Pour avoir déposé plainte pour vol, elle perd son logement, son travail et risque le renvoi
Kelia*, originaire de Colombie, vit à Genève depuis février 2017. Elle travaille en tant qu’employée dans l’économie domestique mais ne possède pas de titre de séjour. En mai 2023, elle est victime d’un vol à la tire. Un policier, témoin du vol, arrête le voleur et demande à Kelia* de le suivre au poste pour déposer plainte. La police se rend alors compte de sa situation juridique. Son employeuse est convoquée et amendée, malgré le fait qu’elle avait déclaré l’engagement de Kelia* auprès du Service de la population et cotisé pour ses assurances sociales. Elle est contrainte mettre fin au contrat de travail de Keila*. La personne qui lui loue son appartement lui demande de quitter les lieux. Keila* écope en outre d’une peine de 30 jours amende en plus du paiement des frais de procédure, pour infraction à l’art. 30 LEI (séjour illégal). Enfin, l’Office cantonal de la population lui adresse une décision d’expulsion avec un départ fixé à la fin novembre 2024.
Personne concernée (*Prénom fictif): Kelia*
Origine: Colombie
Statut: en attente d’une régularisation par mariage
Entretien avec l’ODAE romand: 13.02.2025
Chronologie
2017: arrivée en Suisse
2023: dénonciation pour séjour illégal par la police (mai)
2024: décision de renvoi de l’OCPM (mai)
Question soulevée
- Le fait de condamner une victime d’infraction en raison de son manque de statut de séjour ne revient-il pas à priver une partie de la population de leur droit d’accès à la justice? Le fait d’être condamnée pour séjour illégal, amendée, puis perdre ensuite emploi et logement ne représente-t-il pas là une double voire une triple peine?
- Comment expliquer que des employeur·euses puissent annoncer aux assurances sociales l’engagement d’une personne sans statut et payer des cotisations sociales, puis être condamné·es pour l’avoir fait? N’est-ce pas là une violation du principe de la bonne foi?
- De même, n’est-t-il pas contraire à la bonne foi d’accepter que des personnes sans statut de séjour travaillent au «gris» puis, lorsque leur situation devient visible, les condamner et ordonner leur renvoi? Cela ne revient-il pas purement et simplement à profiter d’une main d’œuvre nécessaire au fonctionnement de l’économie mais sans lui reconnaitre aucun droit?
Description du cas
Kelia*, originaire de Colombie, arrive à Genève en février 2017. Elle trouve du travail en tant qu’employée dans l’économie domestique (garde d’enfants) mais ne possède pas de statut de séjour. En 2022, elle donne naissance à son fils et sa mère emménage avec eux pour l’aider à s’en occuper.
En mai 2023, alors que Kelia se trouve à la gare de Genève avec l’enfant dont elle s’occupe, elle est victime d’un vol à la tire. Un policier des douanes en civil, témoin du vol, arrête le voleur et demande à Kelia* de le suivre au poste pour déposer plainte. Kelia*, consciente de ne pas devoir dévoiler sa situation de personne sans statut de séjour, essaie de refuser mais n’y parvient pas. Au poste, la police se rend compte de sa situation juridique et la garde pour l’interroger. La maman de l’enfant dont Kelia* a la garde est appelée pour venir le récupérer au commissariat, et est sommée de donner son identité. Kelia* doit également fournir l’adresse de l’appartement où elle vit, en sous-location.
La police pose de nombreuses questions à Kelia* sur son parcours migratoire et la manière dont elle vit à Genève, ses sources de revenu, etc. Kelia* y répond et tente d’expliquer qu’elle vit en Suisse depuis 6 ans et qu’elle espère, dans 4 ans, pouvoir demander une régularisation de son séjour. Néanmoins, la police lui indique qu’elle est en infraction avec l’art. 30 LEI pour séjour illégal sur le territoire. L’employeuse de Kelia* reçoit également une amende, bien qu’elle ait déclaré l’engagement de Kelia* auprès du Service de la population et cotise pour ses assurances sociales (travail au gris). Elle se voit contrainte de résilier son contrat de travail. Enfin, la personne qui sous-loue l’appartement à Kelia* lui demande de quitter les lieux avec sa mère et son fils.
Pour avoir été victime d’un vol à la tire, Kelia* perd donc son emploi et son appartement. Par ailleurs, la police lui indique que l’Office cantonal de la population (OCPM) la convoquera prochainement à cause de sa situation irrégulière. Sans revenu et dans l’urgence de devoir retrouver un toit, Kelia* doit également vivre dans l’angoisse d’une prochaine expulsion.
Lorsqu’elle reçoit sa convocation à l’OCPM, Kelia* se rend auprès du service juridique du Centre Social Protestant et demande un soutien. En février 2024, elle rencontre l’OCPM, qui lui demande de régulariser sa situation. Mais, si Kelia* peut démontrer avoir un revenu suffisant pour ne pas dépendre de l’aide sociale et n’avoir commis aucun délit, elle ne remplit pas la condition des 10 ans de séjour pour pouvoir effectuer une telle demande. Elle écope d’une peine de 30 jours amende en plus du paiement des frais de procédure, pour séjour illégal.
Finalement, en mai 2024, l’OCPM lui adresse une décision d’expulsion avec un départ fixé à la fin novembre 2024. En automne 2024, Kelia* entame des démarches pour un mariage avec son compagnon, titulaire d’un permis B.
Signalé par: CCSI Genève
Source: Entretien avec Kelia*