L’exception suisse consistant à limiter le droit des permis F à la vie familiale peut-elle durer ?

Une récente directive de l’Union européenne dite « qualification » prône le rapprochement entre les droits accordés aux personnes ayant obtenu l’asile et ceux des personnes au bénéfice d’une protection subsidiaire – statut analogue à l’admission provisoire (permis F) en Suisse, dont une partie a la qualité de réfugié. C’est notamment le cas en matière de regroupement familial.

En effet, tout comme les réfugiés reconnus, une bonne partie des personnes admises à titre provisoire a vocation à s’installer durablement dans le pays hôte, notamment en raison de la situation d’instabilité dans le pays d’origine. En Suisse, les statistiques indiquent que les personnes admises provisoirement le sont pour une durée d’au moins 3 ans dans 85% des cas et ils sont 44% à avoir ce statut pour 7 ans ou plus. Après cinq ans de séjour en Suisse, les autorités peuvent décider d’octroyer une autorisation de séjour.

Pourtant, bien que la Suisse fasse partie de l’espace Schengen-Dublin, elle s’obstine à restreindre l’un des droits humains les plus fondamentaux des personnes qu’elle admet provisoirement sur son territoire, leur droit de vivre avec leur famille, et ce, contrairement à ce que font les pays de l’Union européenne. Selon l’art. 85 al. 7 LEtr, le détenteur d’un permis F doit patienter 3 ans avant de pouvoir déposer une demande de regroupement familial. La réunification est en outre soumise au pouvoir d’appréciation des autorités et n’est donc pas un droit, même si la personne a la qualité de réfugié. Selon la situation prévalant dans le pays d’origine, aucune possibilité de voir leur famille n’est offerte à ces personnes avant que la demande de regroupement n’aboutisse. La directive européenne (2011/95/UE) reconnaît pour sa part, à l’art. 23, la protection de l’unité familiale aux personnes au bénéfice d’une protection subsidiaire, au même titre que celle dont jouissent les réfugiés reconnus.

Si la directive européenne ne lie pas formellement la Suisse, selon le Centre suisse de compétence pour les droits humains, « il serait tout de même préférable [qu’elle] ne s’éloigne pas des standards européens dans le traitement des réfugiés et des personnes bénéficiaires de la protection subsidiaire […], en raison de l’art. 113 LAsi, qui veut notamment que la Suisse « participe à l’harmonisation de la politique européenne à l’égard des réfugiés », et de l’interdépendance du droit de fond et du droit de procédure en matière d’asile (et en particulier de l’accord de Dublin II, auquel la Suisse est partie) ».

Paradoxalement, la Suisse pourrait s’éloigner encore davantage des standards de l’espace Schengen-Dublin et de l’art. 8 CEDH (protection de la vie privée et familiale). Lors de la session d’été 2012, le Conseil national a proposé, dans le cadre de la révision de la LAsi en cours, de faire passer de 3 à 5 ans le délai d’attente avant qu’une personne admise à titre provisoire puisse demander le regroupement familial. Il revient maintenant au Conseil des Etats d’évaluer si un tel fossé doit encore se creuser ou s’il est temps d’appliquer de manière cohérente les engagements de la Suisse au niveau européen et de permettre aux bénéficiaires d’un permis F de s’intégrer pleinement dans la société.

Sources : Union européenne, Directive « qualification » 2011/95/UE du 13 décembre 2011 ; Les Observatoires du droit d’asile et des étrangers, Le Regroupement familial et les limitations au droit à la vie familiale, mai 2012 ; Centre suisse de compétence pour les droits humains, Nouvelle directive «qualification» de l’Union européenne, article du 27 juin 2012.

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