Le TF ordonne la reconnaissance du statut d’apatride pour un ressortissant kurde

Kurde de Syrie vivant en Suisse au bénéfice d’une admission provisoire (permis F), Aryian* dépose une demande de reconnaissance d’apatridie en 2015. Le SEM puis le TAF refusent sa demande, au motif qu’Aryian*, qui appartient à la catégorie des Kurdes dits ajnabi, aurait soit reçu la nationalité syrienne en 2012, soit n’aurait pas fourni les efforts nécessaires pour l’obtenir. Saisi par Aryian*, le Tribunal fédéral (TF) casse la décision du SEM. Dans son arrêt rendu en avril 2021, il réfute l’absence de «raisons valables» au départ d’Aryian* de la Syrie ainsi que l’affirmation selon laquelle le recourant n’aurait pas fourni les efforts nécessaires pour acquérir la nationalité syrienne. Il considère en outre qu’on ne peut exiger d’Aryian* qu’il attende de pouvoir retourner en Syrie pour obtenir la citoyenneté. Le TF admet donc le recours et ordonne au SEM de reconnaitre Aryian* comme apatride.

Personne concernée (*Prénom fictif): Aryian*

Origine: Kurdistan, Syrie

Statut: Apatride

Chronologie

2012 : demande d’asile (mai)

2015 : obtention d’une admission provisoire (avril), demande d’apatridie (juil.)

2017 : rejet de la demande d’apatridie (mars)

2018 : demande de réexamen de l’apatridie (avril) ; réexamen classé (mai) ; recours au TAF (juin)

2020 : rejet du recours par le TAF et dépôt d’un recours au TF (mars)

2021 : acceptation du recours par le TF (avril)

Questions soulevées

  • Comment le SEM peut-il estimer que les conditions de sécurité et le conflit dans le pays d’origine ne constituent pas des raisons valables pour quitter son pays avant de connaitre l’issue de sa procédure de naturalisation dont les délais de traitement sont incertains?
  • Comment le SEM peut-il exiger qu’une personne se rende dans son pays pour effectuer les démarches nécessaires en vue de sa naturalisation, dans la mesure où elle a été admise provisoirement en Suisse en raison des conditions de sécurité prévalant dans son pays d’origine?
  • Quand doit être évaluée la détermination de l’éligibilité de la Convention?

Description du cas

Aryian*, né en 1987, est kurde originaire de Syrie. Après avoir été enfermé et torturé par le gouvernement à cause de sa participation à des manifestations contre le régime, il fuit et demande l’asile en Suisse en 2012. Lors de ses auditions, il déclare faire partie de la catégorie des Kurdes dite «ajnabi» et avoir déposé une demande de nationalité syrienne en 2011. Toutefois, il a dû quitter le pays avant la fin de sa procédure. En avril 2015, le SEM lui refuse la qualité de réfugié et rejette sa demande d’asile, estimant qu’Aryian* n’aurait pas subi de persécution spécifique majeure. Il lui octroie toutefois une admission provisoire (permis F) au motif de l’inexigibilité de son renvoi.

En juillet 2015, Aryian* dépose une demande de reconnaissance d’apatridie. En mars 2017, le SEM rejette sa demande. L’autorité considère que soit Aryian* a reçu la nationalité syrienne en 2012, soit il n’a pas fourni les efforts nécessaires pour l’obtenir. En avril 2018, Aryian* sollicite le réexamen de sa demande d’apatridie, exposant que sa famille – qui a déposé une demande de citoyenneté en même temps que lui – a reçu la nationalité en octobre 2013 (soit bien après son propre départ de Syrie) et qu’il ne peut lui être reproché de ne pas avoir attendu l’issue de la procédure de naturalisation en raison du contexte de guerre et de répression dans le pays. L’admission provisoire émise par les autorités suisses à son encontre témoigne d’ailleurs de la reconnaissance de la mise en danger concrète de sa personne en cas de retour.

En mai 2018, le réexamen est classé sans suite par le SEM. En mars 2020, le TAF rejette le recours d’Aryian* contre cette décision de classement (F-3481/2018). L’argumentation du TAF repose sur le fait que, appartenant à la catégorie ajnabi, Aryian* a depuis 2011 la possibilité de recouvrer la citoyenneté auprès du gouvernement syrien (le décret n°49 promulgué en 2011 par les autorités permet effectivement aux ressortissant·es ajanibⁱ d’obtenir la citoyenneté sur demande, ce qui n’est pas le cas des Kurdes affilié·es à un autre statut administratif en Syrie). Ainsi, tout en reconnaissant qu’actuellement le recourant ne possède pas de nationalité ni ne peut se rendre en Syrie pour en acquérir une, le TAF estime qu’Aryian* aurait pu attendre la fin de sa procédure de naturalisation avant de quitter la Syrie. Un raisonnement qui s’appuie également sur le fait que le SEM a refusé le statut de réfugié à Aryian*.

Aryian* dépose alors un recours auprès du Tribunal fédéral (TF). Dans un arrêt rendu en avril 2021 (2C_415/2020), le TF estime que les conditions de sécurité et le conflit qui faisait rage en 2012, constituent des raisons valables pour abandonner la procédure de naturalisation. Les raisons ne sont pas limitées aux motifs personnels c’est-à-dire à la reconnaissance du statut de réfugié. Il considère en outre qu’on ne peut exiger qu’il se rende en Syrie pour effectuer les démarches nécessaires en vue de sa naturalisation étant donné qu’il a été admis provisoirement en Suisse du fait des conditions de sécurité prévalant dans son pays. On ne peut par ailleurs, lui demander d’attendre de pouvoir retourner en Syrie pour obtenir la nationalité. Par conséquent, l’intéressé se trouvant actuellement dans l’impossibilité d’obtenir la nationalité syrienne, il doit être reconnu comme apatride.

ⁱPluriel d’ajnabi

Signalé par: CSP Genève

Sources: ATAF F-3481/2018; TF 2C_415/2020

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