Refus de regroupement familial pour une famille avec double nationalité

Larissa*, originaire du Brésil, arrive en Suisse en 2022 pour vivre auprès de ses quatre enfants. Elle rejoint notamment sa fille Camila*, titulaire d’un permis C et mariée à Nicolas*, binational franco-suisse. En 2023, Larissa* demande l’octroi d’une autorisation de séjour par regroupement familial. En février 2024, le Service cantonal de la population refuse sa demande, au motif que l’ALCP ne s’appliquerait pas à leur situation. Appuyée par un mandataire, Larissa* interjette un recours contre cette décision auprès du Tribunal cantonal (TC), en soulignant la discrimination à rebours dont elle est victime. Mais celui-ci rejette son recours, en invoquant un arrêt du Tribunal fédéral qui affirme que si le lien familial qui fonde la demande de regroupement – en l’occurrence le mariage de Nicolas avec la fille de Larissa* – a été créé après l’arrivée du couple en Suisse , l’ALCP ne s’appliquerait pas.

Personne concernée (Prénom fictif): Larissa, sa fille Camila* et son beau-fils Nicolas*

Origine: Brésil / Suisse-France

Statut: sans / permis B / Suisse

Chronologie

2022 : arrivée en Suisse de Larissa*

2023 : demande de regroupement familial de Larissa*

2024 : refus de la demande par le SPoMi (fév.), recours au Tribunal cantonal (avril), rejet du recours (nov.)

Questions soulevées

  • Comment se fait-il que la Suisse persiste à conditionner les possibilités de regroupement familial de façon discriminatoires selon les passeports et les permis? Le droit de vivre en famille ne serait-il pas le même selon le lieu de naissance? N’est-ce pas contraire aux droits fondamentaux et au principe de non-discrimination?
  • Pourquoi est-ce que les autorités suisses ne considèrent l’existence d’un lien familial que dans le cadre d’un mariage, alors que de plus en plus de modèles familiaux existent en dehors de cette institution – ce qui est d’ailleurs reconnu par la loi ? Qu’est-ce qui justifie de maintenir une définition largement dépassée de la famille si ce n’est un motif de limitation des regroupements?
  • Comment est-il possible que le Tribunal cantonal se permette de simplement décréter que Larissa* peut très bien vivre éloignée de ses quatre enfants et de ses petits-enfants, au motif qu’elle aurait sans doute constitué d’autres liens d’amitié? Comment cela peut-il être considéré comme un argument valable pour justifier une atteinte au droit fondamental à la vie familiale? Une telle pratique des autorités ne risque-t-elle pas d’inciter les Suisse·sses avec une seconde nationalité d’un Etat de l’UE à rendre leur passeport suisse?

Description du cas

Larissa*, née en 1958 au Brésil, arrive en Suisse en 2022 pour vivre auprès de ses quatre enfants, lesquel·les ont tou·tes acquis un statut de séjour. Elle rejoint notamment sa fille Camila*, titulaire d’une autorisation d’établissement (permis C) et mariée à Nicolas*, binational franco-suisse. Nicolas* et Camila* se sont rencontré·es en France en 2005. En 2007, le couple s’est installé en Suisse, avant de se marier en 2008.

En 2023, Larissa* demande l’octroi d’une autorisation de séjour par regroupement familial auprès du Service de la population du canton (SPoMi). Dans sa demande, elle spécifie que son beau-fils, Nicolas*, possède la nationalité française et qu’elle-même est à charge de ses enfants depuis 2015, divorcée et sans présence de ses enfants au Brésil et touchant une retraite d’environ 260 CHF par mois depuis 2024. Elle remplit par conséquent les conditions prévues par l’Accord sur la libre circulation des personnes (ALCP) pour bénéficier du regroupement familial avec son beau-fils. Elle ajoute en outre être sous traitement médical pour différents problèmes de santé.

Quelques mois plus tard, le SPoMi annonce qu’il envisage de refuser sa demande car elle ne tomberait pas sous le coup de l’ALCP. En effet, Nicolas* ayant épousé Camila* alors qu’il résidait déjà en Suisse, le regroupement familial devrait être examiné à l’aune du droit interne – donc la LEI. Larissa* rétorque que l’application de la LEI constitue une discrimination à rebours des citoyen·nes suisses vis-à-vis des citoyen·nes européen·nes. Néanmoins, en février 2024, le SPoMi confirme son refus de l’autorisation de séjour de Larissa*, et prononce son renvoi de Suisse.

En avril 2024, Larissa*, appuyée par un mandataire, interjette un recours contre cette décision auprès du Tribunal cantonal (TC). Dans son argumentation, elle souligne à nouveau la discrimination à rebours que cela représente, rappelle qu’elle est prise en charge financièrement par ses enfants et ajoute qu’elle remplit également les conditions d’octroi d’un statut pour cas de rigueur.

Dans son jugement rendu en novembre 2024, le TC se réfère à l’avis du Tribunal fédéral, lequel a statué,  dans un arrêt[1] de 2017, sur la question de savoir si l’ALCP est applicable en cas de double nationalité. Dans cet arrêt, le TF se base sur une décision de la Cour de Justice de l’UE (CJUE) datant de 2011 – l’arrêt McCarthy[2] – selon laquelle «la personne binationale qui se trouve dans une « situation purement interne » ne peut pas se prévaloir du droit à la libre circulation»[3].  Le TF considère que les principes établis par la CJUE, s’appliquent par analogie aux situations dans lesquelles le lien familial d’un·e ressortissant·e d’un Etat tiers avec une personne binationale suisse et UE a été créé, ou à tout le moins consolidé, avant le retour de la personne en Suisse.

