Un couple européen est menacé de renvoi car il recourt partiellement à l’aide sociale

Andrea* et son épouse Lidia*, ressortissant·es italien·es arrivé·es en Suisse en 2022, se voient menacés de retrait de leur permis B obtenu sur la base de l’Accord sur la libre circulation des personnes (ALCP), au motif qu’il et elle recourent parfois à l’aide sociale en complément de leur revenu. Ce, bien qu’Andrea* travaille depuis août 2024 avec un contrat à durée indéterminée, et effectue un minimum de 30 heures par semaine pour un salaire mensuel d’environ 2’800 CHF. Avec l’appui d’un mandataire, le couple rappelle au Service de la population que la qualité de travailleur·se s’obtient à la simple condition d’«accomplir pendant un certain temps, en faveur d’une autre personne et sous la direction de celle-ci, des prestations en contrepartie desquelles elle touche une rémunération». Par ailleurs, le Tribunal fédéral a reconnu la qualité de travailleur à une personne qui percevait un revenu mensuel net d’environ 2’500.-. Il faudra encore présenter au SPoMi trois nouvelles fiches de salaire d’Andrea* ainsi que les preuves des allocations liées à sa seconde paternité pour que les autorités classent l’affaire.

Personne concernée (*Prénom fictif): Andrea* et Lidia*

Origine: Italie

Statut: permis B

Chronologie

2022: arrivée en Suisse de Andrea* et Lidia*

2024: engagement d’Andrea* (août)

2025: intention de retrait du permis (jan.) ; réponse du mandataire (fév.) ; classement de l’affaire (mai)

Questions soulevées

  • Comment se fait-il que les autorités suisses méconnaissent la définition de la qualité de travailleur telle que prévue dans l’accord sur la libre circulation des personnes et concrétisée par la jurisprudence? Cette méconnaissance ne représente-t-elle pas une entrave à la réalisation de l’ALCP, puisque les personnes concernées doivent bénéficier de l’aide de mandataires pour faire opposition à une menace de retrait de permis?

Description du cas

Andrea*, ressortissant italien, arrive en Suisse avec son épouse Lidia*, également italienne, en 2022. Andrea* travaille en tant qu’agent de sécurité depuis août 2024. Il bénéficie d’un contrat à durée indéterminée, et effectue un minimum de 30 heures par semaine, ce qui équivaut à un taux de travail de 75%. Le couple vit en Suisse au bénéfice de permis B conformément à l’Accord sur la libre circulation des personnes conclut entre la Suisse et l’Union Européenne (ALCP). Entre 2022 et 2024, la famille s’agrandit avec l’arrivée de deux enfants.

Le salaire mensuel d’Andrea* est d’environ 2’800 CHF, ce qui ne suffit pas toujours à couvrir l’ensemble des besoins familiaux. Par conséquent, il arrive que celui-ci recourt à l’aide sociale comme complément de revenu. Informé de cette situation, le Service de la population et des migrants du canton de Fribourg (SPoMi) informe le couple, en janvier 2025, qu’il envisage de leur retirer leur permis de séjour, les conditions qui le fondent étant «susceptibles de ne plus être remplies». Le SPoMi précise que, le cas échéant, «une invitation à quitter la Suisse» leur serait adressée. Il invite donc Andrea* et Lidia* à lui fournir une série de documents attestant de leur situation financière et à s’expliquer sur les démarches entreprises pour l’«assainir». 

Le couple sollicite alors l’appui d’un mandataire juridique, qui répond au SPoMi en février 2025. Dans sa lettre, celui-ci rappelle que, contrairement à ce qu’affirme le Service de la population, «il n’est pas nécessaire pour un ressortissant de l’UE/AELE possédant la qualité de travailleur et qui occupe actuellement un emploi, qu’il apporte la preuve des moyens financiers suffisants pour pouvoir se targuer de cette qualité». Selon la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union Européenne, ajoute-t-il, pour être considéré comme «travailleur», il suffit d’«accomplir pendant un certain temps, en faveur d’une autre personne et sous la direction de celle-ci, des prestations en contrepartie desquelles elle touche une rémunération». Ainsi, ni le taux d’occupation du/de la travailleur·se, ni le montant de sa rémunération «ne sont en eux-mêmes et à eux-seuls, des éléments décisifs pour apprécier la qualité de travailleur au sens du droit communautaire».  Le mandataire d’Andrea* et Lidia* souligne également que le Tribunal fédéral a reconnu la qualité de travailleur à une personne qui percevait un revenu mensuel net d’environ 2’500.- ; et qu’Andrea*, lui, touche un salaire plus élevé. En conséquence, ce dernier ne peut pas être déchu de cette qualité. Or, l’art.2 ALCP consacre le principe de non-discrimination entre les travailleur·ses UE/AELE et les travailleur·es suisses. Et cela signifie notamment qu’une perception de l’aide sociale en complément au revenu ne peut pas être un motif pouvant prétériter la poursuite du séjour en Suisse.

