de santé de Léonie* qui se dégrade. Le SEM suspend l’exécution du renvoi de cette dernière, mais refuse de réexaminer la demande des enfants, désormais tous trois majeurs.
Cas individuel — 10/04/2025

Des violences conjugales reconnues par un Centre LAVI sont jugées trop peu intenses par les tribunaux

Eja*, originaire d’Afrique de l’est, rencontre Reto*, ressortissant suisse, en 2019. Leur mariage est célébré en avril 2021 et Eja* reçoit une autorisation de séjour. L’année qui suit est marquée par des disputes et des violences au sein du couple, et une première séparation de courte durée. En février 2023, Eja* consulte le Centre LAVI du canton, qui la reconnait victime d’infraction. En juillet, Eja* dépose une plainte pénale contre son époux pour harcèlement moral, rabaissements et injures, discrimination raciale et contraintes. En novembre 2023, Eja* dépose une deuxième plainte. Son médecin confirme des symptômes de stress émotionnel élevé. En février 2024, le SPoMi révoque l’autorisation de séjour d’Eja* et prononce son renvoi de Suisse, au motif que la durée effective de la communauté conjugale n’a pas dépassé trois ans. En août 2024, le Tribunal cantonal rejette le recours déposé par Eja*, au motif que l’intensité des violences psychologiques n’atteint pas le seuil exigé par la jurisprudence. Le Tribunal conclut à l’absence de raison personnelle majeure permettant de justifier le maintien de l’autorisation de séjour d’Eja*. Le Tribunal fédéral, dans son arrêt du 14 novembre 2024, confirme la décision du SPoMi et rejette le recours d’Eja*.