La Suisse reproche à deux enfants seuls de ne pas avoir franchi une frontière pour déposer leur demande de regroupement familial dans les délais

Esther* arrive en Suisse en 2012, à l’âge de 17 ans et demi, et obtient une admission provisoire (permis F). En partant, elle a été contrainte de laisser ses deux fils en Somalie. Elle obtient un permis B par mariage en 2015. Un délai de cinq ans s’ouvre alors pour demander un regroupement familial en faveur de ses fils, mais ceux-ci n’ont pas le droit de se rendre seuls au Kenya, où se trouve la seule ambassade suisse habilitée à enregistrer la demande. Ce n’est qu’en 2024, lorsque leur tutrice décide de déménager au Kenya et de les emmener avec elle, qu’ils peuvent alors déposer officiellement la demande. Les autorités cantonales rendent un préavis négatif au motif que la demande est tardive. Esther* fait alors valoir l’existence de raisons personnelles majeures – ses enfants allant bientôt être livrés à eux-mêmes – justifiant un regroupement familial tardif. La demande est toujours en cours.

Personne concernée (*Prénom fictif): Esther* et ses fils, Yacine* et Amiel*

Origine: Somalie

Statut: permis B (Esther*)

Chronologie 

2012 : arrivée en Suisse d’Esther avec une admission provisoire

2015 : mariage d’Esther et obtention d’un permis B

2024 : dépôt de la demande de regroupement familial (mars), préavis négatif du SPoMi (juil.), droit de réponse du mandataire (sept.)

2025 : relance du mandataire suite à l’absence de réponse du SPoMi (jan.)

Questions soulevées

  • Comment peut-on reprocher à des enfants de ne pas avoir traversé une frontière à temps, sachant que cela leur est interdit et qui plus est très dangereux?
  • Comment peut-on arguer qu’une demande visant à faire venir deux enfants, livrés à eux-mêmes dans un pays tiers, afin qu’ils puissent retrouver leur famille, reposerait en réalité sur des seuls motifs économiques?  
  • Comment se fait-il que les autorités puissent nier l’existence de raisons familiales majeures alors qu’il semble évident que le bien des enfants – seuls, déscolarisés, dans un pays qu’ils ne connaissent pas et dans lequel ils n’ont aucun réseau de soutien – ne peut être garanti que par un regroupement avec leur famille en Suisse? Cela ne contrevient-il pas à l’art. 75 OASA?
  • Comment se fait-il qu’en connaissant la situation extrêmement précaire, urgente et dangereuse dans laquelle se trouvent les enfants, les autorités suisses ne fassent pas preuve de diligence dans le traitement de leur demande? Cela ne contrevient-il pas à leur devoir de protéger les droits de l’enfant?  

Description du cas

Esther*, née au milieu des années 1990, est originaire de Somalie. À l’âge de 13 ans, elle est victime d’un viol collectif et tombe enceinte de Yacine* qui nait en 2009. Fille-mère célibataire, elle est persécutée par ses proches et voisin·es. En 2010, elle accouche de son deuxième fils, Amiel*, fruit d’une relation hors mariage, et subit à nouveau des persécutions. Par ailleurs, son propre père décide de quitter le pays avec son épouse, Esther et ses frères et sœurs, mais refuse d’emmener ses deux petits-enfants, qu’il rejette car nés hors mariage. Esther* se trouve ainsi devant le dilemme de choisir entre partir ou rester avec ses enfants et subir les persécutions, mais cette fois sans la protection de sa mère. Elle opte pour le départ et confie Yacine* et Amiel* à sa sœur, avec la ferme intention de demander le regroupement familial pour ces derniers.

Esther* arrive avec sa famille en Suisse en 2012, à l’âge de 17 ans et demi et obtient une admission provisoire (permis F). Elle commence à travailler dans l’idée de faire venir ses enfants. En 2015, elle se marie et obtient un permis B. Un délai de cinq ans s’ouvre alors pour déposer une demande de regroupement familial (jusqu’en septembre 2020). Mais à ce moment, Yacine* et Amiel*, qui résident toujours en Somalie, n’ont personne pour les accompagner au Kenya (traverser la frontière est interdit pour un·e mineur·e non accompagné·e) afin d’effectuer les démarches de regroupement familial auprès de l’ambassade suisse de Nairobi. Car c’est uniquement cette représentation qui est compétente pour les demandes des ressortissant·es Somalien·nes.

Depuis son départ, Esther* n’a jamais revu ses fils, mais elle leur envoie régulièrement de l’argent. La sœur d’Esther* continue de s’occuper de Yacine* et Amiel*, jusqu’à ce qu’elle doive elle-même fuir la Somalie, en 2018. Une tutrice les prend alors en charge. En 2024, cette tutrice déménage au Kenya avec les deux enfants, ce qui leur permet enfin de déposer leur demande de regroupement familial auprès de l’ambassade (suisse). En mars 2024, Yacine* et Amiel* obtiennent un rendez-vous à l’ambassade (suisse) de Nairobi, lors duquel ils sont tous deux interrogés sur leurs liens avec leur mère et leurs éventuelles perspectives en Suisse.

En juillet 2024, le Service cantonal de la population et de la migration (SPoMi) rend un préavis négatif à la demande de regroupement familial de Yacine* et Amiel*, au motif que le délai pour déposer la demande est dépassé depuis septembre 2020.  Par ailleurs, le SPoMi considère qu’il n’existe pas de raisons familiales majeures, estimant que les enfants peuvent continuer à vivre avec leur tutrice. En outre, il reproche à Esther* de vivre dans un logement trop petit pour accueillir Yacine* et Amiel*. Le SPoMi décrète enfin que «vu les éléments qui ressortent du dossier, cette demande de regroupement familial semble s’expliquer par des motifs économiques (études, apprentissage, etc.) respectivement à servir principalement à éluder les prescriptions d’admission et non à réunir la famille en Suisse.».

Dans son droit de réponse de septembre 2024, le mandataire d’Esther* rappelle que Yacine* et Amiel* n’ont pas de père et n’ont donc pour réseau familial que leur mère – avec qui ils ont des contacts réguliers – ainsi que les membres de sa famille, qui résident tou·tes en Suisse. Il rappelle également les raisons de dépassement du délai, à savoir l’impossibilité pour Yacine* et Amiel* d’entreprendre seuls le voyage au Kenya jusqu’à leur déménagement en 2024. Enfin, il apporte des preuves que la tutrice des enfants est atteinte dans sa santé et prévoit de quitter Nairobi, ce qui laissera les enfants sans représentant·e légal·e, et livrés à eux-mêmes. Il démontre aussi les efforts fournis par Esther* pour trouver un logement plus spacieux.

En juillet 2025, malgré une relance en janvier, le SPoMi n’a toujours pas répondu.

Signalé par: CCSI Fribourg

Sources: échanges entre le SPoMi et le mandataire

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Un couple avec enfant doit se battre pour se voir reconnaître son droit au mariage et au regroupement familial

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