Plus de quatre années de vie familiale perdues en raison de blocages par l’ambassade suisse au Soudan
Alors que leur regroupement familial avait été accepté par les autorités suisses, il faudra près de cinq ans pour que Samia* et son enfant puisse rejoindre Michele*, leur époux et père, en Suisse. Une procédure bloquée par l’exigence de l’ambassade que la famille présente des passeports érythréens, bien que cela soit contraire à la Convention relative au statut des réfugiés, Michele* étant réfugié statutaire.
Personne·s concernée·s (*Prénoms fictifs): Samia*, Michele*, Aaron*
Origine: Erythrée
Statut: Permis B réfugié par regroupement familial
En septembre 2018, Michele*, réfugié érythréen, dépose une demande de regroupement familial en faveur de son épouse Samia*. Les autorités de son canton de domicile lui répondent que celle-ci doit déposer une demande d’entrée formelle auprès de la représentation suisse de Khartoum, au Soudan. Samia* essaye à de multiples reprises de se rendre à l’ambassade en question mais la représentation refuse de la recevoir au motif qu’elle ne possède pas de passeport érythréen. Ce n’est que le 22 février 2022, soit plus de trois ans après, qu’elle est autorisée à entrer dans l’ambassade pour y déposer sa demande d’entrée en Suisse.
En février 2022, le SEM approuve la demande de regroupement familial. Cependant, la mandataire de Michele* n’en est pas avertie à temps, le canton lui ayant transmis la décision par courrier postal trois semaines plus tard. Samia* a alors dépassé le nombre de semaines de grossesse maximal après lequel les femmes enceintes n’ont plus le droit de prendre l’avion.
En mars 2022, Samia* accouche du petit Aaron. La mandataire en informe les autorités concernées et demande à ce qu’un laissez-passer soit également délivré à l’enfant. Le canton demande que Samia* apporte l’acte de naissance de l’enfant à l’ambassade à Khartoum.
Le 5 juillet, les autorités cantonales acceptent la demande de permis de séjour en faveur de Samia et de Aaron, sous réserve de l’approbation fédérale.
En octobre, l’ambassade exige que Samia* se rende à la représentation d’Erythrée afin d’obtenir un passeport pour elle et son fils. La mandataire de Michele* rétorque qu’il est illégal d’exiger que la famille d’une personne reconnue réfugiée s’adresse aux autorités de leur pays d’origine. Elle demande à l’ambassade d’intervenir pour qu’Aaron* obtienne un document de voyage (CTD).
Le 22 décembre 2022, le SEM informe la mandataire juridique avoir accepté la demande d’entrée en Suisse de Samia* et Aaron*.
Le 18 janvier, celle-ci est informée par le HCR que les autorités soudanaises ne délivrent plus, pour le moment, de CTD. L’ambassade finit par accepter de délivrer un laissez-passer à Aaron*. La famille arrive en Suisse en avril 2023, soit quatre ans et demi après que Michele* a déposé la demande de regroupement familial.
Questions soulevées
- Comment se fait-il, qu’une procédure de regroupement familial qui remplit toutes les conditions posées par le cadre légal a pu durer plus de quatre ans ?
- Comment se fait-il qu’il ait fallu plus de trois ans à Samia pour réussir à accéder à l’ambassade de Suisse à Khartoum afin d’enregistrer sa demande d’entrée en Suisse ? Par quels motifs l’ambassade justifie-t-elle son refus de recevoir les personnes qui souhaitent un rendez-vous ?
- Comment se fait-il que l’ambassade puisse exiger des membres de la famille d’une personne reconnue réfugiée de contacter les autorités de leur pays d’origine ?
Chronologie
2018: dépôt de la demande de regroupement familial (septembre).
2022: Samia* parvient à déposer la demande d’entrée à l’ambassade (février). Approbation du regroupement familial par le SEM (février). Naissance d’Aaron (mars). Dépôt de l’acte de naissance de l’enfant auprès de l’ambassade (août). Autorisation par le SEM de l’entrée en Suisse de Samia* et Aaron* (décembre).
2023: Délivrance d’un laissez-passer pour l’enfant et arrivée de la famille en Suisse (avril).
Description du cas
Le 20 septembre 2018, Michele*, réfugié érythréen domicilié en Suisse, dépose une demande de regroupement familial auprès des autorités de son canton de domicile en faveur de son épouse Samia*. Au mois de janvier 2019, le canton demande que celle-ci dépose une demande d’entrée formelle auprès de la représentation suisse à Khartoum, au Soudan.
