Le renvoi est maintenu même s’il implique l’éclatement de la famille
Après 11 ans de séjour, «Rowena», travailleuse sans statut légal originaire des Philippines, se voit refuser un permis humanitaire. Malgré la naissance d’un enfant avec un ressortissant africain débouté de l’asile, les autorités persistent à la menacer d’un renvoi, au risque de faire éclater la famille qui s’est formée en Suisse.
Personne(s) concernée(s) : « Rowena », jeune femme née en 1978 ; son compagnon ; leur fille
Statut : sans-papiers -> permis B humanitaire refusé
Résumé du cas
«Rowena» vit en Suisse sans papiers. Elle y construit peu à peu sa vie. Après 10 ans, elle fonde une famille en s’unissant à un ressortissant africain débouté de l’asile. Leur union est bénie par le pasteur de leur communauté religieuse. Un enfant nait l’année suivante. Malheureusement, une demande de permis humanitaire est rejetée peu avant cette naissance par le TAF. Malgré la nouvelle situation de « Rowena », l’OCP refuse de remettre en question le renvoi qui découle de l’arrêt du TAF. Pourtant un renvoi impliquerait fatalement l’éclatement de la famille, puisque, pour des raisons culturelles, une vie commune n’est possible ni aux Philippines, ni au Kenya.
Arrivée en Suisse à l’âge de 20 ans, « Rowena » a travaillé en tant qu’employée de maison et créé des liens forts avec la famille qui l’emploie. Indépendante financièrement, elle s’est intégrée aussi bien que possible, notamment en étant active au sein d’une paroisse. Sur cette base, l’OCP a donné en 2006 un avis favorable à la délivrance d’une autorisation de séjour, mais l’ODM s’y est opposé et a ordonné son renvoi. Suite au rejet d’un recours par le TAF, en octobre 2008, l’OCP lui a induit un délai de deux mois pour quitter la Suisse. L’Office cantonal considère que le renvoi doit être exécuté malgré la nouvelle situation familiale de « Rowena ». Un recours cantonal tente maintenant de corriger le cours des choses.
Questions soulevées
Comment peut-on ne pas admettre l’existence d’un cas de rigueur après 11 ans passés en Suisse, à travailler, à créer des liens avec un entourage, à fonder une famille ?
Est-il admissible de renvoyer la femme et l’enfant né d’une union interculturelle crée en Suisse loin d’un homme qui ne pourra incontestablement jamais les rejoindre ? L’enfant n’a-t-il pas le droit de vivre avec ses deux parents ?
Chronologie
1998 :arrivée en Suisse (16 juin) où elle séjourne sans autorisation
2005 : contrôle de police (24 sept.) ; demande de permis B humanitaire (13 oct.).
2006 : préavis favorable de l’OCP (27 mars) ; refus de l’ODM (29 mai) ; recours (29 juin)
2008 : rejet du TAF (27 oct.) ; bénédiction religieuse de son union avec un africain débouté de l’asile (9 nov.)
2009 : décision de renvoi de l’OCP ; avec délai de départ de 2 mois (9 mars) ; recours cantonal (7 avril), naissance de leur enfant (mai) ; proposition de rejet du recours par l’OCP (17 juin).
NB Une décision de la Commission cantonale de recours en matière administrative est en attente.
Description du cas
« Rowena », en situation irrégulière depuis 10 ans, s’est unie à un ressortissant africain débouté de l’asile qu’elle a rencontré à Genève. De cette union, bénie par le pasteur de leur communauté religieuse, nait un enfant en mai 2009, alors que « Rowena » vient de voir sa demande de permis humanitaire rejetée sur recours par le TAF. Sa nouvelle situation familiale pourrait conduire à reconsidérer son renvoi, mais à ce stade l’OCP s’y refuse, bien qu’il ait soutenu en 2006 l’octroi d’un permis humanitaire. « Rowena » risque ainsi le renvoi et le déchirement de cette famille qui, constituée à Genève, ne saurait exister ailleurs. En effet, la fracture culturelle empêche toute réinstallation dans chacun de leur pays d’origine (Philippines ou Kenya), et l’éloignement géographique des deux pays rendrait impossible toute vie de famille normale en cas de séparation.
« Rowena », arrivée en Suisse en 1998 alors qu’elle n’a que 20 ans, y a vécue toute sa vie d’adulte. En 2005, elle est interpellée par la police. Dans une demande d’autorisation de séjour, elle souligne qu’elle n’a jamais fait l’objet de condamnation pénale ni de plainte. Elle travaille en tant qu’employée de maison, a des qualités reconnues dans ce domaine et est indépendante financièrement. Elle a noué des forts liens avec la famille dans laquelle elle travaille et s’intègre peu à peu parfaitement à la vie genevoise. Les contacts téléphoniques qu’elle a avec ses parents et ses sœurs restés aux Philippines sont devenus de moins en moins fréquents avec le temps. Elle n’y est d’ailleurs pas retournée depuis son arrivée en Suisse. L’OCP, en 2006, donne un avis favorable à la délivrance d’une autorisation de séjour. Mais l’ODM s’y oppose aux motifs que le temps passé en Suisse et son intégration socioprofessionnelle ne sont pas déterminants, et qu’elle a des liens étroits avec son pays d’origine. Il ordonne son renvoi, indiquant que son retour n’est pas insurmontable.
« Rowena » forme alors un recours dans lequel elle insiste sur ses efforts d’intégration : elle prend des cours de français depuis 2 ans, est en train de passer son permis de conduire et est active au sein d’une paroisse. Le TAF rejette sa demande en octobre 2008. Il retient en l’occurrence que le fait qu’elle ait résidé et travaillé en Suisse depuis 1998 n’est pas déterminant, car son séjour n’était pas régulier. Il ajoute que, selon lui, son intégration n’a rien d’exceptionnelle bien qu’il reconnaisse les efforts qu’elle a fournis en ce sens. Pour le Tribunal, rien ne permet d’admettre que ses liens avec la Suisse sont si intenses qu’elle ne peut envisager de rentrer dans son pays d’origine. Etant partie pour la Suisse à l’âge de 20 ans, « Rowena » a, selon le TAF, passé la partie déterminante de sa vie aux Philippines.
L’OCP lui donne donc un délai de 2 mois pour quitter le territoire helvétique. Elle forme un recours contre cette décision, en expliquant que ses liens avec la Suisse sont encore plus forts aujourd’hui, car elle s’est unie avec son compagnon devant sa communauté religieuse au mois de novembre et attend un enfant. De ce fait, l’exécution du renvoi ne devrait plus être considérée comme raisonnablement exigible. Appelé à prendre position sur ce recours, l’OCP se refuse à changer de position, malgré le changement de situation familiale. Il estime notamment que « d’après nos recherches sur Internet, il apparaît que le statut de mère élevant seule son enfant est en nette évolution aux Philippines. À noter que l’intéressée n’a pas établi pour quelle raison le père de son enfant ne pourrait pas l’accompagner dans son pays d’origine ». Une décision sur ce recours doit désormais être prise par la Commission cantonale de recours en matière administrative.
Signalé par : Syndicat SIT (Genève), octobre 2009
Sources : Arrêt du TAF C-317/2006 (07.10.08), décision de renvoi de l’OCP (03.09), recours contre la décision de l’OCP (7.4.09), déterminations de l’OCP (15.06.09), observations du mandataire (27.11.2009)