Naturalisation : vers une appréciation de l’intégration en fonction des capacités objectives de chacun ?
Cet été, le Conseil d’État genevois a vu sa décision de rejeter une demande de naturalisation annulée par la chambre administrative de la Cour de justice. Une ressortissante somalienne, résidant en Suisse depuis 1991, titulaire d’un permis B réfugié et mère de trois enfants possédant la nationalité helvétique, s’était en effet vue refuser sa demande, dans un premier temps, par l’ODM, puis par l’exécutif du canton de Genève – alors que le Service Cantonal des Naturalisations avait donné son aval. Les motifs avancés étaient qu’elle ne satisfaisait pas aux exigences d’intégration compte tenu de sa maîtrise insuffisante du français et de son manque d’insertion professionnelle.
La Cour de justice s’est fondée sur un arrêt du Tribunal fédéral (ATF 137 I 235) et le message du Conseil fédéral du 04 mars 2011 (FF 2011 p. 2639 ss) relatif à la récente révision totale de la Loi sur la nationalité. Dans ce message, le Conseil fédéral appelle à prendre en considération de manière adéquate, en matière de naturalisation, la situation des personnes « ayant des difficultés d’apprentissage en raison de leur âge ou connaissant d’autres déficiences [et qui] ne sont guère en mesure de remplir les conditions de naturalisation ».
La Cour a ainsi jugé bon d’examiner le niveau d’intégration de cette dame, principalement sa maîtrise d’une langue nationale, selon les caractéristiques intrinsèques à son parcours de vie. Malgré de nombreuses heures de cours, l’apprentissage du français fut en effet particulièrement difficile pour cette personne en raison d’une très faible scolarisation durant son enfance. Les juges ont par conséquent estimé que « l’exigence d’intégration relative à l’acquisition de la langue française doit être considérée comme remplie, malgré sa maîtrise très approximative, le déficit constaté ne provenant pas d’un manque d’effort de la recourante mais d’un déficit cognitif lié à son illettrisme ». En outre, la Cour relie l’absence d’intégration économique à la question de l’illettrisme comme handicap prépondérant sur le marché du travail des pays industrialisés.
De ce fait, la Cour de justice conclut : « puisque la LNat ne fixe pas de critères absolus à l’intégration, il faut admettre que cette condition se détermine en fonction des capacités objectives de chaque personne requérant la nationalité genevoise ».
Cet arrêt de la Cour de justice genevoise semble ouvrir la voie à une meilleure prise en considération de la singularité de chacun dans l’examen des critères de naturalisation. Mais cette ouverture risque d’être de courte durée. Si la nouvelle Loi sur la nationalité – adoptée le 20 juin 2014 et devant entrer en vigueur prochainement – prévoit la prise en compte de facteurs qui empêchent une bonne maîtrise de la langue et une bonne intégration professionnelle (art. 12 p-LN), elle exige d’être détenteur d’un permis C pour prétendre à la naturalisation (art. 9 p-LN). Or, ce permis n’est en principe pas octroyé si l’on n’est pas financièrement autonome. Combien d’illettrés – étrangers ou non – peuvent-ils se prévaloir d’une telle autonomie ?