Finalement, il faut attendre mai 2025 et la présentation au SPoMi de trois nouvelles fiches de salaire d’Andrea* ainsi que les preuves des allocations liées à sa seconde paternité (qui font partie intégrante du salaire) pour que les autorités classent l’affaire. Le statut de travailleur d’Andrea* n’est effectivement plus à remettre en question.

Signalé par: CCSI Fribourg

Source: Courriers du SPoMi et du mandataire juridique

Cas relatifs

Cas individuel — 25/03/2025

Alors qu’il bénéficie d’une rente AVS, il est renvoyé de Suisse pour avoir précédemment quitté son emploi

Lisandro*, originaire d’Espagne, arrive en Suisse en avril 2013, à l’âge de 57 ans, au bénéfice d’un permis B pour activité lucrative. En 2015, le service de la population révoque l’autorisation de séjour de Lisandro* au motif que celui-ci n’exerce plus d’activité professionnelle. En octobre 2020, Lisandro* travaille à temps partiel et obtient un nouveau titre de séjour pour activité lucrative. Il résilie toutefois son contrat de travail (au 31.01.2021) et reçoit ensuite des indemnités de chômage et un complément du RI. Dès décembre 2021, ayant atteint l’âge de la retraite, il bénéficie d’une rente AVS et de prestations complémentaires. En 2023, le SPOP révoque à nouveau l’autorisation de séjour de Lisandro*. Selon l’autorité, ce dernier ne peut se prévaloir d’un droit de demeurer dès lors qu’il n’a pas travaillé durant les 12 mois précédant l’âge de la retraite. Lisandro* dépose un recours devant le Tribunal cantonal (TC). Dans son arrêt, le TC admet que Lisandro* bénéficiait bien de la qualité de travailler au moment où il a atteint l’âge de la retraite. Toutefois, il réfute le caractère involontaire de sa situation de chômage, soulignant que Lisandro* a démissionné sans autre contrat de travail ni raison de santé. Il lui reproche également d’avoir des poursuites et des actes de défaut de bien, et de percevoir des prestations complémentaires AVS, assimilées à de l’aide sociale. Le Tribunal rejette le recours de Lisandro* et confirme la décision de son renvoi.
Cas individuel — 20/03/2025

Le TAF reconnait le droit de demeurer d’un homme au bénéfice d’une rente invalidité de 50%

Fabiano*, originaire du Portugal, arrive en Suisse en 1989. Employé en tant que maçon, il enchaîne les autorisations de séjour de courte durée. En mars 2015, une grave maladie lui est diagnostiquée en raison de laquelle il dépose une demande de prestations d’assurance-invalidité (AI). L’office AI ne lui reconnait une invalidité que de 54% car il estime que Fabiano* pourrait travailler à temps partiel dans une activité adaptée. En décembre 2015, Fabiano* sollicite une autorisation de séjour en vertu de son droit de demeurer. Après un premier refus du Service de la population (SPOP), cassé par un arrêt du Tribunal cantonal, le SPOP transmet, en janvier 2020, le dossier au SEM pour approbation. Mais ce dernier refuse, considérant que Fabiano* n’a pas acquis de droit de demeurer, notamment parce qu’il est encore en capacité partielle de travail. Saisi par recours de Fabiano*, le TAF rejette la décision du SEM en juin 2024. Le TAF décrète qu’il ne peut pas être attendu que Fabiano* débute une activité professionnelle alternative au vu de son âge et de son niveau de formation, et reconnait son incapacité de travail permanente. Le TAF confirme que ce dernier peut donc se prévaloir d’un droit de demeurer et ordonne l’octroi d’une autorisation de séjour en sa faveur.
Cas individuel — 06/03/2025

Pour avoir déposé plainte pour vol, elle perd son logement, son travail et risque le renvoi

Kelia*, originaire de Colombie, vit à Genève depuis février 2017. Elle travaille en tant qu’employée dans l’économie domestique mais ne possède pas de titre de séjour. En mai 2023, elle est victime d’un vol à la tire. Un policier, témoin du vol, arrête le voleur et demande à Kelia* de le suivre au poste pour déposer plainte. La police se rend alors compte de sa situation juridique. Son employeuse est convoquée et amendée, malgré le fait qu’elle avait déclaré l’engagement de Kelia* auprès du Service de la population et cotisé pour ses assurances sociales. Elle est contrainte mettre fin au contrat de travail de Keila*. La personne qui lui loue son appartement lui demande de quitter les lieux. Keila* écope en outre d’une peine de 30 jours amende en plus du paiement des frais de procédure, pour infraction à l’art. 30 LEI (séjour illégal). Enfin, l’Office cantonal de la population lui adresse une décision d’expulsion avec un départ fixé à la fin novembre 2024.