«Je n’en pouvais plus, je ne savais plus vers qui me tourner. Je suis allée porter plainte mais la police m’a arrêtée pour séjour illégal.»
Dora* arrive en Suisse sans statut de séjour en mai 2022 et rencontre Jorge*, originaire d’Espagne, à Genève. Après deux ans de harcèlement et de menaces proférées par Jorge* à son encontre, elle finit par se rendre dans un commissariat de la police cantonale genevoise pour déposer plainte. La police lui indique qu’il n’y a pas matière à enregistrer une plainte, mais qu’elle doit en revanche rendre des comptes pour son séjour illégal. Dora* est alors détenue une nuit et auditionnée par le Ministère public le lendemain. Compte tenu de sa décision de quitter volontairement le territoire, les autorités classent la procédure. Sa plainte à l’encontre de Jorge* n’est jamais enregistrée. Fin décembre 2024, Dora* quitte définitivement la Suisse, sans avoir pu obtenir justice.
Personne concernée (*Prénom fictif): Dora*
Origine: Colombie
Statut: aucun
Chronologie
2022: arrivée en Suisse (mai), rencontre avec Jorge* (août), début du harcèlement (nov.)
2023: séparation (juil.)
2024: tentative de dépôt de plainte et arrestation par la police, dépôt de plainte (oct.), départ de Suisse (déc.)
Questions soulevées
- Comment se fait-il que la police n’ait pas enregistré la plainte de Dora*? Jusqu’où aurait dû aller le comportement toxique et problématique de Jorge* pour que la police tienne compte du récit de Dora*?
- Comment est-il possible que la police considère Dora* avant tout comme une personne en infraction avec la LEI, plutôt qu’une victime d’un harcèlement sévère? Comment se fait-il qu’une personne, même sans statut légal, soit enfermée une nuit entière dans un commissariat, alors qu’elle est venue de son plein gré déposer plainte pour harcèlement?
- Au vu de cette situation, les autorités genevoises ne devraient-elles pas fournir un statut de séjour stable aux victimes de violences domestiques, ainsi que la garantie que la personne ne sera pas poursuivie pour séjour illégal alors qu’elle vient porter plainte et un appui pour obtenir justice?
Description du cas
Dora*, née en 1971, arrive en Suisse en mai 2022. Elle réside à Genève, sans statut de séjour, et rencontre Jorge*, originaire d’Espagne. Rapidement, il et elle emménagent ensemble. Jorge* commence à adopter des comportements problématiques, avec volonté manifeste d’isoler Dora* encore plus qu’elle ne l’est (sa seule connaissance à Genève est sa nièce, sa propre fille est restée vivre en Colombie). Il commence à la harceler, à la suivre, afin de surveiller ses faits et gestes, et à l’appeler continuellement sur son téléphone.
En février 2023, Dora* quitte le domicile conjugal une vingtaine de jours pour prendre de la distance et de se reposer. Une fois de retour, Jorge* lui propose alors un projet de mariage, ce qui ne l’enthousiasme pas. Mais, seule, sans statut de séjour et ne sachant pas où habiter, elle se sent coincée. Dora* contacte alors la Croix-Rouge pour trouver de l’aide, mais ne reçoit qu’une proposition d’aide au retour.
Durant les mois qui suivent, Jorge* fait preuve d’un harcèlement accru et commence à proférer des menaces à l’encontre de Dora*. En juillet 2023, Dora décide de le quitter et lui rend ses clés. Elle trouve refuge chez une amie. En août 2023, bien que le couple soit séparé, le harcèlement reprend et Dora* est contrainte de changer de numéro de téléphone. Pourtant, la surveillance et le harcèlement de Jorge* continuent.
Dora* cherche alors de l’aide auprès d’une association et se rend au Centre LAVI (Centre genevois de consultation pour victimes d’infractions), afin de dénoncer les faits qu’elle a subis. Malheureusement, l’interprète présente l’encourage à raconter plus d’événements que ceux qu’elle a réellement vécus, ce qui lui fait perdre confiance. Le Centre LAVI reprend contact avec Dora*, mais cette dernière renonce à poursuivre la démarche.
Le harcèlement de Jorge* diminue durant plusieurs mois et reprend en août 2024, par téléphone et dans la rue. Jorge* trouve également moyen de pirater les mails de Dora* et la poursuit par ce moyen. En octobre, il suit Dora* dans un bus et, imaginant qu’elle a une nouvelle relation, la menace à nouveau. Epuisée et inquiète, Dora* se rend alors dans un commissariat de la police cantonale genevoise pour déposer plainte. Elle ose entamer cette démarche, car elle a parallèlement décidé d’accepter l’aide au retour de la Croix-Rouge, et ne craint donc plus d’être expulsée.
La police lui demande de revenir le lendemain à 18h, ce que Dora* fait, sans être informée de son droit à être accompagnée par un·e avocat·e. Après sa déposition, la police lui indique qu’il n’y a pas matière à enregistrer une plainte, mais qu’elle doit en revanche rendre des comptes pour son séjour illégal. Dora* est alors enfermée, afin d’être mise à disposition du Ministère public qui l’auditionne le lendemain.
Compte tenu de sa décision de quitter le territoire suisse, les autorités classent la procédure et relâchent Dora*. Sa plainte contre Jorge* n’est jamais enregistrée. Le harcèlement de Jorge* reprend. Quelques jours plus tard, Dora* apprend que l’ex-compagne de Jorge* a également été victime de harcèlement de sa part durant des années, a requis l’intervention de la police et a déposé au moins trois plaintes formelles à son encontre. Fin décembre 2024, Dora* quitte définitivement la Suisse.
Signalé par: syndicat SIT
Source: Dépôt de plainte pénale