Refus de reconnaissance d’une minorité et renvoi Dublin: le TAF dénonce la pratique des autorités suisses

Kamal*, né en 2007 en Afghanistan, arrive en tant que mineur non accompagné en Suisse, où sa sœur aînée est réfugiée. Il dépose une demande d’asile en septembre 2023, mais le SEM réfute sa date de naissance, le considère comme majeur et prononce à son encontre un renvoi Dublin vers la Croatie. Appuyé par une mandataire, Kamal* dépose un recours auprès du TAF contre cette décision. Il fait notamment valoir que le SEM aurait violé son droit d’être entendu en n’examinant pas l’authenticité de sa tazkira, sa carte d’identité afghane, et qu’il n’aurait pas effectué de recherche pour savoir comment les autorités croates et bulgares ont fixé son âge ni tenu compte de ses déclarations. Dans son arrêt, le TAF reconnait que le SEM aurait dû entreprendre davantage d’investigations et aurait dû pratiquer une expertise médico-légale. Le TAF admet donc le recours et renvoie l’affaire au SEM pour une nouvelle décision.

Personne concernée (*Prénom fictif): Kamal*

Origine: Afghanistan

Statut: permis N

Chronologie 

2023 : demande d’asile (sept.), décision de changement de date de naissance par le SEM (nov.), décision de non entrée en matière Dublin (déc.)

2024 : recours au TAF, admission du recours (juin)

Questions soulevées

  • Comment est-ce possible que, dans le doute d’une minorité, la Suisse ne mette pas tout en œuvre pour garantir ses droits à un enfant – à commencer par lui permettre de vivre auprès de d’une proche parente –, conformément à ce qu’exige la Convention internationale des droits de l’enfant?
  • Pourquoi le TAF doit-il une nouvelle fois rappeler au SEM la nécessité d’investigations complémentaires face à de possibles éléments de preuves démontrant une minorité, alors qu’il a déjà demandé, dans des affaires précédentes, aux autorités de «procéder à une appréciation globale de tous les éléments plaidant en faveur ou en défaveur de la minorité alléguée, étant précisé que celle-ci doit être admise si elle apparait comme vraisemblable» (arrêt E-7333/2018, consid. 2.3)?  
  • Pourquoi est-ce que les autorités suisses s’évertuent à décréter la majorité d’une personne objectivement jeune – sachant que cela entrainera pour elle une perte de droits considérable, notamment la séparation avec sa famille – alors qu’elle reconnait pour les jeunes suisses du même âge un droit à être pris en charge et bénéficier de soutiens spécifiques parfois jusqu’à 25 ans (ex: art. 277 CC)? Pourquoi est-ce que les enfants migrant·es n’ont pas le droit au même soutien à l’occasion du passage à l’âge adulte?

Description du cas

Kamal*, né en 2007 en Afghanistan, arrive en tant que mineur non accompagné en Suisse, où sa sœur aînée est réfugiée. Il dépose une demande d’asile en septembre 2023, et le SEM constate qu’il a été enregistré dans la base de données européenne Eurodac en juillet en Bulgarie, puis en août en Croatie. Lors de son audition, Kamal* indique qu’il n’a jamais souhaité demander l’asile dans ces deux pays, mais qu’il y a été contraint par les forces de l’ordre. Il présente également un duplicata de son document de naissance (tazkira), sur lequel il est indiqué qu’il est né en 2007. Il précise ne pas savoir si les autorités bulgares l’avaient tenu pour majeur ou non, étant resté très peu de temps sur le territoire.

En octobre 2023, le SEM informe Kamal* qu’il ne tient pas pour vraisemblables ses propos relatifs à sa minorité et que la tazkira déposée parait falsifiée. Le SEM relève également que, lors de son audition d’asile en 2019, la sœur de Kamal* avait indiqué que l’aîné de ses frères était âgé d’environ 14 ans, tout en précisant qu’il s’agissait d’une approximation. Le SEM estime que ce doit être Kamal* et conclut donc au fait que Kamal* serai né en 2005.

Kamal* réclame alors une expertise médico-légale pour déterminer son âge,  ce que le SEM ne fait pas. À la place, le SEM dépose une requête de reprise en charge auprès des autorités bulgares, sur la base du règlement Dublin III. En novembre 2023, les autorités bulgares rejettent cette demande, au motif que la Croatie serait compétente. Le SEM s’adresse alors aux autorités croates, qui acceptent la demande.

Fin novembre, le SEM requiert le changement de date de naissance de Kamal* pour 2005, avec mention de son caractère litigieux, et sollicite la suppression du code «mineur non accompagné». En décembre 2023, le SEM déclare ne pas entrer en matière sur sa demande d’asile, au motif que la Croatie serait l’État responsable de sa prise en charge (art.31a LAsi ; règlement Dublin III).

Appuyé par une mandataire, Kamal* dépose un recours auprès du TAF contre cette décision, demandant son annulation et la rectification de sa date de naissance pour 2007. Il fait notamment valoir que le SEM aurait violé son droit d’être entendu, car il n’aurait pas examiné l’authenticité de sa tazkira, qu’il n’aurait pas effectué de recherche pour savoir comment les autorités croates et bulgares ont fixé son âge, et n’aurait tenu compte de ses déclarations. Il reproche donc au SEM de ne pas avoir procédé à une appréciation globale de la situation, en accordant une valeur trop importante aux éléments plaidant en défaveur de sa minorité. Dans un arrêt rendu en juin 2024, le TAF reconnait que la copie de la tazkira de Kamal* n’est guère apte à prouver ou rendre vraisemblable sa date de naissance alléguée et qu’elle a une valeur probatoire très réduite. Néanmoins, le TAF estime que le SEM aurait dû donner la possibilité à Kamal* de se déterminer sur les autres arguments avancés avant de rendre sa décision. Le seul fait que les autorités croates et bulgares aient considéré Kamal* comme majeur n’apparaît pas comme décisif, d’autant qu’aucune information sur la manière dont ces autorités ont déterminé son âge n’a été fournie. Enfin, le TAF reproche au SEM de ne pas avoir entrepris d’investigations complémentaires au sujet de la famille de Kamal*, et de ne pas avoir ordonné d’expertise médico-légale. Le TAF admet donc le recours et renvoie l’affaire au SEM pour nouvelle décision.

Signalé par: Caritas suisse

Source: Arrêt du TAF E-6978/2023 ; E-6996/2023 du 27 juin 2024

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