Un père de famille expulsé par vol spécial

« Ibrahim », requérant d’asile débouté, vit avec « Aïssa » (permis C) qui est enceinte de leur deuxième enfant. Alors que des démarches de mariage sont en cours, « Ibrahim » est mis en détention pendant plus de 2 mois puis expulsé par vol spécial.

Personne(s) concernée(s) : « Ibrahim », homme né en 1981; sa fiancée « Aïssa » enceinte de 6 mois et leur premier enfant, né en 2006.

Statut : requérant d’asile débouté (renvoyé en Guinée)

Résumé du cas

Originaire de Guinée-Conakry, « Ibrahim » arrive en Suisse en 2001 et demande l’asile. Sa demande est rejetée et son renvoi devient exécutoire. Dès 2002, il noue une relation intime avec « Aïssa », ressortissante sénégalaise titulaire d’une autorisation d’établissement. Dès 2004, le couple fait ménage commun. Un premier enfant naît de cette relation, mais « Ibrahim » ne fait pas les démarches nécessaires pour le reconnaître officiellement comme son enfant. « Ibrahim » entretient selon les dires d’un proche une relation étroite avec son enfant. En 2007, « Ibrahim » et « Aïssa » déposent une demande en vue du mariage auprès de l’Office d’état civil de Genève. « Ibrahim », qui n’avait pas d’antécédent, est cependant arrêté vers la fin de l’année en possession de cannabis et condamné à un mois de détention. Dès lors son renvoi est préparé activement. À la mi-janvier, il refuse, sans violence, de monter dans un avion, et le 18 janvier 2008, les autorités cantonales décident de le placer en détention en vue du renvoi. Plusieurs démarches sont entreprises pour obtenir une autorisation de séjour, mais aucune n’aboutit. Après le rejet par l’ODM d’une demande de réexamen, le TAF lui demande 1’200 francs, qu’il ne peut payer, pour traiter son recours. Le 13 mars, son avocat revient à la charge en présentant de nouveaux éléments sur les risques encourus en Guinée. « Ibrahim » ne recevra cependant pas de réponse à cette requête, pas plus qu’à sa demande d’autorisation de séjour basée sur le respect de la vie familiale (art. 8 CEDH). Le 25 mars 2008, bientôt père de deux enfants et en phase de se marier avec une personne établie en Suisse, « Ibrahim » est renvoyé par vol spécial vers la Guinée.

Questions soulevées

 Les autorités ont engagé des frais considérables (mesures de détention, exécution du renvoi par vol spécial) pour expulser une personne dont la régularisation du séjour (par le mariage) était en bonne voie. N’est-ce pas disproportionné de vouloir assurer ce renvoi à tout prix ?

 Renvoyer le futur mari d’une femme enceinte, déjà père d’un premier enfant, n’est-il pas en contradiction avec l’article 8 CEDH, qui protège la vie de famille, dans le mesure où on ne pouvait reprocher qu’une condamnation mineure à Ibrahim ?

Chronologie

2001 : arrivée en Suisse et dépôt d’une demande d’asile (14.8), refus par l’ODM (14.9)

2002 : début de la relation entre « Ibrahim » et « Aïssa »

2004 : début de la vie commune

2007 : demande de réexamen de la demande d’asile (31.1), dépôt d’une demande en vue du mariage (26.10)

2008 : 1ère tentative de renvoi après 30 jours de détention pénale (17.1), 1ère décision de mise en détention administrative (18.1), demande d’autorisation de séjour auprès de l’OCP (25.1), demande d’admission provisoire (31.1), confirmation de la détention par le Tribunal administratif (8.2), décision négative ODM sur la demande de réexamen (8.2), recours (26.2), décision incidente du TAF demandant une avance de frais (4.3), radiation du recours (12.3), 2ème demande de réexamen (13.3), expulsion par vol spécial (25.3)

Description du cas

En 2001, « Ibrahim », originaire de Guinée-Conakry, arrive en Suisse et dépose une demande d’asile. Celle-ci est rejetée peu de temps après. En 2002, « Ibrahim » débute une relation amoureuse avec « Aïssa », ressortissante sénégalaise titulaire d’une autorisation d’établissement. En 2004, ils emménagent ensemble. De cette relation naît un premier enfant commun. « Ibrahim » est très proche d’ « Aïssa » et noue selon un proche des liens étroits et forts avec leur enfant. Néanmoins il n’entreprend pas les démarches pour reconnaître officiellement son enfant. Malgré la difficulté de trouver du travail pour un requérant d’asile débouté, « Ibrahim » occupe à deux reprises de petits emplois. En 2005, les autorités perdent la trace d’« Ibrahim » qui entre dans la clandestinité. En 2007, il demande le réexamen de la décision de renvoi qui le vise, expliquant que sa vie serait en danger en cas de retour dans son pays. Le 26 octobre 2007, « Ibrahim » et « Aïssa » déposent ensemble une demande en vue du mariage auprès de l’Office d’état civil de Genève.

Vers la fin de l’année 2007, « Ibrahim » est arrêté pour infraction à la loi sur les stupéfiants et recel. Sans antécédents jusqu’ici, il est condamné à 30 jours de détention, qu’il passe à la prison de Champ-Dollon. Le 17 janvier 2008, malgré les démarches de mariage qui sont en cours, les policiers tentent une première fois de le mettre à bord d’un avion pour la Guinée, mais « Ibrahim » s’oppose sans violence « en s’agrippant à la passerelle et en hurlant qu’il ne voulait pas partir ». Le 18 janvier 2008, les autorités décident de mettre « Ibrahim » en détention dans l’établissement de détention administrative de Frambois en vue de son renvoi. Le 25 janvier, pour rester auprès de sa fiancée, enceinte de 6 mois d’un nouvel enfant, et de son fils, il demande une autorisation de séjour auprès de l’Office cantonal de la population invoquant son droit au respect de sa vie familiale fondé sur l’article 8 de la CEDH. Le 31 janvier, il adresse à l’ODM une demande d’admission provisoire. Malgré ces démarches, il est à nouveau amené devant l’avion le 4 février, mais il s’oppose derechef sans violence à son renvoi. Les autorités le condamnent alors pour opposition aux actes de l’autorité (art. 292 CP) et l’amènent à Champ-Dollon. Deux jours plus tard, il est à nouveau transféré à Frambois. Il reçoit alors une décision négative de l’ODM sur sa demande de réexamen, décision contre laquelle il interjette un recours. Pour accepter d’examiner le recours, le TAF lui demande une avance de frais de 1’200 frs. Comme il ne les paie pas, le TAF radie le recours le 12 mars.

Le 13 mars 2008, son avocat tente une ultime demande de réexamen, concluant à l’octroi d’une admission provisoire. D’une part, il invoque le respect de la vie familiale établi par l’article 8 CEDH : un renvoi impliquerait une séparation entre « Ibrahim » et sa future femme enceinte de 6 mois ainsi que leur premier enfant. D’autre part, il demande aux autorités d’examiner de nouveaux éléments qui pourraient laisser penser qu’ « Ibrahim » serait en danger en cas de retour en Guinée. Malgré cette demande de réexamen, le renvoi reste exécutoire, et le 25 mars 2008, « Ibrahim » est expulsé par vol spécial vers la Guinée.

Signalé par : Ligue suisse des droits de l’homme (section genevoise), avril 2008.

Sources : arrêt du TA (8.2.08), demande d’autorisation de séjour (25.1.08), procès-verbaux d’interrogatoires, décisions de mise en détention administrative, décision du TAF (12.3.08), demande de réexamen (13.3.08).

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