Le TAF interprète la portée juridique de l’art.3 al. 3 LAsi sur les requérants d’asile déserteurs

Le 18 février 2015, le Tribunal administratif fédéral (TAF) reconnait la qualité de réfugié à un jeune kurde syrien ayant refusé de servir dans l’armée syrienne régulière (arrêt D-5553/2013, en allemand). Cet arrêt de principe fait suite à un recours contre la décision du SEM (anciennement l’ODM) qui refusait de lui reconnaitre la qualité de réfugié. Le SEM lui avait accordé une admission provisoire, admettant par-là le risque de persécutions encouru suite à son refus de servir et donc le caractère illicite de son renvoi selon l’art. 3 CEDH que cela impliquerait.

L’arrêt du TAF porte sur la nouvelle norme applicable aux objecteurs de conscience et déserteurs. Cette disposition a été introduite avec les modifications urgentes de la LAsi du 28 septembre 2012 acceptées en votation populaire le 9 juin 2013. Selon cet art. 3 al. 3 LAsi, « ne sont pas des réfugiés les personnes qui, au motif qu’elles ont refusé de servir ou déserté, sont exposées à de sérieux préjudices ou craignent à juste titre de l’être. Les dispositions de la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés sont réservées ».

Dans l’interprétation qu’il fait de cette norme, le TAF rappelle qu’il est légitime de punir le refus de servir et qu’une telle peine ne constitue donc pas en soi un motif d’asile. Il souligne toutefois que si la peine est démesurément sévère, elle doit être considérée comme une sanction d’ordre politique et qu’il y a dès lors lieu d’accorder l’asile. Dans le cas du déserteur syrien, le TAF estime que le refus de servir serait probablement jugé par les autorités comme une démonstration d’opposition au régime et qu’il risque donc la torture, voire une exécution.

La nouvelle norme sur les déserteurs avait été introduite pour limiter le nombre, jugé trop élevé, de requérants érythréens. Certaines voix s’étaient alors élevées (voire la position du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés), craignant que cette restriction de la notion de réfugié aille à l’encontre de la définition consacrée dans la Convention de Genève de 1951. Selon le TAF toutefois, cette disposition n’introduit pas une nouvelle interprétation de la notion de réfugié mais clarifie seulement une interprétation déjà en vigueur. Il se réfère à un arrêt rendu en 2005 par l’ancienne Commission de recours en matière d’asile, la CRA, (JICRA 2006/3) concernant un déserteur érythréen. Dans cet arrêt, la CRA avait déjà soutenu la nécessité d’appréhender le caractère politique du refus de servir et l’intensité de la peine encourue. Ainsi les déserteurs syriens, comme ceux originaires d’Erythrée, continueront à recevoir l’asile en tant que réfugiés tant que les risques encourus dans ces pays en cas de refus de servir demeureront les mêmes.

Tribunal administratif fédéral, communiqué de presse du 6 mars 2015

Tribunal administratif fédéral, arrêt D-5553/2013 du 18 février 2015

Cas relatifs

Cas individuel — 14/04/2025

«Mes enfants sont terrorisés. Je ne sais plus quoi faire ni comment arrêter ce calvaire.»

Léonie*, ressortissante Burundaise, est victime de persécutions dans son pays. En juin 2022, elle demande l’asile en Suisse avec ses trois enfants. Leur demande est rejetée en 2023 par le SEM puis par le TAF. La famille subit alors un véritable harcèlement policier: alors que Léonie* est hospitalisée en psychiatrie, son fils est arrêté à leur domicile pour être détenu à l’aéroport puis relâché. Sa fille aînée est également arrêtée à deux reprises, emmenée à l’aéroport puis relâchée. Enfin, la fille cadette se retrouve hospitalisée en psychiatrie, dans un état de choc, après que des agents ont essayé de l’arrêter au cabinet de sa psychologue. Malgré ces arrestations à répétition, Léonie* et ses enfants demandent le réexamen de leur décision d’asile, en raison d’éléments nouveaux survenus au Burundi et de l’état de santé de Léonie* qui se dégrade. Le SEM suspend l’exécution du renvoi de cette dernière, mais refuse de réexaminer la demande des enfants, désormais tous trois majeurs.
Cas individuel — 19/09/2018

Le SEM met en doute le récit et prononce le renvoi d’un Érythréen de 19 ans

Arrivé comme MNA, « Bereket » est entendu sur ses motifs d’asile deux ans après avoir déposé sa demande. Pour le SEM, ses propos manquent de détails et de consistance. Le SEM qualifie son récit d’invraisemblable, lui refuse l’asile et prononce son renvoi vers l’Erythrée.
Cas individuel — 20/12/2011

Une rescapée de Srebrenica est renvoyée
malgré de graves problèmes psychiques

« Halida », rescapée du massacre de Srebrenica, demande l’asile en Suisse en 2000 alors qu'elle a à peine 18 ans. 11 ans plus tard, malgré ses troubles psychiques et la naissance d'un bébé, l’ODM puis le TAF vont prononcer son renvoi (et celui de son nouveau-né) vers la Bosnie. Elle n'y a pourtant quasiment plus de repères ni de réseau familial ou social.
Cas individuel — 24/08/2009

Déserteurs érythréens: réfugiés un jour, indésirables le lendemain

Mobilisée de force dans l’armée érythréenne, « Lidi » subit de graves sévices et finit par s’enfuir en Suisse. Mais l’ODM ordonne son renvoi. Après une jurisprudence de principe favorable aux déserteurs érythréens, l’ODM se ravise et lui accorde l’asile. Mais à l’avenir, le DFJP propose de modifier la loi afin d’exclure les déserteurs de la qualité de réfugié.