Droit de demeurer pour une femme européenne malgré une perception de l’aide sociale
Flora* arrive en Suisse en 2007 pour rejoindre ses enfants majeurs. Elle trouve plusieurs emplois à temps partiel et obtient une autorisation de séjour UE/AELE avec activité lucrative (permis B). En 2019, Flora* se blesse à la cheville et se retrouve en incapacité de travail. Elle demande l’aide sociale et en raison de son âge proche de la retraite, elle perçoit une rente pont cantonale puis, en avril 2022, l’Office AI reconnait son incapacité de travail et lui octroie rétroactivement une rente à 100%. En mars 2022, le SPOP avait refusé de prolonger son autorisation de séjour et ordonné son renvoi. En avril, Flora* dépose alors un recours auprès du Tribunal cantonal (TC). En décembre, le TC reconnait que Flora* a perçu des revenus relativement stables sur la durée, auprès des mêmes employeurs durant 5 ans, qu’elle touche une rente de veuve et que ses charges sont réduites puisqu’elle réside chez sa fille. Il admet donc que l’activité de Flora* entre 2015 et 2019 était «réelle et effective», malgré ses faibles revenus, et reconnait sa qualité de travailleuse. Selon lui, Flora* a bien acquis un droit de demeurer.
Personne concernée (*Prénom fictif): Flora*
Origine: Portugal
Statut: permis B
Chronologie
2007: arrivée en Suisse, permis B
2011: renouvellement du permis
2014: renouvellement du permis
2019: accident et demande de renouvellement du permis
2021: rente pont
2022: refus de renouvellement (mars), recours et reconnaissance de l’incapacité de travail (avril), recours admis par le TC (déc.) 2024 : renouvellement du permis de séjour
Questions soulevées
- Comment se fait-il que le la SUVA ait dans un premier temps refusé de couvrir l’accident sans creuser le nombre d’heures moyens réellement effectué auprès des divers employeurs?
- Comment se fait-il que le Service de la population rende une décision de renvoi à l’encontre de Flora*, alors que celle-ci était en attente de la décision d’octroi d’une rente invalidité?
- Comment se fait-il que Flora* ait dû batailler pour faire reconnaitre sa qualité de travailleuse au moment où elle se trouvait en incapacité de travail, alors qu’une autorisation de séjour avait déjà été accordée et renouvelée dans le passé en lien avec des activités salariées à temps partiel?
- Pourquoi est-ce que les autorités suisses dénient la qualité de travailleuse – déterminante pour bénéficier d’un droit de séjour – aux personnes avec des taux d’emplois faibles ou mal rémunérés, alors que la Cour de justice européenne ne conditionne pas cette qualité à de tels critères?
- Si en l’espèce l’incapacité de travail a pu être démontrée via une intervention rétroactive de la SUVA et de l’OAI, comme ayant directement suivi la période où Flora était encore une travailleuse, quid des situations où la personne, proche de la retraite bénéficie un temps de l’aide sociale pour une période non couverte par une assurance? En l’absence d’un véritable droit de demeurer pour les chômeur·euses en fin de droit proche de la retraite ou atteint·es dans leur santé mais sans rente, pourquoi l’art. 20 OLCP, permettant de tenir compte des cas de rigueur, n’est-il pas plus fréquemment appliqué en particulier après des séjour de plus de dix ans en Suisse?
Description du cas
Flora*, d’origine portugaise, est née en 1959. En 2007, elle arrive en Suisse pour rejoindre ses enfants et s’occuper de ses petits-enfants. Elle obtient une autorisation de séjour UE/AELE avec activité lucrative (permis B). Autonome financièrement durant une année, Flora* est partiellement assistée entre 2008 et 2011 mais s’affranchit ensuite de toute aide sociale.
En juillet 2011, le Service de la population du canton de Vaud (SPOP) révoque son autorisation de séjour au motif qu’elle n’aurait pas complété l’examen de sa situation financière et prononce son renvoi de Suisse. Flora* dépose alors un recours auprès du Tribunal cantonal (TC) et produit deux contrats de durée indéterminée totalisant 20 heures par semaine plus un contrat à durée déterminée de deux mois pour 7.5 heures par semaine. Flora* cumule en effet plusieurs emplois en tant que nettoyeuse. Elle obtient un renouvellement de permis pour une année.
