Le TAF réfute la validité du test osseux pour déterminer la majorité d’un mineur non accompagné
Michael* dépose une demande d’asile en Suisse en 2016. Il annonce être mineur, mais ne possède ni carte d’identité ni passeport. Remettant en doute sa minorité, le SEM ordonne une analyse osseuse, suite à laquelle il est considéré majeur. Le SEM demande alors à l’Italie sa reprise en charge au nom des accords Dublin III. Mais l’Italie refuse, car elle considère précisément que Michael* est mineur. Le SEM entre alors en matière sur sa demande d’asile, mais le traite comme un adulte, sans adopter les mesures nécessaires à l’audition d’un enfant. En novembre 2018, il rejette sa demande d’asile et ordonne son renvoi. Saisi par un recours de Michael*, le TAF rappelle que pour les personnes âgées de 16 ans ou plus, un test osseux ne forme qu’un faible indice qui ne permet pas de réfuter la minorité, et que le SEM est tenu de procéder à une appréciation globale de tous les éléments à disposition. Le TAF reconnaît ainsi que l’appréciation du SEM de l’âge de Michael* est arbitraire, il annule la décision et lui renvoie la cause pour une nouvelle décision.
Personne concernée (*Prénom fictif): Michael*
Origine: Erythrée
Statut: inconnu
Chronologie
2016: demande d’asile (juin), analyse osseuse (juillet), demande de réadmission à l’unité Dublin italienne (août) ; refus de prise en charge par l’Italie et entrée en matière par la Suisse sur la demande d’asile (octobre)
2017: audition sur les motifs d’asile (juin)
2018: décision négative du SEM (novembre) et recours au TAF (décembre)
2019: arrêt du TAF (mars)
Questions soulevées
- Comment se fait-il que le SEM puisse décréter la majorité d’une personne alors que celle-ci est reconnue comme mineure par un autre État européen ?
- Comment se fait-il que les autorités continuent à effectuer des tests osseux pour déterminer l’âge des personnes potentiellement mineures alors que la force probante de ces tests est mise en doute par le Tribunal administratif fédéral lui-même?
- En cas de doute sur la majorité d’une personne, l’autorité ne doit-elle pas respecter la Convention internationale des Droits de l’Enfant en la considérant systématiquement comme mineure afin de tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant ?
Description du cas
Michael, originaire d’Érythrée, dépose une demande d’asile en Suisse en juin 2016, après avoir été arrêté à la gare de Chiasso par les gardes-frontières. Il annonce être mineur non accompagné. Le registre Eurodac révèle qu’il avait été interpellé un mois plus tôt en Italie.
Remettant en doute la minorité alléguée par Michael, le SEM ordonne, en juillet 2016, une analyse osseuse. Le médecin qui la réalise produit un certificat médical qui détermine l’âge de Michael à 18 ans. Michael est entendu sommairement par le SEM sur ce résultat. Il indique n’avoir jamais possédé ni carte d’identité ni passeport, mais qu’il fournit la copie de son certificat de baptême. Il précise avoir donné les mêmes informations aux autorités italiennes, lesquelles l’ont alors placé dans un camp pour personnes mineures.
Le SEM annonce son intention de fixer le 1er janvier 1998 comme date de naissance de Michael, ce qui fait correspondre l’année en cours à celle de ses 18 ans. Le SEM justifie cette décision par le fait que la minorité de Michael serait invraisemblable, en raison de l’absence de justification convaincante concernant son impossibilité à produire un document d’identité, de son apparence physique et du résultat du test osseux. En août 2016, le SEM transmet donc une demande de prise en charge de Michael à l’unité Dublin d’Italie. En octobre 2016, l‘Italie refuse la demande au motif que Michael est mineur et qu’il n’avait jamais demandé de protection en Italie. Le SEM admet donc la compétence de la Suisse pour traiter la demande d’asile de Michael. Celui-ci est auditionné sur ses motifs d’asile en juin 2017. Lors de l’audition, Michael se plaint de ne pas bénéficier des droits dévolus aux mineurs. L’auditeur lui répond alors que d’après l’analyse osseuse effectuée, il est majeur, et que la copie de son certificat de baptême n’a pas de force probante pour rectifier sa date de naissance.
En novembre 2018, le SEM rejette sa demande d’asile, au motif de l’invraisemblance de ses allégations, et prononce son renvoi de Suisse. Le 21 décembre 2018, Michael dépose un recours contre cette décision.
Dans son arrêt du 4 mars 2019, le TAF rappelle que, face à un·e mineur·e non accompagné·e, les autorités doivent adopter des mesures adéquates, notamment désigner une personne de confiance pour l’accompagner dans son audition sur les motifs d’asile. Il souligne qu’en l’absence de pièce d’identité, le SEM est tenu du procéder à une appréciation globale de tous les éléments allégués, et qu’il suffit que la minorité soit vraisemblable pour être admise. Rappelant l’influence des facteurs socio-économiques sur la maturation osseuse, le TAF souligne qu’un test osseux n’a pas de force probante concernant les jeunes dès 16 ans : « [l’analyse osseuse] ne permet pas de prouver, sur le plan scientifique, si une personne a atteint la majorité civile (âge chronologique charnière de 18 ans), en raison de la variabilité individuelle (plus ou moins deux ans) au-delà de 16 ans »(consid.2.3).
Le TAF rappelle que l’ancienne Commission de recours en matière d’asile (CRA) avait jugé qu’un tel examen pouvait suffire à remettre en doute les déclarations de la personne uniquement si l’âge estimé différait de puis de trois ans de l’âge déclaré. Et même dans ce cas, cela permettrait tout au plus d’établir que les données annoncées par la personne sont fausses, mais non de prouver sa majorité ou minorité. Pour une personne de 16 ans ou plus, le TAF estime qu’un examen osseux ne forme qu’un faible indice, de sorte que le SEM n’est pas fondé à conclure la majorité de la personne concernée sur cette seule base, sans procéder à une appréciation globale des preuves.
Dans le cas de Michael, le TAF juge que le SEM ne pouvait se baser uniquement sur son résultat et aurait dû procéder à une pondération de tous les éléments, compte tenu du fait qu’il avait déjà atteint les 16 ans au moment du test osseux. L’appréciation du SEM basée uniquement sur cet examen et sur l’apparence physique de Michael est dès lors jugée arbitraire par le TAF, qui conclut à l’annulation de la décision négative du SEM pour violation du droit fédéral.
Le TAF renvoie la cause au SEM pour que soit celui-ci rende une nouvelle décision dûment motivée s’il maintient que la minorité de Michael n’était pas vraisemblable au moment de sa première audition. Dans le cas contraire, le SEM doit procéder à une nouvelle audition, la première étant viciée, puisque non conforme aux standards procéduraux pour les personnes mineures.
Signalé par: Caritas Suisse
Source: Arrêt du TAF E-7333/2018