Samia* quitte l’Erythrée et se rend au Soudan. Elle essaye à de multiples reprises de se rendre à l’ambassade de Suisse mais sans succès, la représentation refuse de la recevoir. Elle justifie son refus par le fait que Samia* ne possède pas de passerpot erythréen, alors même qu’en vertu du statut de réfugié de son mari, elle ne peut s’adresser à l’ambassade de son pays pour en obtenir un. La mandataire juridique de Michele* contacte alors l’ambassade, les autorités cantonales, le SEM et le DFAE pour tenter de débloquer la situation. Elle informe également les différentes autorités de la grossesse de Samia*, dont le terme est prévu en mars 2022, soulignant ainsi le caractère urgent de la situation. Malgré ses interventions répétées, ce n’est qu’en février 2022, soit trois ans plus tard, que Samia* est autorisée à entrer à l’ambassade suisse à Khartoum pour y enregistrer sa demande d’entrée en Suisse.
Deux jours après, le SEM approuve la demande de regroupement familial. Cependant, la mandataire de Michele* n’est pas avertie à temps de l’autorisation d’entrée délivrée en faveur de Samia*: le canton lui transmet la décision trois semaines plus tard, et Samia* a alors dépassé le nombre de semaines de grossesses maximal après lequel les femmes enceintes n’ont plus le droit de prendre l’avion.
Samia* accouche donc seule à Khartoum, en mars 2022, du petit Aaron. La mandataire de Michele* en informe les autorités et l’ambassade, et demande à ce qu’un laissez-passer soit également délivré à l’enfant.
Le canton demande que Samia* apporte l’acte de naissance de l’enfant à l’ambassade à Khartoum. Mais celle-ci se voit à nouveau refuser l’accès à la représentation à chacune de ses tentatives. Elle parvient finalement à y déposer le document le 15 mai 2022.
En juin, le canton informe la mandataire que l’ambassade a déclaré l’acte de naissance non conforme, du fait que Samia* était inscrite par erreur au sein des registres de l’état civil comme soudanaise et non pas érythréenne. Samia* procède alors à la rectification de sa nationalité auprès de l’état civil.
Le 5 juillet 2022, les autorités cantonales informent la mandataire de Michele* que la demande de permis de séjour en faveur de Samia* et Aaron* est acceptée, sous réserve de l’approbation fédérale.
Le 17 août 2022, le SEM demande qu’un nouvel acte de naissance soit déposé auprès de l’ambassade, ce que Samia* fait le 30 août. Il précise que si l’enfant ne peut pas se faire établir un passeport érythréen, la représentation suisse devra elle-même entreprendre les démarches nécessaires auprès des autorités soudanaises compétentes pour qu’il reçoive un document de voyage (CTD).
Mais, à la fin octobre, l’ambassade suisse demande à Samia* de se rende à l’ambassade d’Erythrée afin d’obtenir un passeport pour elle et son fils. La mandataire de Michele* rétorque alors qu’il est illégal d’exiger que la famille d’une personne déjà reconnue réfugiée s’adresse aux autorités de leur pays d’origine. Elle demande à l’ambassade d’entreprendre les démarches nécessaires pour qu’Aaron* obtienne un CTD.
En parallèle, la mandataire de Michele* écrit également au DFAE et au SEM pour demander que lesdites démarches en vue de l’établissement d’un CTD soient entreprises et que si celles-ci n’étaient pas possibles, un laissez-passer soit délivré en faveur d’Aaron.
En décembre 2022, le SEM informe la mandataire juridique avoir accepté la demande d’entrée en Suisse de Samia* et Aaron*. Il précise que la suite des démarches, à savoir l’octroi des visas, est du ressort de la représentation à Khartoum. Sans nouvelles, la mandataire relance cette dernière en janvier 2023, pour réitérer que les démarches en question soient entreprises.
Le 18 janvier, la représentation suisse répond avoir demandé un document de voyage auprès des autorités soudanaises compétentes. Or, le même jour, la mandataire est informée par le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR) que les autorités soudanaises ne délivrent plus, pour le moment, de CTD. La mandataire transmet la réponse du HCR à l’ambassade, au DFAE et au SEM en demandant à ce qu’un laissez-passer soit délivré à l’enfant.
Mais, l’ambassade refuse de modifier sa demande de document de voyage. Le 21 février, le HCR transmet une attestation officielle indiquant que les autorités soudanaises ne délivrent actuellement pas de CTD. La mandataire fait suivre ce document au DFAE, au SEM et aux autorités cantonales en demandant à nouveau qu’un laissez-passer soit octroyé à l’enfant. Après plusieurs nouvelles relances de la mandataire, l’ambassade suisse à Khartoum accepte finalement de délivrer un laissez-passer à Aaron*. La famille arrive en Suisse en avril 2023, soit quatre ans et demi après que Michele* a déposé la demande de regroupement familial.
Signalé par: elisa-asile, Genève
Sources: entretien avec la mandataire juridique