Durant l’année 2012, Flora* connait plusieurs arrêts maladie et dépose une demande de prestations auprès de l’assurance-invalidité (AI) pour incapacité de travail. En septembre 2013, le SPOP refuse de délivrer à Flora* une autorisation d’établissement (permis C) au motif que sa situation financière n’est pas favorable (étant à nouveau sans activité lucrative et en incapacité de travail). En octobre 2014, Flora* dépose une demande de prolongation de son titre de séjour et l’obtient. A l’échéance des 5 ans de validité de son permis, en août 2019, Flora* sollicite un renouvellement, produisant un contrat de travail à durée déterminée de 12 heures par semaine et un contrat de travail indéterminé de 10 heures.
En août 2019, Flora* se blesse à la cheville (accident non professionnel) et se trouve à nouveau en incapacité de travail. Dans un premier temps aucun assureur accident n’accepte de couvrir la perte de gain liée à l’accident estimant qu’elle n’avait pas travaillé au moins 8h par semaines auprès d’un même employeur, condition pour la couverture des accidents non professionnels. Elle demande donc l’aide sociale dans l’attente des prestations d’assurance. Elle finira, à la suite de nombreux courriers de la mandataire, par toucher rétroactivement des indemnités journalières SUVA, depuis janvier 2021 une rente pont cantonale, puis une demande de rente AVS anticipée. Par ailleurs, elle perçoit une rente de veuve de 294 euros par mois, versée par le Portugal. Par décision du 27 avril 2022, l’Office AI a considéré les conditions d’octroi d’une rente d’invalidité étaient remplies et l’office retenait que l’intéressée présentait une incapacité de travail sans interruption notable depuis le 7 août 2019 ouvrant rétroactivement un droit à la rente. Des PC AVS/ AI lui sont ensuite versées rétroactivement.
Peu de temps avant la décision AI, en mars 2022, le SPOP avait refusé de prolonger son autorisation de séjour et prononcé une décision de renvoi. Appuyée par une mandataire, Flora* avait alors fait opposition, arguant avoir travaillé et être indépendante depuis plusieurs années, bénéficier d’une rente AI et avoir des enfants qui résident en Suisse. Néanmoins, le SPOP a confirmé sa position. En avril, Flora* dépose alors un recours auprès du TC, défendant qu’avant sa retraite elle possédait une activité réelle et effective, bien qu’à petit taux, ce qui confirme sa qualité de travailleuse. Elle précise que le Tribunal fédéral (TF) a lui-même cerné la notion de travailleur en définissant des critères objectifs basés sur la jurisprudence de la Cour de justice des communautés européennes (arrêt Kempf 139/85) soit: l’existence d’une prestation, d’un lien de subordination et d’une rémunération. Le TF a en outre précisé que: «ni la nature juridique de la relation de travail, ni la productivité plus ou moins élevée du travailleur, ni son taux d’occupation, ni l’origine des rémunérations, ni même l’importance de cette rémunération, ne sont, en eux-mêmes et à eux seuls, des éléments décisifs pour apprécier la qualité de travailleur au sens du droit communautaire.» (ATF 131 II 339). Flora* estime donc ne pas avoir perdu sa qualité de travailleuse, bien que touchant de l’aide sociale.
En mai 2022, Flora* fournit un certificat médical et la décision de l’Office AI reconnaissant son invalidité. En décembre 2022, le TC reconnait que Flora* a perçu des revenus relativement stables sur la durée, auprès des mêmes employeurs durant 5 ans, qu’elle touche une rente de veuve et que ses charges sont réduites puisqu’elle réside chez sa fille. Le TC convient que l’activité de Flora* entre 2015 et 2019 était «réelle et effective», malgré ses faibles revenus, et reconnait donc sa qualité de travailleuse bien qu’elle ait complété ses revenus par une aide sociale. Le Tribunal admet le recours et prononce le droit de demeurer de Flora* puisqu’elle a rétroactivement été reconnue comme invalide entre son accident et son entrée à la retraite. Plusieurs interventions seront encore nécessaires auprès du SEM pour que le permis de séjour soit délivré ce qui ne sera le cas qu’à l’automne 2024 après approbation des autorités fédérales.
Signalé par: CSP Vaud
Source: Arrêt TC PE.2022.0046