Impossible de garantir qu’elles rentreront : le TAF les prive de visite à leur famille
« Mafo » et « Péna » souhaitent rendre visite à « Musina », leur fille et sœur, qui vit en Suisse avec son mari. Alors que « Mafo » avait déjà obtenu un visa précédemment, les autorités estiment cette fois que le retour au Cameroun n’est pas garanti et refusent d’octroyer des visas malgré toutes les assurances données.
Personne(s) concernée(s) : « Mafo » femme née en 1939 ; sa fille « Péna » femme née en 1969 ; sa seconde fille « Musina », qui vit en Suisse avec son mari.
Statut : à l’étranger –> visas d’entrée refusés
Résumé du cas
« Mafo » et « Péna », mère et fille, déposent une demande de visa pour visite familiale auprès de « Musina », fille de « Mafo » et sœur de « Péna », qui vit en Suisse. « Musina » doit se porter garante à hauteur de 20’000 francs pour les frais du séjour et produire d’autres garanties administratives. La demande revient ensuite à l’ODM, avec un préavis favorable du canton. Mais l’Office la rejette, estimant que le retour dans le pays d’origine à l’issue du séjour n’est pas garanti. « Musina » et son époux forment un recours devant le TAF, indiquant notamment que l’ODM a mal évalué les attaches socioprofessionnelles des intéressées au Cameroun. En effet, « Mafo » joue un rôle important auprès de l’église de son village et possède des immeubles, lots et plantations. « Péna », quant à elle, est commerçante indépendante et aide sa mère dans la gestion de ses biens. De plus, « Mafo » a déjà séjourné en Suisse et, à l’issue de ce séjour, est retournée au Cameroun. Autant d’arguments qui devraient suffire à prouver que les deux femmes rentreront en Afrique à la fin de leur séjour. Mais dans son arrêt, le Tribunal retient que les intéressées sont sans charge de famille et sans emploi stable. D’ailleurs, selon les juges, si elles peuvent s’absenter pour rendre visite à leur famille à l’étranger, c’est bien que la gestion de leurs affaires peut s’effectuer sans elles. Enfin, lors de son dernier séjour en Suisse, « Mafo » a demandé (et obtenu) deux fois la prolongation de son autorisation, ce qui pousse le TAF à conclure que l’on ne peut exclure que les deux femmes pourraient en réalité chercher à détourner l’utilisation du visa pour s’installer durablement en Suisse. Le recours est finalement rejeté.
Questions soulevées
Fournir la garantie absolue d’un retour est de toute manière impossible. En appréciant les faits et déclarations de façon systématiquement suspicieuses, les autorités ne finissent-elles pas par fermer abusivement la porte de notre pays à des personnes de bonne foi ?
Le refus d’un visa, alors qu’il en avait été accordé un à la même personne trois ans auparavant, indique que son l’obtention est aléatoire et dépend du bon vouloir des autorités. Un tel durcissement est-il justifié?
Chronologie
2004 : obtention d’un premier visa pour « Mafo » (qui rentre au Cameroun 128 jours plus tard, après prolongation)
2007 : demande de visa pour « Mafo » et « Péna » (21 août) ; préavis positif du canton (28 sept.) ; refus de l’ODM (22 oct.) ; recours au TAF (3 nov.)
2008 : rejet du TAF (30 mai)
Description du cas
En août 2007, « Mafo » et « Péna », mère et fille, déposent une demande de visa pour rendre visite à leur fille et sœur « Musina », qui vit avec son mari en Suisse. « Mafo » a 68 ans et sa fille, « Péna », en a 38. Le consulat suisse de Yaoundé transmet la demande au service concerné du canton du Jura, où vivent « Musina » et son mari. « Musina » doit alors se porter garante des frais du séjour jusqu’à concurrence d’un montant de 20’000 francs. Elle doit également fournir des pièces concernant leurs moyens financiers, l’acquittement régulier de leurs obligations fiscales ainsi qu’une attestation de non poursuite. Le canton transmet, en septembre 2007, la demande de visa à l’ODM avec un préavis positif. Un mois plus tard, l’ODM rend une décision négative, arguant qu’on ne peut considérer que le retour dans le pays d’origine à l’issue du séjour soit garanti « tant en raison de la situation socio-économique prévalant dans leur pays d’origine qu’en raison de leurs situations personnelles et professionnelles ». L’Office estime qu’il est possible que les intéressées souhaitent alors s’établir en Suisse.
« Musina » et son époux forment un recours devant le TAF, en novembre 2007, estimant que l’ODM n’a pas pris en compte le fait que « Mafo » possède dans son pays trois immeubles, des lots titrés et des plantations. Elle joue également un rôle important auprès de l’église de son village. « Péna », quant à elle, est commerçante indépendante et aide sa mère dans la gestion de ses biens. Les liens qu’elles ont avec leur pays d’origine est fort, ce qui garantit qu’elles rentreront à l’issue de leur visite. D’ailleurs, « Mafo » est déjà venue en Suisse et est rentrée au Cameroun à l’issue de son séjour. Dans ses observations, l’ODM reproche à « Mafo » de ne pas avoir quitté la Suisse à l’échéance de son autorisation, mais d’avoir demandé – et obtenu ! – une prolongation de son séjour, ce qui revient à leur reprocher un comportement parfaitement légal.
Dans un arrêt daté du 31 mai 2008, le TAF rejette le recours. Il rappelle que « les conditions économiques prévalant en Suisse sont sensiblement supérieures à celles que connaît le Cameroun » et réfute les arguments avancés dans le recours, sensés prouver que le retour des intéressées au Cameroun est garanti. Il retient en effet que « Mafo » et « Péna » sont célibataires, n’ont pas d’enfant à leur charge, sont toutes deux ménagères et ne peuvent donc se prévaloir d’un emploi stable leur garantissant un revenu régulier. Le Tribunal estime qu’elles pourraient chercher à se construire une nouvelle vie en Suisse. Quant aux liens qu’elles auraient avec le Cameroun, et qui garantiraient leur retour, le Tribunal juge que « dans la mesure où les intéressées envisagent de s’absenter du Cameroun pour une période de trois mois, il appert manifestement que leurs liens familiaux et, surtout, la nécessité qu’elles prennent personnellement soin des affaires de la famille ne sont pas aussi importants que ne le laisse entendre le mémoire de recours. » Le tribunal estime donc que prendre des vacances pour rendre visite à sa famille à l’étranger montre que les liens personnels et professionnels que l’on entretient avec son pays d’origine sont faibles. Quant aux garanties versées au dossier par « Musina » en Suisse, le TAF considère qu’elles n’engagent pas les personnes invitées et ne doivent donc pas être prises en compte. Par contre, selon le TAF, les intéressées s’installeront d’autant plus facilement en Suisse qu’un membre de leur famille proche y est parfaitement intégré. Quant au précédent voyage de « Mafo », le TAF explique de façon plutôt paradoxale qu’il ne prouve pas que son retour est garanti, même s’il a bien eu lieu, puisque « Mafo » a fait prolonger son premier visa à deux reprises (128 jours de plus). Le TAF ponctue son arrêt en précisant que rien ne semble empêcher « Musina » et son mari à se rendre eux-mêmes au Cameroun pour rendre visite à leur famille.
Signalé par :site Web du TAF
Sources :arrêts du TAF C-7454/2007 et C-7455/2007 du 30 mai 2008