La dépendance à l’aide sociale jugée plus importante que les séquelles de violences conjugales

« Elise » est en Suisse depuis plus de onze ans. Victime de graves violences conjugales, elle se voit refuser le renouvellement de son autorisation de séjour. Malgré la reconnaissance des violences selon l’art. 50 al. 2 LEtr, les autorités estiment qu’il y a un risque concret de dépendance à l’aide sociale et ordonnent son renvoi.

Personne(s) concernée(s) : « Elise »

Origine : Biélorussie

Statut : autorisation de séjour -> non renouvellement

Résumé du cas

« Elise » se marie en 2005 avec un ressortissant suisse et obtient une autorisation de séjour par regroupement familial. Victime de graves violences conjugales qui mettent sa vie en péril, « Elise » sombre dans la dépendance à l’alcool. Séparé en 2009, le couple divorce en 2012 et « Elise » remonte la pente petit à petit. En 2013, le SPOP refuse de prolonger son autorisation de séjour et prononce son renvoi de Suisse. « Elise » dépose alors un recours devant le Tribunal cantonal vaudois qui est rejeté, sa dépendance à l’aide sociale étant considérée comme raison suffisante pour confirmer le non-renouvellement de son permis et son renvoi (art. 62 let. e LEtr). Assistée par sa mandataire, « Elise » interjette un recours auprès du Tribunal fédéral en invoquant que le refus de prolonger son autorisation de séjour est contraire à l’art. 50 al. 1 let. b et al. 2 LEtr dont elle remplit les conditions. En effet, cet article prévoit le renouvellement du permis pour les personnes reconnues comme victimes de violences conjugales. Or, comme le souligne la mandataire, « la violence conjugale ne cesse pas de produire ses effets au moment où les coups cessent, mais entrave durablement les victimes dans leur capacité à se penser autonome, à avoir de l’énergie et la confiance en soi nécessaire pour décrocher un emploi ». Par ailleurs, le recours invoque une violation du respect de la vie privée (art. 8 CEDH). Le TF rejette le recours et confirme la décision de renvoi d’« Elise » en jugeant qu’il existe un risque concret de dépendance à l’aide sociale, malgré sa récente prise d’emploi à temps partiel.

Questions soulevées

 

Les autorités judiciaires ne devraient-elles pas tenir compte des séquelles engendrées par les violences conjugales et de leurs conséquences à long terme, notamment sur l’insertion professionnelle?

Après s’être sevrée de l’alcool et avoir entrepris plusieurs démarches, « Elise » réussi à trouver un emploi. Pourquoi persister à vouloir la renvoyer alors qu’elle remonte la pente et que ses efforts d’insertion commencent à porter leurs fruits ?

Chronologie

2004 : entrée en Suisse en vue de son mariage avec un ressortissant suisse

2005 : mariage et obtention d’une autorisation de séjour au titre du regroupement familial

2009 : condamnation du mari à une peine privative de liberté et séparation du couple

2011 : renouvellement de l’autorisation de séjour par le SPOP

2012 : divorce

2013 : refus du SPOP de prolonger l’autorisation de séjour et décision de renvoi de Suisse ; recours auprès du Tribunal cantonal du canton de Vaud

2014 : rejet du recours par le Tribunal cantonal ; recours auprès du Tribunal fédéral ; effet suspensif accordé a Elise

2015 : recours et demande d’assistance judiciaire rejetés par le Tribunal fédéral

Description du cas

« Elise » arrive en Suisse en 2004 en vue de son mariage avec un ressortissant suisse. Suite à leur union en 2005, elle obtient une autorisation de séjour par regroupement familial.

Très vite, « Elise » subit de gravissimes violences conjugales, notamment de nombreuses fractures du nez et de la malléole, des brûlures de cigarette et des contusions multiples. La détresse engendrée la pousse à une consommation abusive d’alcool et dans ce contexte houleux, « Elise » se rend coupable de délits tels que violation de domicile, dénonciation calomnieuse et utilisation abusive d’une installation de télécommunication, délits pour lesquels elle est condamnée. En 2009, le couple se sépare et son mari est condamné à une peine privative de liberté de dix mois, notamment pour les violences commises à l’égard de son épouse. Le divorce est prononcé en 2012.

