Une famille avec trois enfants se trouve à l’aide d’urgence depuis 10 ans

Fuyant des représailles familiales suite à une grossesse issue d’un viol, Susanne* demande l’asile en Suisse en 2013. Elle donne naissance à son premier enfant peu après. Sa demande est rejetée en avril 2014. En octobre 2018, son mari Bernard* la rejoint en Suisse. Sa demande d’asile est également refusée. En 2019 puis 2021, Suzanne* donne naissance à deux autres enfants. La plus jeune est diagnostiquée d’un trouble du spectre autistique, d’une microcéphalie légère, d’un retard de croissance et d’un trouble alimentaire, pour lesquels elle a besoin d’un accompagnement socioéducatif spécialisé, d’un suivi médical et d’une surveillance quotidienne. La famille demande à plusieurs reprises au SEM le réexamen de leur demande d’asile, mais leurs requêtes sont toutes rejetées. En octobre 2025, la famille se trouve toujours en Suisse, sans espoir de régularisation. Les deux parents et les trois enfants vivent à l’aide depuis plus de 10 ans.

Personnes concernées (*Prénoms fictifs): Susanne*, Bernard* et leurs 3 enfants

Origine: Kosovo

Statut: Aucun

Chronologie

2013 : arrivée en Suisse et demande d’asile de Susanne* (sept.)
2014 : refus du SEM (avril), recours auprès du TAF (mai), refus du TAF (juin)
2015 : demande de réexamen (mars)
2016 : refus du SEM (jan.), recours au TAF (jan.), refus du TAF (fév.)
2018 : demande d’asile de Bernard* (oct.), refus du SEM (nov.), recours au TAF
2019 : refus du TAF (jan.)
2020 : demande de réexamen de la famille (sept.), refus du SEM (oct.)
2023 : demande de réexamen et refus du SEM (mai), recours au TAF (juin), refus du TAF (juil.)

Questions soulevées

  • Laisser des enfants grandir durant plus de dix ans à l’aide d’urgence – un régime extrêmement précaire qui entrave de nombreux droits fondamentaux – sans aucune stabilité juridique ni accès aux encadrements dont ils ont besoin n’est-il pas contraire à la Convention de protection des droits de l’enfant signée par la Suisse ?
  • Dans un tel cas de figure, les autorités cantonales ne devraient-elles pas user de la marge de manœuvre dont elles disposent pour ordonner une régularisation pour cas de rigueur ?

