Injustice de la justice ou l’impossible accès à la réparation lorsque l’on est migrant·e

Genève, 18.03.2025 – A l’occasion d’une table-ronde organisée le 18 mars par Solidarité Tattes et le collectif genevois pour la Grève féministe, l’avocate Laïla Batou ainsi que deux représentantes des associations ont exposé les difficultés d’accès à la justice pour les personnes migrantes. Devant une cinquantaine de personnes, les participantes ont présenté de nombreux exemples de cas tragiques survenus sur le canton de Genève ou en Suisse romande. La discussion a permis d’esquisser des pistes pour changer les choses: discussion avec les autorités pour utiliser leur marge de manœuvre et alléger les risques pour les personnes sans-papiers, coordination entre les associations afin d’assurer un réseau d’entraide, ou encore possibilités de dépôt de plainte sans passer par la case police.

Source: le Courrier, «Pour une justice sans couleur», 20.03.2025.

Cas relatifs

Cas individuel — 08/12/2025

Victime de mariage forcé et de traite, elle est menacée de renvoi

Mariée de force à 15 ans, Albina* subit des violences conjugales répétées. Elle donne naissance à une fille en 2007. En 2013, elle est séquestrée en Grèce et contrainte à se prostituer. Elle parvient à divorcer en 2014. En janvier 2017, elle arrive en Suisse où elle débute une relation avec Mustafa*, qui devient vite marquée par des violences physiques. En décembre 2018, après une violente agression, elle parvient à alerter la police. Mustafa* est expulsé du domicile. Albina* est prise en charge dans un foyer pour victimes de violences conjugales. En septembre 2019, Mustafa* est condamné pour lésions corporelles et injures et Albina* pour séjour illégal et activité lucrative sans autorisation.
Cas individuel — 12/11/2025

Accès à la justice impossible: malgré une tentative de viol, elle est condamnée pour séjour illégal

Luciana*, ressortissante étrangère, vit sans statut légal à Genève depuis juillet 2019. Elle travaille dans l’économie domestique et loue une chambre dans un appartement en sous-location. En 2024, son colocataire devient violent et tente de l’agresser sexuellement. Après avoir résisté et fui, elle subit du harcèlement et finit par être dénoncée à la police par son agresseur, qui la vole avant de quitter l’appartement. Auditionnée en avril 2025, Luciana* est condamnée pour séjour illégal. Ni la tentative de viol ni le vol ne sont pris en compte. L’agresseur n’est pas poursuivi et le logeur est condamné pour hébergement d’une personne sans statut légal.
Cas individuel — 10/04/2025

Des violences conjugales reconnues par un Centre LAVI sont jugées trop peu intenses par les tribunaux

Eja*, originaire d’Afrique de l’est, rencontre Reto*, ressortissant suisse, en 2019. Leur mariage est célébré en avril 2021 et Eja* reçoit une autorisation de séjour. L’année qui suit est marquée par des disputes et des violences au sein du couple, et une première séparation de courte durée. En février 2023, Eja* consulte le Centre LAVI du canton, qui la reconnait victime d’infraction. En juillet, Eja* dépose une plainte pénale contre son époux pour harcèlement moral, rabaissements et injures, discrimination raciale et contraintes. En novembre 2023, Eja* dépose une deuxième plainte. Son médecin confirme des symptômes de stress émotionnel élevé. En février 2024, le SPoMi révoque l’autorisation de séjour d’Eja* et prononce son renvoi de Suisse, au motif que la durée effective de la communauté conjugale n’a pas dépassé trois ans. En août 2024, le Tribunal cantonal rejette le recours déposé par Eja*, au motif que l’intensité des violences psychologiques n’atteint pas le seuil exigé par la jurisprudence. Le Tribunal conclut à l’absence de raison personnelle majeure permettant de justifier le maintien de l’autorisation de séjour d’Eja*. Le Tribunal fédéral, dans son arrêt du 14 novembre 2024, confirme la décision du SPoMi et rejette le recours d’Eja*.
Cas individuel — 11/12/2024

«Je n’en pouvais plus, je ne savais plus vers qui me tourner. Je suis allée porter plainte mais la police m’a arrêtée pour séjour illégal.»

Dora* arrive en Suisse sans statut de séjour en mai 2022 et rencontre Jorge*, originaire d’Espagne, à Genève. Après deux ans de harcèlement et de menaces proférées par Jorge* à son encontre, elle finit par se rendre dans un commissariat de la police cantonale genevoise pour déposer plainte. La police lui indique qu’il n’y a pas matière à enregistrer une plainte, mais qu’elle doit en revanche rendre des comptes pour son séjour illégal. Dora* est alors détenue une nuit et auditionnée par le Ministère public le lendemain. Compte tenu de sa décision de quitter volontairement le territoire, les autorités classent la procédure. Sa plainte à l’encontre de Jorge* n’est jamais enregistrée. Fin décembre 2024, Dora* quitte définitivement la Suisse, sans avoir pu obtenir justice.