Le TC constate qu’en l’espèce, Nicolas* s’est marié avec Camila* en 2008, soit après s’être installé en Suisse en 2007. Il estime donc que la création du lien avec Larissa*, sa belle-mère par mariage, est postérieure à son retour en Suisse, de sorte que la demande d’autorisation de séjour par regroupement familial doit être examinée sur la base du droit interne. Le TC écarte également le grief de discrimination à rebours.

Quant au fait de remplir les conditions d’une autorisation de séjour pour cas de rigueur, le TC estime que les liens de Larissa* avec la Suisse ne sont pas importants au point qu’il lui soit impossible de vivre au Brésil. Ses enfants ayant déjà quitté le pays et étant désormais majeurs, elle y aurait forgé des liens d’amitié autres. Le TC ajoute que Larissa* ne connait pas de problèmes médicaux qui ne pourraient être pris en charge au Brésil.

Finalement, le Tribunal cantonal conclut donc au rejet du recours et confirme la décision du SPoMi.


[1] ATF 143 II 57

[2] Affaire , McCarthy contre le Secretary of State for the Home Department of UK, 2011.

Signalé par: CCSI Fribourg

Source: Arrêt du Tribunal cantonal 601 2024 151

Cas relatifs

Cas individuel — 17/06/2025

Un couple européen est menacé de renvoi car il recourt partiellement à l’aide sociale

Andrea* et son épouse Lidia*, ressortissant·es italien·es arrivé·es en Suisse en 2022, se voient menacés de retrait de leur permis B obtenu sur la base de l’Accord sur la libre circulation des personnes (ALCP), au motif qu’il et elle recourent parfois à l’aide sociale en complément de leur revenu. Ce, bien qu’Andrea* travaille depuis août 2024 avec un contrat à durée indéterminée, et effectue un minimum de 30 heures par semaine pour un salaire mensuel d’environ 2'800 CHF. Avec l’appui d’un mandataire, le couple rappelle au Service de la population que la qualité de travailleur·se s’obtient à la simple condition d’«accomplir pendant un certain temps, en faveur d’une autre personne et sous la direction de celle-ci, des prestations en contrepartie desquelles elle touche une rémunération». Par ailleurs, le Tribunal fédéral a reconnu la qualité de travailleur à une personne qui percevait un revenu mensuel net d’environ 2'500.-. Il faudra encore présenter au SPoMi trois nouvelles fiches de salaire d’Andrea* ainsi que les preuves des allocations liées à sa seconde paternité pour que les autorités classent l’affaire.
Cas individuel — 20/03/2025

Le TAF reconnait le droit de demeurer d’un homme au bénéfice d’une rente invalidité de 50%

Fabiano*, originaire du Portugal, arrive en Suisse en 1989. Employé en tant que maçon, il enchaîne les autorisations de séjour de courte durée. En mars 2015, une grave maladie lui est diagnostiquée en raison de laquelle il dépose une demande de prestations d’assurance-invalidité (AI). L’office AI ne lui reconnait une invalidité que de 54% car il estime que Fabiano* pourrait travailler à temps partiel dans une activité adaptée. En décembre 2015, Fabiano* sollicite une autorisation de séjour en vertu de son droit de demeurer. Après un premier refus du Service de la population (SPOP), cassé par un arrêt du Tribunal cantonal, le SPOP transmet, en janvier 2020, le dossier au SEM pour approbation. Mais ce dernier refuse, considérant que Fabiano* n’a pas acquis de droit de demeurer, notamment parce qu’il est encore en capacité partielle de travail. Saisi par recours de Fabiano*, le TAF rejette la décision du SEM en juin 2024. Le TAF décrète qu’il ne peut pas être attendu que Fabiano* débute une activité professionnelle alternative au vu de son âge et de son niveau de formation, et reconnait son incapacité de travail permanente. Le TAF confirme que ce dernier peut donc se prévaloir d’un droit de demeurer et ordonne l’octroi d’une autorisation de séjour en sa faveur.
Cas individuel — 11/02/2025

Mineure, elle obtient une transformation de permis F en B pour respect de la vie privée

Dara* est au bénéfice d’une admission provisoire depuis près de 7 ans lorsqu’elle dépose une demande d’autorisation de séjour, rejetée par le canton. Dara* interjette alors un recours auprès de la Cour administrative cantonale, puis du Tribunal fédéral (TF). Bien que mineure, le TF lui reconnait la possibilité de faire une telle démarche sans passer par ses représentant·es légaux·ales. Le TF admet ensuite le recours et renvoie la cause au SPoMI pour délivrance d’une autorisation de séjour (permis B).
Cas individuel — 01/01/2024

Harcelée en Croatie, une famille est menacée d’y être renvoyée

En 2019, Romina* et Khaleel* quittent l’Afghanistan avec leur fille (Emna*), encore mineure et leurs trois fils majeurs. Ils demandent l’asile en Suisse en octobre 2020, après être passé∙es par la Croatie. La famille raconte avoir tenté de passer la frontière entre la Bosnie et la Croatie à plus de 15 reprises, avoir été arrêté∙es par les autorités croates puis maltraité·es, volé·es, déshabillé·es et frappé·es. En février 2020, le SEM rend une décision NEM Dublin. Le mandataire d’Ehsan* et Noura* dépose un recours au TAF contre la décision du SEM. En avril 2021, le SEM annule sa décision de NEM Dublin pour le second fils et sa famille, qui reçoivent une admission provisoire. En juillet 2021, le TAF prononce les arrêts qui rejettent respectivement les recours de Moussa*, de Ehsan* et Noura* et de Romina* et Khaleel*.