L’ambassade de Suisse au Soudan entrave une vie de famille
L’ambassade de Suisse au Soudan refuse d’octroyer un visa à Faven* alors que le SEM avait autorisé le regroupement familial. Malgré un recours gagné auprès du TAF, l’ambassade continue d’entraver la vie de famille de Yonas*, Faven* et leur fille A.*
Personne·s concernée·s (*Prénoms fictifs) : Faven* et Yonas* et leur fille A.*
Origine : Erythréenne
Statut : Permis B, en attente du laissez-passer pour A*.
En 2014, Yonas*, originaire d’Erythrée, demande l’asile en Suisse. Il indique être marié avec Faven*, érythréenne résidant au Soudan. En 2016, le SEM reconnait la qualité de réfugié et accorde l’asile à Yonas*, qui dépose une demande de regroupement familial en juin 2018. En décembre 2018, le SEM autorise l’entrée en Suisse de Faven*.
En novembre 2019, l’ambassade suisse à Khartoum refuse de délivrer un visa à Faven* en raison d’un soupçon de mariage de complaisance, Faven* ayant 17 ans au moment de son mariage et l’acte n’ayant pas été enregistré dans un bureau d’enregistrement public en Erythrée. En janvier 2020, Faven* est auditionnée par des employé-es de l’ambassade. L’entretien se déroule en anglais, avec une interprète arabe alors que Faven* parle tigrinya. En mars 2020, Faven* a une seconde audition à l’ambassade, dans les mêmes conditions. La représentation suisse la confronte à des divergences qu’elle estime percevoir entre ses allégations et celles de Yonas*. Les procès-verbaux des auditions sont envoyés au SEM. En avril 2020, le SEM révoque l’autorisation d’entrée de Faven*.
Avec l’aide d’une mandataire, Faven* dépose un recours auprès du TAF. Elle dénonce notamment une violation de son droit d’être entendue en raison du refus de l’ambassade de l’auditionner en présence d’un·ex interprète tygrigna et les difficultés de compréhension en ayant résulté. Elle ajoute que son mariage avec Yonas* est attesté, que Yonas* a parlé d’elle dès ses premières auditions d’asile et que le versement mensuel d’argent de sa part démontre bien la réalité de leur couple. En septembre 2021, Yonas* informe le SEM de la naissance de sa fille, A.*.
En décembre 2021, le TAF admet le recours aux motifs que le SEM aurait pu dès le départ mener une instruction supplémentaire s’il avait eu des doutes au sujet du mariage et que Faven* étant âgée de plus de 16 ans au moment de celui-ci, cela ne heurte pas l’ordre juridique Suisse, d’autant qu’elle maintient, étant adulte, sa volonté de vouloir vivre en union conjugale avec Yonas*. Le TAF estime également, au regard des procès-verbaux, que les propos de Faven* et Yonas* convergent. Il ordonne l’octroi d’une autorisation d’entrée à Faven*. En février 2022, le SEM transmet à l’ambassade une autorisation d’entrée pour Faven* et sa fille A.*. L’ambassade informe alors de l’impossibilité de délivrer un document de voyage pour A.*, car elle considère que les parents seraient soudanais·e et non pas érythréen·e. L’ambassade exige donc qu’A.* dépose un passeport soudanais, alors que le certificat de mariage, les cartes d’identités de Faven* et Yonas* et le certificat de naissance de l’enfant attestent que la famille est d’origine érythréenne. En 2023, la famille est toujours en attente d’un laissez-passer pour A.*.
Questions soulevées
- Alors que le SEM a d’emblée reconnu la validité du mariage de Yonas* et Faven* et autorisé l’entrée de cette dernière en Suisse, comment se fait-il que l’ambassade suisse à Khartoum, au lieu de simplement vérifier l’identité de Faven* et la validité de son document de voyage comme cela se fait normalement, intervienne et refuse de délivrer un visa à Faven*?
- Comment est-il possible que les soupçons d’une ambassade puissent amener le SEM à faire marche arrière sur une décision, bloquant ainsi le droit au regroupement familial d’un ménage durant plusieurs années ?
- Comment est-il possible qu’une décision du TAF n’ait pas d’impact sur une représentation suisse, qui ne doit nullement s’expliquer sur les complications engendrées par son erreur et les années de vie familiale perdues ? Et que des mois plus tard, la situation ne soit toujours pas réglée, à la suite d’un nouveau blocage de cette ambassade ?
Chronologie
2016: Yonas* obtient l’asile en Suisse
2018: Demande de regroupement familial pour Faven* (juin), visa accordé par le SEM (déc.)
2019: Refus de délivrance du visa par l’ambassade (nov.)