Description du cas

Susanne*, née en 1992, est originaire du Kosovo, de nationalité albanaise et de confession musulmane. En décembre 2012, elle subit un viol par trois hommes d’un village voisin, contre lesquels elle n’ose pas porter plainte par peur de représailles. Quelques semaines plus tard, elle découvre être enceinte. Elle est déjà fiancée, par arrangement familial à Bernard* qu’elle épouse en avril 2013. Lorsqu’elles découvrent la grossesse de Susanne*, les deux familles réagissent mal, la rejettent et menacent le couple. Susanne* se réfugie alors chez des oncles et tantes et le couple décide de partir pour la France. Durant le voyage, les époux sont séparés.
En septembre 2013, Susanne* dépose une demande d’asile en Suisse, où elle a plusieurs cousins. Peu après nait son premier enfant. En avril 2014, au motif d’un manque de vraisemblance dans son récit, le SEM (alors ODM) rejette sa demande d’asile et prononce son renvoi de Suisse. En mai, Susanne* dépose un recours contre cette décision, appuyée par une mandataire, alléguant un mauvais état de santé (détresse psychique, idées suicidaires scénarisées et céphalées chroniques) et le fait qu’un retour dans son pays avec un enfant né hors mariage est inconcevable dans le contexte traditionnel et patriarcal kosovar. Estimant le renvoi vers le Kosovo raisonnablement exigible, le TAF confirme l’avis du SEM en juin 2014 et rejette le recours de Susanne*. En mars 2015, Susanne* dépose une demande de réexamen pour des motifs médicaux, qui se voit refusée par le SEM en janvier 2016. Un nouveau recours au TAF est rejeté en février 2016.
En octobre 2018, Bernard* rejoint Susanne* pour reprendre un ménage commun de façon stable. Il dépose une demande d’asile, mais celle-ci est refusée par le SEM en novembre de la même année. Son recours auprès du TAF est également rejeté en janvier 2019 (arrêt E-6645/2018). En octobre 2019, nait le deuxième enfant de Susanne* et Bernard. En septembre 2020, une nouvelle demande de réexamen est déposée pour toute la famille, reprécisant la situation médicale des membres et l’absence de soutien familial et social au Kosovo. En octobre, le SEM rejette à nouveau la demande de réexamen. En mai 2021 nait le troisième enfant de la famille. En mai 2023, la famille sollicite un réexamen de leur situation auprès du SEM. À l’appui, le couple transmet des certificats médicaux attestant que leur dernier enfant (alors âgée de deux ans) souffre d’un trouble du spectre autistique, d’une microcéphalie légère, d’un retard de croissance et d’un trouble alimentaire. Il précise qu’une demande de prise en charge de l’assurance invalidité est en cours et que l’enfant a besoin d’un accompagnement socioéducatif spécialisé, d’un suivi médical et d’une surveillance quotidienne. Enfin, il rappelle que leur premier enfant (alors âgé de 9 ans) est né en Suisse, parle uniquement le français, est scolarisé et réussit très bien à l’école où il a un bon réseau social. Malgré ces explications, le SEM rejette leur demande au bout de quelques jours. La famille dépose un recours en juin2023, demandant au TAF de reconnaitre l’illicéité voire l’inexigibilité de leur renvoi. Un mois plus tard, le Tribunal rend sa décision. Bien qu’il reconnaisse les problèmes de santé de la fille cadette, il estime que son suivi médical et socioéducatif sera possible au Kosovo, notamment parce qu’il existe des ONG sur place. Il précise que le fait que cette prise en charge n’atteigne pas les standards suisses n’est pas un argument décisif. Le TAF considère également que l’absence de soutien de la part de leurs familles respectives en cas de renvoi n’est pas non plus pertinente, car Bernard* et Susanne* sont en état de travailler. Enfin, concernant les complications qu’entrainerait un déracinement pour le fils aîné, le TAF estime qu’«une fois passées les premières difficultés liées à sa réinsertion» le fils pourra poursuivre son développement sans obstacles insurmontables. Par conséquent, le TAF rejette le recours et confirme la décision de renvoi prononcée par le SEM. En octobre 2025, la famille se trouve toujours en Suisse, sans espoir de régularisation. Les deux parents et les trois enfants vivent à l’aide d’urgence (soutien minimal de 10 CHF par jour avec hébergement et soins de santé de base) depuis maintenant plus de 10 ans.

Signalé par: EPER/SAJE Vaud

Sources: Arrêt du TAF E-2590/2014 (11.06.14) ; arrêt du TAF E-714/2016 (10.02.16) ; arrêt du TAF E-6645/2018 (11.01.19) ; arrêt du TAF E-3421/2023 (10.07.23).

Cas relatifs

Cas individuel — 17/09/2025

Refus de régulariser des enfants admis provisoirement depuis 10 ans, alors que leur père a un permis B

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Cas individuel — 24/07/2025

Reconnue invalide, elle reçoit une révocation d’autorisation de séjour et un refus de regroupement familial

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La Suisse reproche à deux enfants seuls de ne pas avoir franchi une frontière pour déposer leur demande de regroupement familial dans les délais

Esther* arrive en Suisse en 2012, à l’âge de 17 ans et demi, et obtient une admission provisoire (permis F). En partant, elle a été contrainte de laisser ses deux fils en Somalie. Elle obtient un permis B par mariage en 2015. Un délai de cinq ans s’ouvre alors pour demander un regroupement familial en faveur de ses fils, mais ceux-ci n’ont pas le droit de se rendre seuls au Kenya, où se trouve la seule ambassade suisse habilitée à enregistrer la demande. Ce n’est qu’en 2024, lorsque leur tutrice décide de déménager au Kenya et de les emmener avec elle, qu’ils peuvent alors déposer officiellement la demande. Les autorités cantonales rendent un préavis négatif au motif que la demande est tardive. Esther* fait alors valoir l’existence de raisons personnelles majeures – ses enfants allant bientôt être livrés à eux-mêmes - justifiant un regroupement familial tardif. La demande est toujours en cours.
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Séparation d’une famille: les autorités suisses octroient un permis B aux enfants mais renvoient les parents

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