Depuis, « Elise » remonte la pente petit à petit : elle est abstinente à l’alcool depuis la fin de l’année 2010 et entreprend de nombreuses démarches qui lui permettent de décrocher un travail à temps partiel.

En 2013, les autorités cantonales (SPOP) refusent pourtant de prolonger son autorisation de séjour et prononcent son renvoi de Suisse. Le Service estime que la dépendance à l’aide sociale d’« Elise » ainsi que ses antécédents pénaux justifient cette décision.

En mai de la même année, « Elise » interjette un recours devant le Tribunal cantonal. Ce dernier juge que les condamnations pénales ne constituent pas un motif suffisant pour ne pas renouveler le permis, mais considère cependant que sa dépendance à l’aide sociale justifie à elle seule le non renouvellement de son permis et son renvoi, conformément à l’art. 62 al. e LEtr.

Face à cette décision, « Elise », assistée par sa mandataire, dépose en 2014 un recours auprès du Tribunal fédéral. Selon elle, le refus de prolonger son autorisation de séjour en raison de sa dépendance à l’aide sociale vide l’art 50 al. 1 let. b et al. 2 LEtr de sa portée. En effet, exiger l’autonomie financière après la reconnaissance de graves violences revient, de facto, à introduire une condition supplémentaire dans l’application de cette disposition juridique. Le recours invoque également le respect de la vie privée au sens de l’art. 8 CEDH selon lequel « toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ».

Dans un arrêt de 2015, le TF rejette ce recours en dernière instance. Il estime que le SPOP a pris en compte les violences conjugales subies par « Elise » en renouvelant son autorisation de séjour à deux reprises et estime qu’elle ne se prévaut d’aucun lien social ou professionnel spécialement intense avec la Suisse. Malgré le fait qu’elle ait décroché un contrat à durée indéterminée à temps partiel, le Tribunal retient le « risque concret de dépendance à l’aide sociale » et confirme le renvoi d’« Elise ».

Signalé par : CSP Vaud

Sources : Recours contre la décision du Service de la population de Vaud au Tribunal Cantonal vaudois (13.05.2013), lettre au Tribunal Cantonal vaudois (1.07.2013), Arrêt du Tribunal Fédéral (23.01.2015), circulaire du SEM du 12 avril 2013 concernant les violences conjugales.

Cas relatifs

Cas individuel — 07/10/2013

Fragilisée par les violences conjugales, elle est
renvoyée après 11 années en Suisse

Après de longues années de violences conjugales reconnues, « Sibel », arrivée en Suisse en 2002, se voit refuser le renouvellement de son permis. On lui reproche un manque d’intégration, pourtant lié au contrôle exercé par son mari ainsi qu’à sa fragilité psychique résultant des violences subies.
Cas individuel — 02/10/2012

Renvoi d’une victime de violences conjugales
et de sa fille scolarisée depuis 9 ans en Suisse

Au bénéfice d’un permis B par mariage, « Carmen » fait venir en 2003 sa fille « Vanessa », alors âgée de 6 ans. 9 ans plus tard, suite au deuxième divorce de « Carmen » dû à des violences conjugales, les autorités cantonales décident de les renvoyer, au mépris de l’intérêt supérieur de l’adolescente et des violences subies par sa mère.
Cas individuel — 16/02/2012

Une tentative de strangulation n’est pas une
violence conjugale grave pour l’ODM

« Carolina », chilienne, subit dès 2008 des violences de la part de son mari suisse. En 2010, suite à une tentative de strangulation, elle décide de quitter son époux. Peu après cette séparation, l’ODM révoque le permis de « Carolina », bien qu’elle vive en Suisse depuis 7 ans et qu’elle ait besoin de soutien. Selon l’ODM, les violences subies ne sont pas d’une intensité suffisante pour lui permettre de rester en Suisse pour raisons personnelles majeures.