2020: Auditions de Faven* par l’ambassade (jan., mars), révocation du visa par le SEM (avril), recours au TAF (août)
2021: Naissance de A.* (sept.), recours accepté par le TAF (déc.)2022: Visa accordé par le SEM (février), refus de l’ambassade de délivrer un laissez-passer à A.*
Description du cas
En 2014, Yonas*, originaire d’Erythrée, arrive en Suisse et demande l’asile. Lors de son audition, il explique être marié avec Faven*, érythréenne et résidant au Soudan. Il donne une copie de son certificat de mariage aux autorités, l’original étant en possession de son épouse. En 2016, le SEM reconnait la qualité de réfugié et accorde l’asile à Yonas*. Faven* ayant entre-temps été expulsée du Soudan, Yonas* doit attendre que son épouse parvienne à y retourner – en juin 2018 – pour déposer une demande de regroupement familial. A l’appui de sa demande, il fournit une copie de la carte d’identité de son épouse et l’original du certificat de mariage. En décembre 2018, le SEM autorise l’entrée en Suisse de Faven*. Yonas* demande une prolongation de ce visa jusqu’en novembre 2019, ce que le SEM accepte.
En novembre 2019, l’ambassade suisse à Khartoum refuse de délivrer le visa à Faven* en raison d’un soupçon de mariage de complaisance. Elle soulève notamment le fait que Faven* avait 17 ans au moment de son mariage et que l’acte n’avait pas été enregistré dans un bureau d’enregistrement public en Erythrée. L’ambassade retient également que les parents de Faven* n’ont pas donné leur consentement par écrit.
En janvier 2020, Faven* est auditionnée une première fois à l’ambassade. L’entretien se déroule en anglais, avec une interprète arabe alors que Faven* parle tigrinya. Elle doit expliquer son mariage avec Yonas*, leur vie commune avant le départ de celui-ci et les liens qu’ils entretiennent à distance. L’ambassade précise au SEM que le certificat de mariage ne comporte qu’un sceau illisible d’une mosquée et ne lui semble pas authentique. En mars 2020, Faven* a une seconde audition à l’ambassade, dans les mêmes conditions. L’ambassade la confronte à des divergences qu’elle estime percevoir entre ses allégations et celles de Yonas*. Les procès-verbaux des auditions sont envoyés au SEM.
En avril 2020, le SEM révoque l’autorisation d’entrée de Faven*, estimant qu’au vu des divergences de récit entre Yonas* et Faven* les conditions au regroupement familial selon l’art. 51 de la LAsi, à savoir l’existence d’un ménage commun et la séparation par la fuite, ne seraient pas remplies. Avec l’aide d’une mandataire, Faven* dépose un recours auprès du TAF contre cette décision du SEM. Elle dénonce notamment une violation de son droit d’être entendue en raison du refus de l’ambassade de l’auditionner en présence d’un·ex interprète tygrigna et les difficultés de compréhension en ayant résulté. Elle ajoute que son mariage avec Yonas* est attesté, que Yonas* a parlé d’elle dès ses premières auditions d’asile et que le versement mensuel d’argent de sa part démontre bien la réalité de leur couple.
En novembre 2020, Yonas* rend visite à Faven* au Soudan et en février 2021 Faven* annonce au SEM qu’elle est enceinte. Le SEM, invité à se prononcer par la juge, confirme sa décision de révocation. Selon lui, la grossesse de Faven* ne change rien au fait qu’il n’y aurait pas eu séparation du couple par la fuite. En septembre, Yonas* informe le SEM de la naissance de sa fille, A.*, soulignant la vulnérabilité de celle-ci et de son épouse, seules au Soudan.
En décembre 2021, le TAF admet le recours aux motifs que le SEM aurait pu dès le départ mener une instruction supplémentaire s’il avait eu des doutes au sujet du mariage et que Faven* étant âgée de plus de 16 ans au moment de celui-ci, cela ne heurte pas l’ordre juridique Suisse, d’autant qu’elle maintient, étant adulte, sa volonté de vouloir vivre en union conjugale avec Yonas*. Le TAF estime également, au regard des procès-verbaux, que les propos de Faven* et Yonas* convergent et ordonne l’octroi d’une autorisation d’entrée à Faven*. En février 2022, le SEM transmet à l’ambassade une autorisation d’entrée pour Faven* et sa fille A.*. Or, l’ambassade informe alors de l’impossibilité de délivrer un document de voyage pour A.*, car elle considère désormais que les parents seraient soudanais·e et non pas érythréen·e. L’ambassade exige qu’A.* dépose un passeport soudanais, alors que le certificat de mariage, les cartes d’identités de Faven* et Yonas* et le certificat de naissance de l’enfant attestent que la famille est d’origine érythréenne. En 2023, la famille est toujours en attente d’un laissez-passer pour A.*.
Signalé par: CSP-Genève
Sources: Arrêt du TAF E-4012/2020, décision du SEM du 11 février 2022