Selon le SEM et le TAF, fuir la conscription en Russie pour ne pas soutenir des crimes de guerre n’est pas un motif d’asile
Refusant de participer aux crimes de guerre commis par l’armée, Misha*, ressortissant russe d’origine ukrainienne, fuit la Russie après avoir reçu plusieurs convocations militaires. Il demande l’asile en Suisse. Le SEM puis le TAF rejettent sa demande d’asile, rappelant que la désertion n’est pas un motif pertinent en droit d’asile, et estimant que rien ne prouve que Misha* risquerait réellement des persécutions pour ne pas avoir donné suite à ses convocations militaires.
Personne concernée (*Prénom fictif): Misha*
Origine: Russie
Statut: débouté
Chronologie
2022 : demande d’asile en Suisse (novembre)
2025 : décision négative du SEM ; recours (février) ; arrêt négatif du TAF (mai).
Questions soulevées
- Comment le SEM et le TAF peuvent-ils justifier leurs décisions négatives d’asile par le prétendu respect de l’Etat de droit par le gouvernement russe, alors que les violations des droits commises par ce dernier sont documentées de longue date?
- N’est-il pas politiquement contradictoire et hypocrite de refuser une protection à des objecteur·ices de conscience, en arguant que tout Etat a le droit de convoquer ses citoyen·nes au service militaire, alors que dans le même temps la Suisse a pris des sanctions contre ce même Etat en raison de son invasion militaire en Ukraine?
Description du cas
Ressortissant russe d’origine ukrainienne, Misha* dépose une demande d’asile en Suisse en novembre 2022. Il explique notamment avoir reçu, depuis le mois de mai 2022, cinq convocations au service militaire. Pacifiste et ne souhaitant pas combattre le pays de ses origines, il a refusé d’y donner suite. Il a d’abord pu reporter son service militaire contre le paiement d’une somme d’argent, mais il a ensuite renoncé, ne souhaitant pas soutenir financièrement la Russie. En juillet 2022, il a reçu une lettre des autorités militaires russes l’informant qu’une enquête avait été ouverte à son encontre et qu’il risquait une peine de deux ans d’emprisonnement pour son refus de servir. Misha* a alors quitté la Russie le jour même. Depuis son arrivée en Suisse, il a reçu trois autres convocations pour le service militaire, l’invitant à se présenter aux autorités militaires d’ici à septembre 2022, puis novembre 2022 et enfin mars 2023.
Misha* explique aussi risquer des persécutions en raison d’un don d’argent versé à un ressortissant ukrainien qui collectait des fonds pour l’achat de drones et de matériel médical, ainsi que pour avoir envoyé de l’argent à une maison d’édition journalistique. Il raconte que quelques jours après ces versements, ses comptes bancaires ont été gelés et son ancien appartement à Moscou perquisitionné. À l’appui de ses dires, il fourni des documents attestant du blocage de ses comptes bancaires. Enfin, il ajoute que depuis qu’il a quitté son pays natal, il a reçu de nombreuses menaces et insultes sur des chats en ligne, et qu’une menace de mort a été écrite sur un mur à côté de son ancienne maison à Moscou.
En janvier 2025, le SEM rejette sa demande d’asile. Concernant les menaces reçues par internet, le SEM considère que celles-ci, proférées par des tiers, relèvent du privé, n’atteignent pas une intensité suffisante et auraient cessé depuis que Misha* a fermé son compte en ligne, «de sorte qu’il n’y a pas lieu de conclure à l’existence d’une situation de danger imminent ». Concernant le blocage de ses comptes bancaires, le SEM estime que Misha* n’a pas démontré que celui-ci était effectivement lié aux versements mentionnés. Pour ce qui est des convocations militaires, le SEM affirme que le fait que Misha* ait pu reporter son service militaire en payant une somme d’argent contredit l’existence d’un risque imminent d’être envoyé au front. De plus, il décrète que les convocations n’ayant pas été remises contre signature, elles ne seraient pas juridiquement contraignantes. Il reconnait que la loi a été modifiée sur ce point en 2023, rendant valables des convocations militaires, même si elles ne sont pas rendues en personne, mais considère cependant que ce changement législatif n’aurait pas d’application rétroactive. Il en conclut qu’on ne peut pas partir du principe que Misha* risque une peine de prison pour ne pas y avoir donné suite. Finalement, le SEM rappelle que la désertion ou le refus de servir ne sont de toute façon pas pertinents en matière d’asile, conformément à l’art. 3 al. 3 LAsi.
En février 2025, Misha* dépose un recours contre cette décision devant le TAF. Il y réitère ses craintes de persécutions, et ajoute notamment qu’en Russie, les déserteurs et les réfractaires sont considérés comme des ennemis de l’État. De plus, même s’il n’était pas envoyé directement au front mais simplement dans la zone russo-ukrainienne, cela signifierait participer à une guerre contraire au droit international et à des crimes de guerre, et qu’il est donc légitime de s’y opposer.
Dans son arrêt du 14 mai 2025, le TAF rejette le recours. Il reprend l’analyse du SEM en ce qui concerne les menaces proférées par des tiers. Le fait que l’appartement de Misha* ait été perquisitionné en raison de ses versements n’est, selon le TAF, qu’une supposition de sa part. Et si le gel de ses comptes en banque pourrait «certes être considéré comme un indice que les autorités ont connaissance du paiement », le TAF relève toutefois qu’aucune procédure judiciaire n’a été engagée à son encontre.
Enfin, en ce qui concerne le service militaire, le TAF rappelle également que la désertion n’est pas un motif pertinent en droit d’asile, précisant qu’ «il relève en principe du droit légitime d’un État d’entretenir une armée et de recruter ses citoyens à cette fin ». Il rejoint l’appréciation du SEM selon laquelle le fait que Misha* aurait reçu plusieurs convocations démontrerait qu’il ne risque pas de conséquences pour leur non-respect. Il ajoute que même si Misha* persiste à refuser d’effectuer le service militaire, la peine prévue par l’art. 328 du code pénal russe ne permet pas de considérer qu’il risquerait de subir des préjudices « importants au sens de l’art. 3 de la loi sur l’asile ». De plus, il estime que rien ne permet de conclure que Misha* serait contraint de participer à des crimes de guerre, « même s’il existe des indices de crimes de guerre commis par l’armée russe en Ukraine ». Enfin, le TAF conclut qu’il « n’existe en principe pas de situation de violence généralisée en Russie, même pour les opposants au régime, même si la situation dans ce pays doit être considérée comme tendue compte tenu des conflits armés entre la Russie et l’Ukraine ».
Signalé par: OSAR
Source: Arrêt du TAF D-1069/2025 du 14 mai 2025